Forbes France vous propose un reportage dans les profondeurs du laboratoire souterrain C12, au cœur de Paris. La startup, qui vient de lever 18 millions d’euros, souhaite créer le premier ordinateur quantique à nanotubes de carbone grâce à une usine de nouvelle génération.
Pour percer les mystères de l’informatique quantique, C12 a conçu une véritable usine souterraine de production de composants nanoélectroniques. Avec une particularité qui constitue la marque de fabrique de la startup : la conception de nanotubes de carbone pour créer des qubits stables, variable essentielle à la naissance du premier ordinateur quantique. Rapport.
Haut degré de technicité
Le rendez-vous est fixé au 29 octobre dans le 5e arrondissement de Paris, non loin du Panthéon et à deux pas de la place de l’Estrapade – l’un des lieux de tournage d’Emily in Paris qui attire un flux constant de fans de la série. Au rez-de-chaussée se trouve un espace ouvert on ne peut plus ordinaire. « C12 recrute 45 personnes de 18 nationalités », est-il expliqué en introduction pour mettre en avant une grande variété de profils internes, dont l’expertise est très recherchée.
Il suffit de marcher quelques mètres pour se rendre compte du niveau de compétences techniques dont vous devrez vous équiper pour ne pas vous perdre. Au fond de la salle se trouve un étrange cylindre de 2 mètres, suspendu tête en bas, derrière une paroi vitrée. C’est le cœur du futur ordinateur quantique C12, qui maintient une puce électronique à une température d’environ -273°C – proche du zéro absolu – et qui l’isole de toutes perturbations extérieures.
Une sorte de cocon relié par une jungle de câbles à de nombreux boîtiers et machines en fonctionnement continu. L’installation, qui ferait pâlir tout néophyte en informatique, sert d’avertissement : C12 n’est pas une simple startup du numérique et présente un projet de R&D ambitieux qui nécessite une précision millimétrique.
Ou plutôt au nanomètre. Car c’est dans l’infiniment petit que s’opère la révolution de l’informatique quantique. Et face à ses concurrents français comme Pasqal, Quandela et Alice & Bob, C12 a fait un pari audacieux : ce dernier veut remplacer le silicium des processeurs par du carbone, réputé plus stable pour produire les précieux qubits. « Le carbone 12 contribue à prévenir le spin nucléaire des atomes », ajoute Pierre Desjardins. “C’est un matériau extrêmement pur, qui protège et isole un électron de son environnement.”
Du bit classique au qubit quantique
À ce stade, nous en avons probablement perdu plus d’un. Essayons donc de décrire le processus de création d’un qubit aussi simplement que possible. Le bit classique en informatique est une unité de mesure désignant la quantité élémentaire d’information représentée par un chiffre binaire, et qui ne peut donc prendre que deux valeurs : 0 ou 1.
Pour explorer le sujet, voir cette vidéo :
De son côté, le bit quantique ou qubit est l’unité élémentaire pouvant transporter des informations quantiques. Et tout comme les bits classiques, les qubits reposent sur deux états de base qui sont l’état zéro |0> et l’état un |1>. Pour obtenir un qubit, C12 doit donc s’assurer que chacun de ses nanotubes contient un seul électron piégé, dont le spin est manipulé pour devenir un état du qubit. Le spin représente ici une caractéristique d’une particule quantique, au même titre que sa masse ou sa charge électrique, et un processeur quantique ne peut fonctionner sans lui.
Ce piégeage quantique est la clé du bon fonctionnement des processeurs C12 et il dépend grandement de la qualité des nanotubes de carbone produits en amont. Ce procédé, né d’une spin-off du Laboratoire de Physique de l’Ecole Normale Supérieure de Paris et développé en partenariat avec le CEA, est encore imparfait. Mais il atteint des taux d’erreur suffisamment faibles pour résoudre déjà certains problèmes industriels. La technologie est par exemple particulièrement intéressante pour simuler des réactions chimiques et intéresse déjà de grands groupes comme Air Liquide.
Les phénomènes ici sont expliqués à l’aide des lois de la physique quantique et il s’avère que l’ordinateur quantique calcule en utilisant ces mêmes lois. Mais il permet aussi de résoudre beaucoup plus rapidement des problèmes combinatoires complexes, notamment en termes d’optimisation logistique.
Au fond de l’usine à nanotubes
Quittons maintenant les bureaux pour nous rendre au laboratoire situé un étage plus bas. Car c’est au sous-sol que sont enterrés les secrets les plus précieux de C12 et ce n’est pas un choix fait au hasard. Un espace souterrain est d’abord plus facile à conserver au frais, élément essentiel pour ce type de production. Mais il s’agit aussi de s’isoler le plus possible du monde extérieur.
