Julien Doquin de Saint Preux performs at the Théâtre Boulimie.
L’humoriste francophone est monté pour la première fois sur scène lors d’une représentation inédite au Théâtre Boulimie de Lausanne. Entretien avec un mélancolique qui fait des blagues.
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Arrivé à Lausanne en 2012, Julien Doquin de Saint Preux, un bac littéraire en poche, une école de radio, des expériences sur plusieurs radios françaises plus tard, c’est une offre d’emploi qui a convaincu l’humoriste de reprendre son sac à dos et de quitter Paris. Direction la Suisse, avec son lot d’appréhensions, balayées après un mois de découverte de la cité vaudoise.
Avant de devenir l’un des visages et l’une des voix de Couleur3, il a d’abord fait ses débuts avec des chroniques sur le football, où il disait « un peu de merde », selon lui. Mais le Parisien n’avait pas seulement la radio en tête, il éprouvait une envie de raconter des histoires. Il a exercé sa plume sur les ondes de NRJ, écrivant des sketchs.
De ces nombreuses expériences entre NRJ, France Bleu et Couleur3 ont abouti un spectacle unique sur scène qui mêle mélancolie et humour. Intitulé « La procrastination d’un homme à jeun », Julien Doquin de Saint Preux a réussi l’examen avec la très grande mention.
Ces 10 années d’écriture de chroniques radiophoniques ont-elles été une période fructueuse ?
Julien Doquin de Saint Preux: Même si on faisait beaucoup de conneries quand j’avais 18-19 ans, on avait une vraie liberté dans l’écriture. Nous écrivions deux sketchs par jour à la radio, avec 3-4 auteurs. Entre nous, nous étions super créatifs. Eh bien, je l’ai réécouté et ce n’était pas génial. Mais c’est rare qu’un comédien trouve drôle ce qu’il produisait il y a 20 ans.
« L’humour vieillit vite »
Êtes-vous allé un peu à contre-courant de l’humoriste suisse qui veut conquérir Paris ?
Avant d’arriver en Suisse, je n’avais pas l’ambition
être comédien. Je faisais de la radio. En écoutant Couleur3, j’ai ressenti une ambiance, un ton, de la poésie, une liberté. J’étais au chômage depuis 2 ans. J’étais prêt à aller n’importe où. Alors quand je viens en Suisse, je me sens comme un animateur radio. C’est petit à petit que j’ai ressenti l’envie de plaisanter et de me professionnaliser.
Est-ce un objectif de revenir à Paris pour y jouer ?
Si je peux jouer là-bas, c’est super. Mais je n’ai plus la grinta du jeune de 25 ans qui veut absolument aller à Paris. Ce n’est plus un objectif total. Mais quand on vient du Panama, on a quand même envie de se produire dans sa ville.
Revenons à votre émission. J’ai demandé à quelqu’un de venir avec moi pour jeter un autre coup d’œil. Elle m’a dit que c’était doux-amer.
Doux-amer, c’est une bonne chose. Je n’utilise pas les mêmes termes, mais ils sont très similaires. J’aime l’alternance du lourd et du léger. Le spectacle commence par une question légère : il ne sait pas ce qu’il va manger et en s’éloignant, le personnage se rend compte qu’il est à l’aube d’une question existentielle.
“Comme c’est un spectacle introspectif, je peux me livrer à des blagues stupides et rebondir sur des pensées plus profondes”
Vient ensuite la question de la parentalité, il faut faire le point. Quand on a 35-40 ans, on a fait le tour de la vie sociale.
Cette introspection n’est-elle pas difficile, d’autant plus que c’est votre première fois seul sur scène ?
Le sujet est intime, mais pas exclusivement personnel. Je m’expose en supposant que beaucoup d’autres se posent la même question. Je ne voulais pas que ce spectacle manque de pudeur. Et je ne voulais pas m’attarder sur des aspects qui ne sont pas accessibles aux autres.
L’humour doit être sincère, selon vous ?
C’est d’autant plus percutant quand c’est sincère.
De la part du public, j’ai entendu à plusieurs reprises : « Oh, c’est de l’humour très noir. » Cet humour noir est-il un trait de votre personnalité ?
Je ne pense pas. Pour avoir vu certains comédiens spécialisés dans l’humour noir, je n’aime pas ça. Je parlerais même de facilité. C’est comme ouvrir les tiroirs de ce qu’il ne faut pas dire. Par contre, quand c’est fait par petites étapes, ça me dérange moins. C’est pourquoi je ne peux pas définir mon style ; Je mélange tous les genres.
Avez-vous peur de choquer ?
Je n’ai pas peur de choquer. Je n’ai jamais l’impression que je vais choquer, car je fais attention à certains sujets et au traitement de certaines valves.
« Je ne veux en aucun cas choquer gratuitement »
Votre émission n’est-elle pas un peu comme une crise de la quarantaine ?
Je ne pense pas que ce soit une crise de la quarantaine. Il s’agit plutôt d’un refus de passer à l’âge adulte. C’est une perception, mais quand on voit nos parents, on se dit : « Ce sont des adultes ». Me voilà, j’ai 40 ans (rouge : il a 38 ans), mais j’ai l’impression d’avoir 18 ans dans ma tête.
Être responsable vous donne le vertige ?
Prendre des responsabilités me terrifie. Il est tellement plus facile de se vautrer dans l’immaturité et d’éviter l’engagement et la responsabilité. C’est le spectacle d’une personne immature.
On ressent la dimension autobiographique du spectacle, alors on se pose cette question : as-tu grandi aujourd’hui ?
J’ai grandi par obligation. Mais je refuse de grandir trop vite. Et je vois que je grandis : je perds mes cheveux. Perdre mes cheveux me terrifie. Je peux faire une opération chirurgicale pour ça. Finalement, par la force des choses, on mûrit plus qu’on ne grandit.
