« Pour nos politiques, la prise en charge du handicap mental n’est malheureusement pas une priorité »

« Pour nos politiques, la prise en charge du handicap mental n’est malheureusement pas une priorité »
Descriptive text here

ENTRETIEN – A l’occasion de la Journée mondiale de la trisomie 21, Vanessa Arcos, auteur de1 chance sur 666raconte la chance qu’elle a de grandir aux côtés de sa fille, Valentine, trisomique. Mais elle déplore le manque de considération de notre société envers le handicap mental.

Vanessa Arcos est l’auteur de récits philosophiques et 1 chance sur 666 (Editions Terre en Ciel, 2021).


LE FIGARO. – Ce 21 mars est la Journée mondiale de la trisomie 21. Notre société prend-elle suffisamment soin de cette maladie génétique ? Comment l’expliquer ?

Vanessa ARCOS. – Si la société était plus inclusive, nous pourrions réagir positivement. Mais cette idée d’inclusion est plus un slogan qu’une réalité. Aujourd’hui, que ce soit à la garderie, à l’école ou dans le monde du travail, on ne donne pas assez de place à ces personnes. Il n’y a que 0,5 % des personnes souffrant d’un handicap mental qui travaillent dans le monde ordinaire. Or, s’ils n’ont pas leur place dans notre société, c’est comme s’ils n’existaient pas.

Et lorsqu’ils ont la chance de travailler, c’est le plus souvent dans un environnement protégé. Certes, ce type de structure peut être utile, mais il ne faut pas oublier que certaines personnes ont un réel potentiel et la possibilité d’occuper les mêmes postes que les gens ordinaires. Si cela dysfonctionne, ce n’est que la suite logique du fonctionnement de notre société : de la crèche au monde des adultes, rien n’est mis en place pour inciter les personnes handicapées à s’intégrer dans le monde « ordinaire ». , ce qui constitue une véritable inégalité de traitement. On constate également une certaine discrimination selon le lieu de résidence. Dans la région, le fonctionnement des Maisons départementales pour personnes handicapées (MDPH) est assez aléatoire… On ajoute sans cesse l’indifférence à l’indifférence et l’injustice à l’injustice.

Par ailleurs, il me semble que le terme de syndrome est plus approprié que celui de maladie. Ils ne sont pas malades parce qu’ils ne sont pas carencés. Si on considère qu’ils sont malades alors on ferme le champ des possibles, on considère qu’ils sont forcément déficients… Les mots « syndrome » ou « différence » sont, à mon sens, plus justes, et permettent d’arrêter certains trop vite. jugements… Même s’il s’agit d’un syndrome génétique.

Le handicap force l’authenticité : on prend les gens tels qu’ils sont et on retrouve alors une force d’amour et de liberté.

Vanessa Arcos

Pour expliquer ce manque d’inclusion, je pense avant tout que c’est une différence qui fait peur. Ceux qui ne sont pas confrontés à un handicap ne connaissent pas ces personnalités, ces différents êtres. Cependant, cette différence n’est pas une identité mais une particularité. Ils ont, comme tout le monde, des caractères et des goûts qui les différencient et les ramènent à ce que nous sommes tous : des êtres différents. La vision que la société a du syndrome de Down est déformée. Mais sans nous leurrer, il y a aussi un impératif économique et financier qui entre en jeu derrière le handicap. Que ce soit sur le plan personnel ou politique. Les politiques font des choix et malheureusement, aujourd’hui, c’est loin d’être une priorité.

Les associations pallient-elles un État défaillant en la matière ?

Depuis que l’État a fait des choix – selon l’injonction économique – les associations l’ont remplacé. Le tissu associatif est également relativement bien développé. Ils agissent d’abord essentiellement pour « changer le regard » à l’égard de la trisomie 21 : c’est non seulement louable, mais c’est aussi une première étape essentielle. Mais quels sont les espoirs ? Quelles sont les actions possibles ? Il me semble que ces associations existent et promeuvent de nombreuses initiatives en faveur des personnes trisomiques, sans sortir de ce cadre. Il est cependant nécessaire d’agir.

Lire aussiÉléonore Laloux, une femme ordinaire

Maman d’une petite fille – Valentine – trisomique, mon mari et moi nous sommes lancés dans un nouveau projet associatif, visant à intégrer les personnes handicapées – touchées par la trisomie 21 ou l’autisme notamment – ​​dans le monde professionnel. Ma fille est maintenant adolescente et a 14 ans. La question de l’orientation professionnelle va donc se poser très prochainement. Les seules solutions proposées sont des « contournements », sans ambition… L’État ne met rien en place et s’en remet systématiquement aux instituts médico-pédagogiques (IME). Cela n’ouvre aucune perspective d’ouverture sur le monde ordinaire. Car comme pour tout le monde, sans diplôme il est difficile d’entrer dans le monde professionnel. Ce projet associatif vise donc à s’adapter au fonctionnement de ces personnes handicapées et à leur temps d’apprentissage. Parce que certaines personnes parviennent à s’intégrer dans le monde ordinaire. Ce grand chantier ouvrira à la rentrée 2025 et vise à créer un diplôme en alternance adapté – pour toutes les entreprises souhaitant investir dans ces jeunes –, équivalent au niveau CAP, pour que ces jeunes deviennent des salariés polyvalents. dans le commerce et la distribution. – de l’alimentation aux vêtements… Et le but est de rapprocher deux mondes qui, d’habitude, ne se rencontrent jamais. Nous envisageons donc d’ouvrir cette formation au sein d’un campus lyonnais, auprès d’étudiants ordinaires.

