Par Julian ALVAREZ, professeur associé à l’Université de Lille, Docteur en Sciences de l’Information et de la Communication, Université de Lille.
Vous faites peut-être partie des adultes qui jouent aux Lego® pour se détendre : la marque aux petites briques en plastique propose en effet une offre de plus en plus étoffée pour les plus grands. On vous explique les raisons de cet engouement.
En 2023, Lego® a réalisé un chiffre d’affaires de 8,8 milliards d’euros. Si l’on considère que le marché international du jouet représentait 168 milliards d’euros en 2023, cela représentait environ 5,25 % de part de marché. Ce succès s’explique en partie par la diversification que la marque danoise a su réaliser en produisant des jeux vidéo (Lego Star Wars, Lego Batman, etc.), des films (The Lego Movie, etc.), des émissions de télévision (Lego Masters, etc.), etc.
Si les parents peuvent acheter des Lego® pour leurs enfants par nostalgie, certains adultes en consomment pour leur usage personnel. Ainsi, en 2021, 20 % des adultes achetaient des petites briques en plastique. Pour accompagner cette demande, la marque propose désormais des coffrets destinés aux 18 ans et plus, avec la collection « Lego Architecture » proposant de reproduire des monuments comme le Colisée de Rome, Notre-Dame de Paris, des « Icônes » avec la Tour Eiffel, le Titanic. , la fusée Artemis, le Concorde, ou encore des objets vintage comme une radio des années 50, une borne d’arcade Pac-Man.
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Un lien avec les énigmes ?
Est-ce un phénomène si surprenant ? Assembler des briques en plastique pour reproduire une maquette revient finalement à réaliser un puzzle. Quand on sait que les boîtes de puzzle classiques de plus de 1 000 pièces sont généralement destinées aux adultes, pourquoi en serait-il autrement pour les Lego® ? Ce rapport au puzzle se retrouve à plusieurs niveaux, comme par exemple l’affichage du nombre de pièces sur chaque boîte Lego® destinée aux 18 ans et plus. Par exemple, la boîte « Carte du monde » contient 11 695 pièces. De la série « Lego Art », c’est actuellement l’objet comportant le plus de briques. « World Map » permet également de reproduire une carte du monde en mode plan. Une fois la reproduction terminée, il est également possible de l’encadrer et de l’accrocher au mur comme peuvent le faire certains « puzzleurs ».
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Mais avec Lego®, des notices explicatives sont fournies pour suivre pas à pas les différentes étapes. Cependant, le puzzle consiste à se perdre dans les méandres d’une image, ses différentes nuances de couleurs, à positionner les pièces en fonction de leurs différentes formes, pour tenter petit à petit de reproduire le modèle présenté. Avec « World Map », c’est sans aucun doute une façon de se détendre au travers de tâches répétitives. En effet, cette référence propose via un QR code accès à une bande sonore composée de témoignages de voyageurs à écouter tout en créant la carte du monde.
Le phénomène des licences
Avec d’autres modèles, comme la Tour Eiffel ou le Colisée de Rome par exemple, on passe à des puzzles en 3 dimensions. Le défi devient plus difficile : il faut utiliser la rotation mentale pour placer les briques aux bons endroits. La perception du jeu est en fin de compte une question subjective. Une fois la maquette terminée, deux possibilités : la démonter et remettre toutes les pièces dans la boîte ou la conserver intacte et pourquoi pas l’exposer. Un autre levier entre alors en jeu : la collecte.
Lego® propose de nombreuses licences comme Star Wars, la plus ancienne. Lancée en 1999, c’est aussi la plus prolifique. Elle compte à ce jour près de 950 références et plus de 1400 figurines. Cette diversité amène de nombreux adultes passionnés à afficher de tels objets chez eux ou sur les réseaux sociaux. Parmi les nombreuses associations francophones regroupant les joueurs Lego®, certaines sont spécialisées dans la licence Star Wars. Cela permet aux milliers de membres de partager leurs collections. Parallèlement, la fidélité Lego® va jusqu’à proposer aux clients VIP des figurines ou d’autres produits exclusifs pour asseoir cette dynamique de collection. Le tout est soutenu par des influenceurs qui partagent l’actualité autour de Lego® et de ses nouvelles références.
A noter que certains acheteurs conservent soigneusement les différentes boites de la licence Star Wars sans jamais les ouvrir. Il s’agit de spéculer sur la hausse des prix lorsque certaines références deviennent indisponibles à la vente. Des études montrent que les taux de rendement peuvent atteindre 11 %. Ce qui est plus lucratif que de parier sur le prix de l’or. Lego® n’hésite pas à jouer sur ce registre avec sa gamme « série collector ultime » pour signifier la rareté du produit. Ce qui permet à l’entreprise danoise de justifier des prix élevés pour de telles références.
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L’effet madeleines de Proust
Si l’on met de côté les aspects spéculatifs, la combinaison des licences Star Wars et Lego® permet d’invoquer deux madeleines de Proust simultanément. Cela se traduit par un renforcement de la dynamique d’achat pour les deux marques. Aux dioramas qui proposent de reconstituer des scènes cultes des différents films s’ajoutent les jeux vidéo Lego Star Wars. Six titres produits entre 2005 et 2022 proposent une rediffusion interactive des différents épisodes du space opera hollywoodien. Les joueurs peuvent incarner différentes figurines Lego® à l’effigie de personnages de la saga qui se déroulent dans des décors et des machines dont la grande majorité sont des références disponibles dans le catalogue.
