« Le gouvernement n’a jamais cherché à remédier à la situation », alors que Bruno Le Maire était alerté, dénonce Jean-François Husson

« Le gouvernement n’a jamais cherché à remédier à la situation », alors que Bruno Le Maire était alerté, dénonce Jean-François Husson
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La pêche a été réussie. La commission sénatoriale des finances s’est rendue au ministère de l’Économie et des Finances la semaine dernière. Elle dispose du pouvoir d’inspection sur place et hors site, lui donnant accès aux documents. Le rapporteur général du budget de la Haute Assemblée, le sénateur LR Jean-François Husson, a voulu en savoir plus : face à un déficit pire que prévu, le gouvernement savait-il à l’avance où il allait ? Et comment expliquer ce que le rapporteur qualifie de « volte-face » en quelques semaines seulement ? Résultat, le sénateur de Meurthe-et-Moselle nous apprend que les services de Bercy prévoient une poursuite du dérapage en 2024 et 2025, avec des prévisions de déficit fixées à 5,7% puis 5,9%. La prévision pour 2023, de 5,6% selon les chiffres du ministère, s’établit finalement à 5,5%, a annoncé mardi l’Insee, qui a dévoilé le chiffre définitif.

« 5,5 %, c’est environ 18 milliards de plus. C’est plus que le déficit de 2022, alors que nous sortions d’une crise sanitaire historique, où nous étions à 4,8 %. Cela montre à quel point la politique du gouvernement est en situation d’échec», a dénoncé Jean-François Husson, invité de la matinale Public Sénat ce mardi matin. Pour le sénateur LR, « la responsabilité de Bruno Le Maire et celle des différents gouvernements sont engagées ». Il appelle le ministre à « rendre son tablier, car la copie est médiocre ». Regarder :

Pour Bruno Le Maire, ce dérapage des comptes publics s’explique. « Il s’agit d’un événement exceptionnel qui est lié à des recettes fiscales bien inférieures à ce que nous attendions. Nous avons réalisé la croissance qui nous tient à cœur. […] Mais nos revenus ont été inférieurs aux prévisions car l’inflation a chuté beaucoup plus rapidement que prévu. C’est une victoire, mais elle a un impact sur les recettes de TVA, les cotisations salariales et l’impôt sur le revenu. […] Il faut compenser cela», soutient le ministre de l’Économie, interrogé ce mardi en marge d’une audition au Sénat sur le trafic de drogue.

Une façon de compenser est d’appeler les communautés à faire un effort. Mais après avoir pointé « le coût vertigineux » de « l’accumulation de strates administratives et locales », il y a trois semaines, devant les sénateurs, Bruno Le Maire se montre aujourd’hui plus conciliant. “Tout cela se fera dans le dialogue, la concertation et sur la base d’une décision libre des autorités locales”, assure le ministre, qui n’entend pas les “fragiliser”, ni “remettre en cause leur capacité d’investissement”. Regarder :

Plusieurs alertes d’administration

Quant au contrôle, pour lequel le cabinet des ministres n’a été prévenu que deux heures avant l’arrivée du sénateur, afin que les services de Bercy préparent les documents, on en sait un peu plus de détails. La demande était simple : « Notes aux ministres sur les finances publiques », a déclaré le rapporteur devant la presse ce matin. Lors de l’audit, ses interlocuteurs sont de premier ordre, entre le chef économiste du Trésor, le numéro 2 de la direction générale des finances publiques et le directeur du budget.

Après avoir consulté ces notes pour le moins instructives, Jean-François Husson « constate que le gouvernement n’a jamais cherché à remédier à la situation », alors que l’administration de Bercy a multiplié les alertes, entre fin 2023 et début 2024. Premier élément, “le 6 octobre, les services préconisent une annulation de 2,4 milliards d’euros dans les crédits des ministères pour le projet de loi de finances de fin de gestion”. Autre notre 1euh décembre 2023, qui indique que « les premières hausses de TVA de novembre sont plus dégradées que la TVA d’octobre ». Une semaine plus tard, le 7 décembre, l’alerte se précise. Les services de Bruno Le Maire l’informent que le déficit prévu pour 2023 sera de 5,2% du PIB, contre 4,9% initialement prévu par le gouvernement. En janvier, les prévisions de Bercy se dégradent encore, avec un déficit de 5,3 %.

