l’injection d’eaux usées dans le sous-sol pourrait en être responsable – .

l’injection d’eaux usées dans le sous-sol pourrait en être responsable – .
l’injection d’eaux usées dans le sous-sol pourrait en être responsable – .

Quelle est la situation sismique à Lacq ?

Le tout premier séisme a été détecté dans le bassin de Lacq en 1969. Ces événements sont devenus plus réguliers à partir de 1976. Et on enregistre, en moyenne, quelques dizaines de séismes de magnitude supérieure à 1 par an, et quelques événements de magnitude 2 à 3 par an. Six séismes ont dépassé la barre des 4 (en 1972, 1978, 1981, 2013 et 2016). Nous n’avons pas de traces historiques de séismes plus anciens ressentis par la population. Il est donc important de comprendre l’origine de ce phénomène qui semble assez récent.

Peut-on exclure une origine naturelle à ces tremblements de terre ?

Lacq est situé près de Pau et non loin des Pyrénées. On peut légitimement se demander si l’activité tectonique liée à la chaîne pyrénéenne en est la cause. Celle-ci s’est formée lorsque la plaque ibérique est entrée en collision avec la plaque eurasienne, il y a entre 49 et 28 millions d’années. Elle a ensuite subi une nouvelle compression, il y a 16 millions d’années, impliquant la plaque africaine. Or, une telle collision crée des failles, qui sont des zones de faiblesse de la croûte terrestre, et des tremblements de terre au niveau de ces failles.

Mais dans le cas qui nous intéresse, nous n’observons plus aucun mouvement vers les plaques ibérique et eurasienne. Et même, au contraire, les tremblements de terre que nous enregistrons dans les Pyrénées sont dus à la dynamique de séparation des plaques. L’érosion et le mouvement gravitationnel entraînent une nouvelle distribution de la masse de la chaîne de montagnes, techniquement cela s’appelle l’isostasie.

Lacq est situé trop loin pour présenter des séismes liés à l’isostasie des Pyrénées. Sur une carte répertoriant les séismes, on observe une séparation nette entre ceux des Pyrénées et ceux du bassin de Lacq. Les failles trouvées à Lacq, stigmates de la collision des plaques, sont considérées comme inactives.


Sismicité de 2019 à aujourd’hui dans le sud-ouest de la France, extraite du catalogue national français BCSF-Renass. La sismicité induite de Lacq (en orange) est bien séparé de la sismicité liée à la chaîne pyrénéenne (en rouge).

© Jean Letort, carte BCSF-RENASS

Cependant, un déclencheur, c’est-à-dire une variation des contraintes dans la croûte, est nécessaire pour expliquer la présence de séismes à Lacq. Dans cette région, les mouvements tectoniques de longue durée ou l’isostasie des Pyrénées ne contribuent que pour une part négligeable aux variations de contraintes. En revanche, certaines activités d’origine anthropique pourraient avoir une influence plus importante sur la distribution de ces contraintes.

Ces activités sont-elles liées à l’histoire industrielle du bassin de Lacq ?

Très probablement. D’importantes réserves de pétrole et de gaz ont été découvertes à Lacq. Le pétrole est exploité depuis 1950, provenant d’un réservoir peu profond (700 mètres de profondeur). L’extraction de gaz a commencé plus tard, en 1957, dans un réservoir plus profond, entre 4 et 5 kilomètres de profondeur. L’exploitation du gaz s’est poursuivie jusqu’en 2013 et est depuis très négligeable.

Après le premier tremblement de terre de 1969, l’extraction a été rapidement suspectée d’être à l’origine des tremblements de terre. Il faut comprendre que l’épuisement du réservoir de gaz entraîne une diminution de la pression dans le sous-sol qui se restructure. La pression du gaz est passée de 66 mégapascals (650 fois la pression atmosphérique) au début de l’exploitation en 1957 à 1,5 mégapascals à la fin de son exploitation en 2013.

Y a-t-il une autre hypothèse ?

Pour limiter les pertes de charge, les exploitants injectent des eaux usées dans le réservoir. Ces fluides proviennent en partie de l’extraction. Lorsqu’un réservoir d’hydrocarbures est exploité, on en extrait également de grandes quantités de fluides dont on n’a pas besoin. Ceux-ci sont réinjectés dans le réservoir. Par ailleurs, de nombreuses industries chimiques, spécialisées dans la thiochimie (transformation chimique de produits contenant du soufre), se sont implantées dans la région de Lacq. Certaines utilisent le gaz, et notamment le soufre, extrait du réservoir. Après traitement, il reste des composés soufrés, des « eaux usées », appelées effluents. Au lieu de stocker ou de retraiter ces eaux, on les injecte dans le sol. Parfois, si les volumes sont insuffisants, on injecte également une fraction de l’eau du gave de Pau, une rivière.