Les ventes cumulées de ces différents titres de jeux vidéo s’élèvent à un peu plus de 45 millions d’exemplaires dans le monde. Les joueurs comprennent à la fois des enfants et des adultes. Ainsi, on peut voir à travers de tels jeux vidéo une manière d’étendre l’activité de jeu aux Lego® aux enfants. Une telle transition est stratégique sur au moins deux points. Tout d’abord, dès l’âge de 8 ans, un rapport de l’Ofcom indique que la consommation d’écran et les jeux vidéo deviennent une activité prédominante chez les enfants. Ce qui peut conduire à abandonner les jouets traditionnels au profit des jeux numériques. En déployant des jeux numériques, Lego® permet d’accompagner les transitions ludiques des enfants.
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Un autre aspect stratégique réside dans la sensibilisation de la marque aux enfants. En effet, être exposé à une marque durant l’enfance, notamment avant l’âge de 16 ans, aurait de fortes chances de se traduire par une fidélité à l’âge adulte. Dans un contexte où plusieurs pays, dont le Danemark notamment, réglementent voire interdisent la publicité destinée aux enfants pour des raisons éthiques, le fabricant doit trouver d’autres moyens de promouvoir ses produits et sa marque tout en restant dans un cadre légal.
À cet égard, faire des parents prescripteurs de la marque peut s’avérer un atout. C’est pourquoi le marketing Lego® favorise les activités familiales comme l’illustre par exemple l’étude Lego Play Well qui met en avant les bénéfices de jouer avec des briques, notamment en termes d’apprentissage. Le recours à des licences comme Star Wars, mais aussi Harry Potter, Marvel Super Heroes, Disney, Jurassic World, Indiana Jones, etc., jouent le rôle de catalyseurs pour inciter les parents à l’entrée via la fibre nostalgique. Ils pourront partager avec leurs petits des souvenirs d’enfance liés aux jeux Lego® et aux plaisirs associés aux histoires portées par les différentes licences cinématographiques.
La dimension créative
S’il est possible de créer librement à partir de n’importe quel jeu de briques, l’entreprise danoise propose également la gamme « Lego Classic » pour accompagner la démarche. Ces packs mettent en avant diverses pièces et quelques illustrations de créations possibles comme sources d’inspiration. Les magasins Lego® proposent également des endroits où s’asseoir et utiliser librement des briques en vrac. Enfants et adultes peuvent laisser libre cours à leur imagination en créant leurs propres modèles. Certains passionnés adhèrent à des associations, voire s’inscrivent aux Lego Masters. Dans cette émission télévisée, il s’agit de créer de nouveaux modèles par paires avec des directives et des thèmes, dans un temps donné : par exemple réaliser une machine volante qui fera la plus belle explosion colorée en s’écrasant au sol.
La créativité est un puissant levier d’engagement que l’on retrouve dans les activités de co-design en entreprise. L’idée étant d’inviter les collaborateurs à proposer des idées pour susciter l’innovation ou résoudre des situations complexes (résolution de problèmes, développement stratégique…) en mutualisant les approches et les expériences de différents profils : c’est le « Design Thinking ».
Les briques Lego® peuvent être utilisées dans ce registre. Ainsi, le programme Lego Serious Play propose depuis 2002 les méthodes Lego® dans le cadre de séminaires impliquant du Team Building, des Hackathons ou encore des formations. Utiliser les Lego® au travail permet certainement aux adultes de se réapproprier les briques en plastique à travers des usages productifs.
Dans le même temps, Lego® cherche à promouvoir ses fans en termes de créativité. En effet, le manque de reconnaissance pourrait être source de frustration. C’est sans doute pour cela que l’entreprise danoise propose un programme baptisé « Lego Idea ». La communauté vise à proposer des idées modèles à la société danoise. Si les propositions reçoivent 10 000 soutiens, elles sont alors étudiées pour potentiellement en faire une référence commercialisée.
Un autre levier créatif vient aussi du jeu vidéo. Minecraft est l’un des titres de jeux vidéo les plus vendus au monde avec plus de 300 millions d’exemplaires vendus entre 2009 et 2023. À l’aide de blocs que le joueur doit réaliser, ce titre permet de construire de nombreux éléments dans un environnement virtuel pouvant s’ouvrir. jusqu’au multijoueur.
Minecraft a réussi à transposer le plaisir créatif éprouvé avec les constructions Lego® dans le secteur du jeu vidéo, et les deux marques s’associent en 2012 avec les premières références Lego Minecraft, une licence qui ne cesse de se développer, issue de la communauté Lego Idea.
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Une stratégie rentable
Détente, collection, nostalgie, spéculation et créativité sont des leviers d’engagement sur lesquels s’appuie Lego®. L’entreprise danoise joue habilement sur le plan marketing pour continuer à accroître ses parts de marché en ciblant particulièrement les familles et les adultes.
L’idée est de faire des adultes prescripteurs de la marque. L’association des licences des industries du cinéma et du jeu vidéo a pour objectif de renforcer les échanges intergénérationnels. Dans le même temps, les adultes offrent l’avantage d’un pouvoir d’achat supérieur à celui des enfants. Aspect économique que Lego® a clairement identifié au vu des prix plus élevés proposés par les références pour adultes. Actuellement, le marché adulte est sans doute en train de devenir l’un des principaux leviers de croissance économique pour les Lego® : David Beckham, qui s’affiche sur les réseaux sociaux en train de jouer aux Lego®, semble prouver cette hypothèse.
La version originale de cet article a été publiée dans La conversation.