La cuisine tient une place importante dans la vie de Julien Doquin de Saint Preux.
Après ce premier face-à-face, est-ce le premier étage de la fusée Julien Doquin de Saint du Preux ?
Le premier étage, c’est pouvoir en vivre. Je gagne ma vie en écrivant des blagues. Là, c’est réussi. Je me sens chanceux. La seconde est de pouvoir avoir accès à des projets un peu plus ambitieux – film, spectacle. Aujourd’hui, c’est le spectacle. Nous avons fait une série Bon, voilà avec des amis (ed: Yann Marguet, Valérie Paccaud, Yacine Nemra, Blaise Bersinger). Ensuite, le quatrième étage est destiné à s’installer durablement dans le paysage et à débloquer des projets.
Vous écrivez souvent pour les autres (rouge : 52 minutes, Couleur3). Préférez-vous écrire pour les autres que pour vous-même ?
Pendant très longtemps, écrire pour les autres a été une manière déguisée de cacher mon illégitimité. Pour ce faire, j’ai souvent mis en place des projets collectifs, car à plusieurs, on prend moins d’attention et donc on est moins exposé aux critiques.
“Je me sens toujours comme un imposteur et encore aujourd’hui je manque de confiance”
Mais pour passer à l’étape suivante, j’ai dû me lancer dans un projet solo. Il n’y a rien de mieux qu’un spectacle pour ça.
Les gens disent que vous êtes perfectionniste. L’indécision qui vous incarne ne vient-elle pas du perfectionnisme ?
Oui. Après, c’est aussi le lot d’une personne qui n’avance pas. Dans le métier, nous avons des contraintes : j’ai des travaux à remettre dans les délais. Parfois je passe trop de temps sur des textes, mais il faut s’en séparer. Une fois sur place, je me suis dit que ce n’était pas suffisant.
Est-ce que cela arrive encore souvent ?
Je ne suis jamais heureux.
C’est une bonne maladie de toujours se remettre en question.
Cela a le mérite de vous faire progresser. Mais sur bien d’autres points, vous ne progressez pas. C’est un métier où il faut se vendre.
« J’ai tendance à intervenir sur la pointe des pieds et ça devient difficile de vendre son projet »
Cette scène du Théâtre Boulimie va-t-elle vous donner confiance ?
Dopé, non. Mais j’avance. J’ai l’impression que c’est un pas en avant.
Votre dernière représentation se termine le 16 novembre. Au terme de cette expérience, en ressortirez-vous grandi ?
Oui. Mais ce n’est pas un spectacle qui va changer ma vie. Ce faisant, je m’accorde cette légitimité et un petit coup de confiance quand je vois la salle se remplir.
Dans votre spectacle, où est la frontière entre le vrai et le faux ?
Il y a 98 % de vérité et 2 % de fiction. Pourquoi ces 2% ? Lorsque vous racontez une histoire dans un bar, vous pousserez certains curseurs pour faire rire votre interlocuteur, le rendre accessible et créer des images instantanées. Il faut donc des images fortes sur scène.
Comment cela se traduit-il pendant le spectacle ?
En parlant de l’enterrement de vie de garçon, je vais mélanger mes 4 expériences en une seule histoire.
Parle-t-on d’une distorsion de la temporalité ?
Oui, c’est ça.
On ressent une véritable mélancolie qui se dégage de votre seul sur scène, au milieu de cet humour. Participez-vous au cliché de l’humoriste qui se révèle être un clown triste ?
C’est un cliché qu’on utilise trop souvent pour un comédien. Mais pour moi, c’est confirmé (rire).
“Je ne suis pas une personne drôle dans la vie”
Comme je suis une personne profondément mélancolique et que mon métier est de faire des blagues, je ne peux pas aller à l’encontre de ce cliché tenace du clown triste.
Pourquoi le spectacle se déroule-t-il exclusivement en cuisine ?
Mes souvenirs les plus heureux se sont toujours déroulés dans la cuisine de mes grands-parents. Il y avait de la vie, de la nourriture, des odeurs, la radio en permanence, elle parlait de politique ; Ce sont des dessins qui me viennent à l’esprit. Quand j’étais à l’école, quand j’allais manger tous les midis chez mes grands-parents, je ne quittais jamais la chambre, je n’allais jamais au salon. Pour moi, la cuisine incarne la générosité.
A l’avenir, y a-t-il une plus grande volonté de persévérer dans l’humour au détriment de la comédie ou est-ce l’inverse ?
J’adore jouer. C’est pour ça que j’écris beaucoup, parce que si je veux pouvoir jouer, je dois avoir du texte. J’écris pour pouvoir jouer. Mais si je reculais de 20 ans, ce ne serait pas seulement humoristique.
“J’en parlais avec Yann Marguet et on s’est dit que c’était tellement plus enrichissant de pouvoir faire des blagues et jouer à la tristesse dans la même heure”
C’est plus amusant. La vie est faite de rires et de larmes. Frédéric Recrosio, mon réalisateur, m’a même fait changer des choses, même si elles étaient bonnes, pour vivre d’autres émotions.
Finalement, quelle est l’inspiration de ce tête-à-tête ?
Nous sommes dans une époque où le stand-up est mis à l’honneur. En voyant le spectacle de Yann Marguet ou de Fred Recrosio, je me suis rendu compte qu’il était encore possible de faire autre chose, avec des performances variées. Ricky Gervais est aussi une Source d’inspiration avec ses différents projets (Après la vie, Derek).
Julien Doquin de Saint Preux performs on the stage of the Théâtre Boulimie until Saturday November 16.