Recep Tayyip Erdogan se rapproche de sa réélection. Il devance son adversaire, Kemal Kiliçdaroglu, de plus de trois points, à trois jours du second tour de l’élection présidentielle en Turquie prévu dimanche. Quelle qu’en soit l’issue, cette campagne aura été marquée par un discours de plus en plus affirmé, celui de l’extrême droite.
Comment ce thème nationaliste a-t-il prévalu dans la campagne ? Fera-t-il partie de la ligne politique du prochain mandat présidentiel ? Quelles sont les raisons de son succès ? « Le discours nationaliste a toujours été très décisif en Turquie », explique 20 minutes Adel Bakawan, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri) et spécialiste du Moyen-Orient.
Comment l’extrême droite s’est-elle imposée dans la campagne présidentielle turque ?
La République turque a vu fleurir le discours nationaliste durant cette période intermédiaire. Le principal adversaire d’Erdogan a même changé de tactique et adopté un récit d’extrême droite après le premier tour. Kemal Kiliçdaroglu se revendique modéré et porteur d’idées libérales, pour la démocratie. Depuis, il a « radicalement changé de ton au point de promettre l’expulsion de tous les réfugiés syriens de Turquie », note Adel Bakawan. Ils sont officiellement 3,7 millions à avoir fui la guerre et la répression de Bachar al-Assad sur le sol turc.
Désormais, “les dominants s’orientent vers ce cadre de réflexion comme s’il s’agissait de la seule grille de lecture décisive lors d’un vote”, développe le spécialiste du Moyen-Orient. La Turquie se retrouve dans un environnement géopolitique particulier, entre la Syrie en guerre depuis dix ans, l’Irak et son “État pratiquement inexistant” ainsi que l’Iran “maudit par la communauté internationale”, énumère le chercheur. Alors « la seule chose qui compte, c’est la puissance militaire », la puissance de la Turquie dans un environnement hostile. “Le nationalisme est un réconfort, on s’y sent bien”, abonde auprès de l’AFP l’historien français Etienne Copeaux, spécialiste du nationalisme turc, qui évoque un “consensus obligatoire”, un “catéchisme” consubstantiel à la nation forgé par Mustafa Kemal Atatürk.
---Le prochain mandat présidentiel sera-t-il marqué à l’extrême droite ?
Sauf énorme surprise, Erdogan devrait s’imposer face à Kemal Kiliçdaroglu. Ce changement radical de ton risque de faire perdre des voix à l’adversaire du président sortant, sachant que dans les zones kurdes, 75 % des électeurs ont voté pour lui. “Son discours ne tient pas, il est pragmatique, alors qu’Erdogan exploite l’histoire de la religion, de l’histoire, de manière cohérente pour se faire élire, il est alors plus crédible”, souligne Adel Bakawan. Mais devra-t-il maintenir cette ligne d’extrême droite une fois élu ? Erdogan a reçu le soutien du troisième homme du premier tour, l’ultranationaliste Sinan Ogan, avec 5,2% des voix.
S’il est élu, il est probable qu’Erdogan devra alors “gérer l’extrême droite de manière subtile, sans jamais la brutaliser mais sans lui laisser non plus toute la place”, analyse le chercheur. Adel Bakawan ne prédit pas un durcissement de la ligne politique de l’actuel chef de l’Etat. “Confortablement réélu, il se présentera comme un rassembleur, respecté à l’intérieur comme à l’extérieur, avec la volonté d’apaiser la société turque”, avance le spécialiste selon qui “on sera plus dans la continuité”. »
Comment expliquer un tel succès du récit nationaliste ?
L’extrême droite sortira certainement plus forte et pourrait prendre du poids après cette élection. Dans un pays en difficulté économique, où le coût de la vie est très cher, pourquoi cette préoccupation nationaliste est-elle si partagée dans la société ? Plusieurs aspects peuvent l’expliquer, avec en premier lieu la présence massive de réfugiés syriens, “un élément fondamental” du discours d’extrême droite, selon Adel Bakawan. De plus, l’Etat turc a construit un “discours autour d’un ennemi à la périphérie du pays, le PKK, considéré comme terroriste et une menace pour la sécurité nationale”, explique le spécialiste.
Enfin, le contexte du Moyen-Orient dans son ensemble joue également un rôle, notamment depuis l’accord historique entre l’Iran et l’Arabie saoudite « pour renforcer la région sur un modèle autoritaire, très loin de la démocratisation du Moyen-Orient », ajoute Adel Bakawan. “Dans cet environnement, la société turque est très sensible au discours nationaliste, la politique d’Erdogan n’est pas un modèle de démocratie, de liberté d’expression et de respect des droits de l’homme, c’est un modèle qui correspond à ce qu’est le Moyen-Orient autoritaire émergent”, poursuit-il. Et avec le président sortant, « nous aurons un Moyen-Orient cohérent qui sort pour des années de distance avec les droits de l’homme, les libertés et la démocratie. »