Il n’a pas fallu longtemps à Yohann Leroy pour prendre ses distances avec SpaceX. En tant que président-directeur général de Maiaspace, son objectif est de concevoir et produire une fusée réutilisable, la première du genre en France, mais aussi en Europe, ce qui force la comparaison avec l’entreprise américaine.
Mais tandis que SpaceX – fondé 20 ans plus tôt – est devenu un mastodonte de l’orbite avec plusieurs lancements par semaine, Maiaspace – filiale d’Ariane Group créée en 2022 – se veut un acteur plus raisonné. L’idée est d’apporter un service beaucoup plus personnalisé à ses clients, sans chercher à constituer sa propre constellation de satellites ni à devenir un acteur majeur de la conquête spatiale.
« Développement itératif et incrémental »
La fusée Maia est attendue pour un premier lancement opérationnel en 2026. Où en êtes-vous et comment parvenez-vous à respecter un délai aussi court ?
Nous sommes à peu près à mi-chemin. J’utilise généralement une métaphore sportive pour répondre à cette question. Lorsque vous courez un marathon, le premier semi-marathon se déroule généralement sans problème et ce qui détermine notre résultat, c’est la seconde moitié de la course. Sauf que là, on construit un lanceur en quatre ans, ce qui n’a jamais été fait. Il faudrait donc plutôt parler de sprint que de marathon.
Côté comment, nous avons adopté la méthode Agile, inspirée du développement logiciel. Nous l’avons adapté car une fusée inclut certes du logiciel, mais aussi du matériel. Cela implique de faire un développement itératif et incrémentiel.
En effet, nous divisons notre lanceur Maia en systèmes plus petits (le premier étage, le deuxième, les structures, etc.) et nous visons à produire trois modèles différents pour chacun. Il y aura d’abord un premier prototype, que nous testerons pour améliorer le design du second qui sera beaucoup plus proche de ce que nous souhaitons. Les tests de ce deuxième prototype valideront la conception du premier modèle de vol.
Nous effectuons actuellement des tests au sol des deuxièmes prototypes. Nous vérifions des aspects tels que la résistance aux vibrations, à l’écrasement ou encore la bonne résistance à la pression. Ce n’est que notre troisième itération qui aura vocation à voler. Mais après ce premier vol, nous continuerons à faire évoluer Maia pour atteindre les performances que nous nous sommes fixées.
“Il y a cette notion de réutilisation, mais la comparaison avec SpaceX s’arrête là”
Maiaspace est souvent présenté comme le SpaceX français. En quoi cette comparaison est-elle vraie ou fausse ?
Tout d’abord, MaiaSpace est certes basé en France, mais notre ADN est résolument européen : à travers nos actionnaires Airbus et Safran, notre empreinte industrielle, avec 40% des coûts des lanceurs qui seront générés hors de France en Europe, et la diversité de l’équipe .
Ensuite, pour le grand public, il y a cette notion de réutilisation. D’ailleurs, la manière de récupérer notre premier étage est assez similaire à la façon dont SpaceX s’y prend. Et cette technique est elle-même très proche de celle imaginée bien plus tôt par les Européens, mais abandonnée parce qu’ils étaient convaincus qu’elle n’avait aucun sens économique.
Mais la comparaison avec SpaceX s’arrête là. D’abord parce que notre lanceur n’est pas dans la même portée que Falcon 9. Deuxièmement, la fréquence de lancements visée est de l’ordre d’un décollage toutes les deux semaines, alors que SpaceX en organise plusieurs par semaine.
Nous espérons également prendre environ 25 % du marché accessible aux satellites de moins de 3 tonnes en orbite basse. Quand SpaceX est son propre client [notamment pour alimenter son service de communication par satellite Starlink, ndlr]nous espérons pouvoir proposer une offre compétitive en matière de satellites d’observation, de télécommunications ou scientifiques.
Nous avons également une vision assez différente. Elon Musk a lancé SpaceX pour l’exploration spatiale dans l’espoir qu’un jour les humains vivront ailleurs que sur Terre. Notre objectif, avec Maiaspace, est au contraire d’essayer de faire en sorte que la vie sur Terre puisse rester vivable le plus longtemps possible.
« L’accès à l’espace est une question de souveraineté »
En quoi la création d’une fusée réutilisable est-elle un enjeu pour l’Europe et pour la France ?
C’est une question de compétitivité. C’est dommage de construire à chaque fois une fusée s’il est possible d’en récupérer une partie. Surtout le plus cher, car le premier étage représente plus de la moitié du coût total de la fusée.
L’accès à l’espace est une question de souveraineté, une question géostratégique. Cependant, les budgets publics sont limités. Il existe donc des conditions nécessaires pour que l’Europe et la France maintiennent l’accès à l’espace, notamment en termes de coûts. Et disposer d’un lanceur réutilisable compétitif est l’une de ces conditions.
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