Vous avez publié un livre en 2021 intitulé 1 chance sur 666 . Que signifie ce titre ?

Initialement, le seul but de ce titre était d’énoncer la statistique présentée lors du dépistage du syndrome de Down lorsque j’étais enceinte. À 32 ans, j’avais 0,2 % de chances d’avoir un enfant trisomique. 0,2% pour moi signifiait 0%. Alors quand Valentine est née, ce fut un choc.

Lire aussiThierry Marx, formateur aux Cafés Joyeux : “Ce ne sont pas des gens assistés !”

Puis, du risque, il est devenu « hasard ». J’ai découvert, avec Valentine, une réalité à laquelle je ne m’attendais pas et j’ai voulu transmettre ces élans de vie et de positivité dans cette œuvre. J’ai énormément grandi, tant sur le plan humain que spirituel ; ma fille m’a beaucoup aidé. D’ailleurs, 666 est le nombre du diable. Dans la même phrase, j’ai voulu mettre côte à côte « 666 » et « chance » pour faire un pied de nez au destin et à ceux qui perçoivent le handicap comme une catastrophe (même si c’est par ignorance). Ce livre peut se résumer dans ce titre : Je raconte tout ce que ma fille m’a donné. Ce qui fut un accélérateur de conscience permettant de se concentrer sur l’essence de la vie, loin des diktats et des normes. Le handicap force l’authenticité : on prend les gens tels qu’ils sont et on retrouve alors une force d’amour et de liberté.

Quelle est la différence concrète, au quotidien, entre votre fille Valentine et les autres enfants de son âge ?

Je vais vous en dire plus sur les points communs : c’est une adolescente comme les autres. C’est une jeune fille pétillante, joyeuse et épanouie, qui aime autant la musique que sortir avec ses amis. Elle aime surtout discuter. Cela reste difficile de bien s’exprimer et cela demande des efforts, mais elle a cette envie de tendre la main aux autres.

Le « je » est un instrument de pouvoir ; tout est en suspens quand on ne sait pas – ou ne peut pas – utiliser le « je ».

Vanessa Arcos

Elle s’implique également dans diverses associations et fait notamment du théâtre. En fin de compte, elle aime la vie et aime toujours aller au cinéma ou au restaurant. L’école est pour elle un vrai bonheur et c’est peut-être là la différence avec les autres adolescentes de son âge…

Vous évoquiez dans nos colonnes, en 2021, l’utilisation du « je » par Valentine comme « Passeport pour l’autonomie » . Cela signifie-t-il que le « je » est une condition d’existence et d’indépendance ?

Comme c’est souvent le cas, les personnes atteintes d’un handicap mental ont des difficultés à parler et à articuler leurs pensées ; ils ont donc du mal à s’affirmer et à dire « je ». Cela peut paraître facile mais pour ces jeunes, construire une belle phrase commençant par « je » est un véritable défi. S’affirmer reste compliqué pour Valentine. Cela est parfois dû à une certaine timidité mais c’est aussi dû à une difficulté à s’exprimer correctement.

Or, cela fait partie de l’affirmation de soi : « je veux », « je veux », « je pense », « je ressens »… Il lui est aussi plus facile de réfuter une affirmation ou de s’opposer à une situation – en disant « je je ne veux pas » – que le contraire. Le « je » est un instrument de pouvoir ; tout est en suspens quand nous ne savons pas – ou ne pouvons pas – utiliser le « je ». Son utilisation concerne l’autodétermination et le choix : le « je » vous permet de penser par vous-même.

L’individualisme croissant de notre société a-t-il des conséquences sur la manière dont nous percevons le handicap ?

Dans notre société, plus personne ne se regarde et ne s’accepte tel qu’il est, ce qui peut isoler davantage certaines personnes, notamment celles en situation de handicap. Cependant, il faut être curieux de connaître la différence. Mais il y a aussi, à l’inverse, des personnes toujours plus curieuses de l’Autre ; qui recherchent la dissonance et la différence pour s’ouvrir à cet enrichissement. Notre monde est fragmenté et les positions sont exacerbées à l’extrême. Ce que nous ne devons pas faire, c’est isoler de plus en plus les personnes handicapées. On peut en avoir peur par méconnaissance du sujet. Mais il faut être attentif et considérer qu’ils ont leur place dans notre société, pour mettre fin à la présomption d’incompétence. De plus, ils sont de moins en moins nombreux. Ce qui peut les conduire à être de plus en plus marginalisés… C’est une question d’humanité.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

NEXT Les trois raisons d’aller voir SU Agen – Biarritz Olympique jeudi à 21h à Armandie