On commence à bien comprendre le lien entre l’injection de fluides dans le sous-sol et la sismicité. De nombreuses études ont été réalisées, notamment dans l’État de l’Oklahoma, aux États-Unis, devenu en 2015-2016 l’État le plus sismique du pays, en raison d’activités industrielles utilisant l’injection d’eaux usées dans le sous-sol. La sismicité a ensuite diminué à partir de 2017, accompagnée d’une réduction des volumes injectés et de la fermeture de nombreux sites.

Peut-on savoir si l’origine des tremblements de terre est l’extraction de gaz ou l’injection d’eau ?

Si l’extraction est la cause des tremblements de terre, on s’attend à voir deux signatures spécifiques : l’hypocentre (la localisation en profondeur) des tremblements de terre est situé de manière privilégiée au-dessus du réservoir d’où l’on extrait le gaz, et, à mesure que ce dernier est exploité et qu’il s’affaisse, se contracte (on parle d’épuisement), les hypocentres des tremblements de terre migrent du centre vers la périphérie.

Avez-vous observé ces signatures ?

Les spécialistes qui étudient le site de Lacq depuis cinquante ans se sont trouvés confrontés à une difficulté. Grâce aux relevés des industriels, ils disposaient d’un bon modèle du sous-sol et de la vitesse de propagation des ondes, indispensables pour localiser correctement les séismes. Mais le réseau d’instruments en place ne permettait pas une analyse fine des différents types d’ondes sismiques (ondes longitudinales P et transversales S), d’où de grandes incertitudes dans la localisation des hypocentres. Les résultats n’ont pas tous abouti à la même conclusion, mais certains ont suggéré que l’exploitation minière en était bien la cause.

Mais l’extraction s’est arrêtée en 2013 et les tremblements de terre continuent, que peut-on en conclure ?

Pour savoir ce qui se passe réellement, depuis 2020, en partenariat avec le Centre de recherche allemand en géosciences, à Potsdam, en Allemagne, nous avons installé un réseau de capteurs plus dense et plus sensible qui nous permet d’analyser de plus près les tremblements de terre pour mieux les localiser.

Une partie importante de notre travail a également consisté à reprendre toutes les données d’il y a cinquante ans, et à les analyser à la lumière de nos connaissances actuelles pour comprendre pourquoi elles ont conduit à tel résultat plutôt qu’à un autre.

Nous avons réparti les données en trois catégories : celles où nous n’avions aucune contrainte sur la localisation (ce qui représente 84% des données), celles où la précision est inférieure à 2 à 3 kilomètres et celles où elle est inférieure à 1 kilomètre.

Cette nouvelle analyse nous a permis d’avoir un ensemble de données plus cohérent et de conclure que l’hypothèse d’une sismicité essentiellement liée à l’extraction n’était pas correcte. L’origine des séismes semblait provenir du réservoir en profondeur et ne suivait pas un effet de migration vers la périphérie. Et plus intéressant encore, nous avons obtenu des corrélations temporelles.

A quoi correspondent-ils ?

Depuis 2016, nous avons accès quotidiennement aux données sur les volumes d’eau injectés. Nous avons constaté qu’il existait un effet de seuil : si une injection importante de fluide se poursuivait sur plusieurs jours, alors nous observions une activité sismique importante. Cette réponse n’est pas toujours immédiate et peut se manifester sur une période de plusieurs semaines à quelques mois. La corrélation est statistiquement forte. Et, par exemple, au cours de l’hiver 2018-2019, le nombre de jours d’injection importante a été inférieur aux autres années et l’activité sismique qui a suivi a diminué.

Bien que forte, nous n’avons établi qu’une corrélation entre ces facteurs. Pour établir fermement la causalité, il faudrait construire un modèle complet du phénomène, notamment pour expliquer comment, par diffusion lente dans le sol, l’injection de fluide déclenche des séismes avec retard.

Quels sont les enjeux de la compréhension de ces séismes anthropiques ?

Ces dernières années, les activités industrielles exploitant le sol en profondeur se sont multipliées : extraction de gaz et de pétrole dont les réservoirs les plus proches de la surface sont épuisés, fracturation hydraulique, injection d’eaux usées, géothermie profonde, stockage de CO2etc. Il y a donc des enjeux sécuritaires pour les populations locales et des enjeux économiques. A cet égard, trois sites en Europe ont été étudiés en détail : un site d’exploitation de gaz à Groningue, aux Pays-Bas, le projet géothermique de Bâle, en Suisse et celui de Strasbourg. Ces trois sites ont provoqué des tremblements de terre et des dégâts matériels qui ont entraîné l’arrêt ou la réduction de l’activité, avec des conséquences financières qui se chiffrent parfois en millions d’euros. Il est crucial de comprendre les mécanismes par lesquels se traduisent les perturbations liées à l’activité humaine afin de mieux évaluer les risques.


Télécharger la version PDF de cet article

(réservé aux abonnés numériques)

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV La fin de Windows 10 entraîne une hausse des ventes de PC – .
NEXT Ces deux smartphones Samsung sont à des prix imbattables