Vient ensuite une note datée du 16 février 2024, deux jours avant l’intervention de Bruno Le Maire sur TF1, où le ministre annoncera 10 milliards d’euros d’économies pour 2024. C’est elle qui actualise la prévision de déficit à 5,6 %.

« La probabilité de non-atteinte des objectifs de déficit est connue avec une quasi-certitude d’ici fin 2023 »

Pour Jean-François Husson, cela ne fait aucun doute : « La probabilité de non-atteinte des objectifs de déficit est connue avec une quasi-certitude à partir de fin 2023. Or, dans le projet de loi de finances 2024 et le projet de loi de fin de gestion, le le gouvernement n’a rien fait pour améliorer ses prévisions budgétaires”, affirme le rapporteur du budget, qui ajoute que “ce n’est que trois mois après la première alerte que Bruno Le Maire a indiqué que les 4,9% ne seront pas atteints”.

Dénonçant des débats budgétaires peu sincères, le sénateur affirme que « ce n’est pas respectueux et humiliant pour le Parlement ». Et lâche le fond de ses pensées : « J’étais en colère. Ils nous prennent pour des idiots… »

« La plus grande crise budgétaire de la Ve République »

Face à ce qu’il considère peut-être comme « la plus grande crise de la Ve République sur le plan budgétaire », le rapporteur général de la commission des finances « n’exclut pas un Mai 68 du XXIe siècle », avec des décisions difficiles à venir.

Toujours selon la note du 16 février, la trajectoire prévue dans la loi de programmation des finances publiques (LPFP) 2023-2027 ne peut être maintenue. Alors que la loi prévoit un déficit de 4,4% en 2024, il sera plutôt de 5,7%, continuant de s’aggraver. Si le gouvernement veut « atteindre l’objectif PSSA, il faudra 30 milliards d’économies dès 2024 », et non 10 milliards, ajoute Jean-François Husson. Puis en 2025, la prévision des services est un déficit de -5,9%, contre 3,7% en 2025… Une différence de 2 points de PIB, soit « 65 milliards d’euros », souligne le sénateur LR.

“Cela pose la question de la trajectoire d’ajustement à adopter pour le programme de stabilité qui doit être crédible”, selon une note des services de Bercy.

La note met clairement en garde sur l’avenir des événements : « Cela pose la question de la trajectoire d’ajustement à adopter pour le programme de stabilité qui doit être crédible et suffisamment ambitieux pour rassurer nos partenaires et les marchés », est-il écrit. La note évoque la nécessité de recourir au mécanisme de correction de la loi de programmation, « à partir de 2024 ».

Jean-François Husson pointe une autre difficulté, constatée à la suite de son inspection : « Le gouvernement a ouvert 16 milliards d’euros de crédits supplémentaires, non prévus pour 2024 ». Il s’agit de « reports de crédits non utilisés en 2023 ». « En temps normal, les reports de crédits sont de l’ordre de 3 à 4 milliards », précise le sénateur LR. Jean-François Husson voit « un double discours, une duplicité » chez Bruno Le Maire :

En utilisant ces reports de crédit, c’est aussi une façon pour le gouvernement d’éviter de revenir devant le Parlement. «C’est de la réserve, ça facilite la navigation», décrypte le rapporteur de la commission des finances.

“Il faut un véritable électrochoc”

Jean-François Husson n’attend pas grand-chose de la rencontre, jeudi à Bercy, entre le ministre et les présidents de groupes et les rapporteurs. « Bruno Le Maire nous dit qu’il attend des propositions d’économies de la part des parlementaires. Mais quand nous avons voté 7 milliards d’économies au Sénat, cela a été effacé d’un trait de plume », rappelle le sénateur. Il réclame plutôt « un conseil de crise pour définir un plan de bataille de redressement des comptes ». “Il faut chercher partout : l’Etat, les dépenses sociales, les collectivités locales.” « Il faut un véritable électrochoc, prévient Jean-François Husson, on n’a même plus brûlé la caisse. Les comptes sont dans le rouge, c’est une catastrophe.» En attendant, un débat sur l’état des finances a été annoncé aujourd’hui pour le 29 avril, à l’Assemblée. Le lendemain, le programme de stabilité sera débattu, le 30 avril, au Sénat.

 
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