Quelles sont les spécificités des rivières intermittentes ?
Thibault Datry : Les rivières intermittentes sont des cours d’eau qui connaissent des périodes sans débit ou complètement sans eau. Ils abritent des espèces adaptées à ces cycles hydriques ou secs, comme certaines larves et œufs, capables de survivre en dormance pendant les périodes sèches, avant de reprendre vie à l’arrivée de l’eau. D’autres espèces évoluent vers des formes terrestres adultes juste avant l’assèchement de la rivière, se reproduisent hors de l’eau pendant l’été et pondent à l’automne lorsque l’eau retourne dans les rivières.
Ces rivières contribuent à la chaîne alimentaire car les invertébrés qu’elles abritent fournissent de la nourriture aux poissons et soutiennent les chaînes alimentaires, souvent tout en aval. De plus, ils jouent un rôle clé dans le cycle du carbone, en transportant et en dégradant la matière organique terrestre le long des réseaux hydrographiques. Enfin, ils atténuent les inondations, rechargent les eaux souterraines et peuvent limiter l’expansion des espèces envahissantes. Les cartes de référence montrent qu’une grande proportion de rivières sont naturellement intermittentes : 60 % des ~7 500 000 km de rivières cartographiées par l’IGN (BD Topo), comme l’Albarine (01), les Gardons (30) ou la Drôme (26) .
Les rivières intermittentes, situées à la frontière entre les écosystèmes terrestres et aquatiques, sont de fascinants milieux intermédiaires, ou écotones.
Comment évolue la biodiversité dans ces milieux ?
Thibault Datry : En comparant les données des États-Unis, de Nouvelle-Zélande, d’Australie et d’Europe sur la biodiversité dans un contexte d’intermittence naturelle, l’évidence était là : le nombre d’espèces qui disparaissent avec l’augmentation du - de séchage était constant, quel que soit le territoire. Même dans la plaine amazonienne de Bolivie, j’ai découvert des espèces et des réponses quantitatives identiques à celles mesurées ailleurs. L’importance de l’intermittence et des processus évolutifs sous-jacents communs dans les rivières a été démontrée.
Le changement climatique amplifie les périodes de sécheresse et d’inondations, ce qui affecte la biodiversité. Les rivières pérennes deviennent intermittentes. D’autres sèchent de moins en moins. Les transitions entre phases terrestres et aquatiques dans ces rivières sont particulièrement intéressantes. Ils peuvent générer des pics d’émissions de CO2 en quelques heures lorsque les eaux reviennent ou peuvent entraîner vers l’aval les contaminants accumulés dans leur lit, mettant en danger les masses d’eau superficielles et souterraines alors reliées. Enfin, ces transitions de phases peuvent être des moments d’interactions riches entre biodiversité terrestre et aquatique. Ces processus et leurs impacts sont actuellement étudiés.
Dans quelle mesure votre approche est-elle originale ?
Thibault Datry : J’ai développé mes recherches de l’échelle locale à l’échelle mondiale grâce à de précieuses collaborations.
Le projet DRYvER modélise l’impact du changement climatique sur les rivières intermittentes et les services qu’elles rendent. Grâce à la science citoyenne, les citoyens peuvent signaler l’assèchement des rivières via l’application DryRivers, contribuant ainsi à cartographier ces rivières en Europe et à améliorer les modèles écohydrologiques pour mieux les gérer.
Le réseau « 1 000 fleuves intermittents » rassemble 250 scientifiques de 28 pays. Actuellement, à Lyon dans l’équipe EcoFlowS, nous comparons 150 échantillons d’ADN environnemental provenant d’eau et de sédiments séchés prélevés dans des rivières pérennes et non pérennes de ces pays.
Depuis 2021, Thibault Datry est co-directeur de OneWater-Eau Commun Bien national research program (PEPR)co-piloté par INRAE, BRGM et CNRS. OneWater s’inscrit dans France 2030 et dispose de 53 millions d’euros sur 10 ans pour fédérer une communauté de recherche interdisciplinaire et co-construire des solutions adaptées aux enjeux liés à l’eau, à travers des approches intégrées et multifacettes. -acteurs.
Qu’espérez-vous en termes d’impact ?
Thibault Datry : Mon objectif est de sensibiliser les acteurs de l’eau et les citoyens à l’importance de protéger l’eau douce et notamment les rivières intermittentes. Souvent perçues comme inutiles, utilisées comme décharges ou pour construire des réservoirs d’eau, voire retirées de la législation car « atypiques » ou perçues comme « hors cours d’eau », elles nécessitent des outils de gestion adaptés, et surtout un changement de considération.
J’ai fait des recommandations utilisées dans les plans nationaux de gestion de l’eau. Un manuel est destiné spécifiquement aux gestionnaires de l’eau (projet SMIRES). En tant qu’expert français au sein d’ECOSTAT, je sensibilise les États membres de l’UE à la connectivité, même temporaire, des rivières permanentes et intermittentes. Une subvention de Make Our Planet Great Again en 2020 m’a permis de superviser la création d’un nouveau cadre d’évaluation de l’état écologique de ces rivières.
90% de mes publications et publications de données sont en libre accès, tout comme l’Intermittent River Biodiversity Database (IRBAS).
Chaque bassin versant contient des rivières intermittentes. Il faut considérer les rivières intermittentes comme n’importe quelle autre rivière, même lorsqu’elles n’ont pas d’eau.
Et demain ?
Thibault Datry : La Directive Cadre sur l’Eau impose d’évaluer l’état écologique des masses d’eau, ce qui pose le défi de définir des indicateurs spécifiques aux rivières intermittentes pour aider les gestionnaires à préserver et restaurer la biodiversité mondiale des eaux douces. De nouveaux outils tels que les images satellites et l’ADN environnemental permettent d’améliorer notre compréhension des réponses écohydrologiques de ces milieux. Il est également urgent de travailler avec la société (citoyens, gestionnaires, politiques) pour changer les perceptions. Enfin, comprendre les enjeux des modifications de l’intermittence en réponse aux changements globaux me tient particulièrement à cœur.
De la montagne à la recherche : une vie d’équilibre et de découverte
En tant que chercheur, je vis comme je travaille : en harmonie avec la nature et la musique. Mon quotidien se partage entre mes recherches, ma famille et la vie dans une petite ferme de montagne : m’occuper des animaux et des ruches, couper du bois… J’ai adopté un mode de vie indépendant qui génère un budget carbone très faible. Très enrichissant, parfois dur, il enrichit ma compréhension des écosystèmes et du changement climatique. L’accordéon m’accompagne aussi, avec de la musique balkanique et des concerts réguliers.
Le portrait de Thibault Datry
L’excellence des travaux de Thibault Datry lui a valu le Défi Scientifique Laurier INRAE 2024.
Découvrez son portrait.