«Les étages élevés ont tendance à bouger ou à être sensibles aux vibrations», explique Pierre Desjardins, ce qui peut avoir un impact sur la stabilité des calculs quantiques. Ainsi, lors de la visite des locaux de C12, une équipe d’experts a été chargée de réaliser une batterie de tests pour mesurer les vibrations potentielles, la présence de champs électromagnétiques et tous types d’interférences susceptibles de se transformer en perturbations.
Autant de paramètres qui ont convaincu la startup de jeter leur dévolu sur ces locaux situés au sommet de la montagne Sainte-Geneviève. « Il n’y a pas non plus de métro sous les fondations », ajoute Pierre Desjardins. Finalement, le bailleur des locaux a choisi C12 dès 2022 comme nouveau locataire. Ce dernier avait également en main un dossier concurrent d’un certain Jean-Claude Van Damme, également à la recherche d’un lieu pour ouvrir un nouveau club sportif.
A l’étage -1, on pénètre d’abord dans une pièce propre et aseptisée jonchée de tubes à essai et d’instruments en tout genre. Mais aussi encore des machines, encore plus imposantes, qui permettent, entre autres, de réaliser la première étape : fabriquer de toutes pièces des puces électroniques et des circuits imprimés afin de pouvoir y déposer les fameux nanotubes de carbone.
La deuxième salle contient une technologie non brevetée gardée secrète à tout prix. Le procédé est innovant et minutieux : il consiste à forger un nanotube de carbone dont la paroi est constituée d’une seule couche d’atome. A terme, le C12 ne conservera que les candidats les plus prometteurs, soit entre 5 et 20 % d’entre eux. Un processus de caractérisation très sélectif et en constante évolution. Il s’agit par exemple de projeter un laser à travers les nanotubes pour révéler l’existence de défauts.
« En gros, plus le reflet lumineux qui se dégage est cristallin, plus la composition est pure », explique Alice Castan, chercheuse et responsable de l’équipe de caractérisation, qui imagine d’autres types de tests à déployer dans un avenir proche. La croissance de 300 nanotubes en laboratoire dure une trentaine de minutes tandis que le contrôle technique dure quelques jours.
“1000 fois plus petit qu’un cheveu”
La dernière étape consiste à assembler les nanotubes sur les circuits imprimés, opération également protégée par brevet et surtout isolée de toute contamination potentielle. Un simple grain de poussière peut gâcher la manipulation. « Le diamètre d’un nanotube est 1000 fois plus petit qu’un cheveu », insiste Pierre Desjardins. Ainsi, la machine équipée de bras robotisés à l’échelle microscopique dépose les nanotubes sur une puce, ce qui équivaut à poser un cheveu dans une rue à l’échelle de la ville de Paris.
Forbes France a pu pénétrer en exclusivité dans cette salle de réunion hautement protégée. Au centre se trouve une sorte de caisson en acier équipé de hublots pour permettre d’observer l’ensemble au microscope. « Notre plus grand ennemi reste le contact du nanotube avec le circuit imprimé », explique Davide Stefani, chercheur et responsable de l’équipe nano-assemblage.
Il est désormais temps de refaire surface et la fin de cette visite se conclut par une présentation des futurs projets pour la pépite tricolore du quantique. «Nous avons démontré avec succès la partie matérielle et le défi est maintenant de passer à l’échelle», projette Pierre Desjardins. Cette dernière compte notamment sur les 18 millions d’euros levés en juin dernier en pré-série A pour conclure de nouveaux partenariats commerciaux et industriels.
L’objectif est de réaliser assez rapidement l’intrication de deux qubits, concept assez complexe qui décrit le fait que les états quantiques de ces derniers sont liés. Autrement dit, un bus de communication est créé entre deux qubits situés à plusieurs millimètres l’un de l’autre. Cela résoudrait par exemple le casse-tête que peut représenter l’assemblage de nanotubes sur une puce – justement parce qu’ils peuvent désormais être plus espacés.
«Il n’y a pas de retombées commerciales clairement identifiées pour le moment», reconnaît Pierre Desjardins. D’un autre côté, l’ordinateur quantique aura un certain impact économique, il faut donc se préparer dès maintenant. » Pour cela, C12 a récemment lancé son premier produit : Callisto, un émulateur capable d’exécuter des algorithmes utilisant jusqu’à 13 qubits sur des processeurs classiques.
Mais dans cet univers restreint de la recherche quantique, une autre course au temps est en cours et implique de grands noms de la tech comme Google et IBM. « Notre premier objectif est d’intégrer le premier processeur quantique dans un système informatique classique d’ici la fin 2025 », soutient Pierre Desjardins. Cela permettra à l’ordinateur d’exécuter des algorithmes hybrides, mélangeant à la fois l’informatique quantique et classique. “IBM vient d’annoncer une feuille de route similaire et notre ambition est de réussir avant eux à faire en sorte que les qubits puissent être placés n’importe où sur une puce quantique”, promet-il.
Pour tenir tête aux géants du secteur, le C12 a également été sélectionné dans le programme Proqcima lancé en mars 2024 par le ministère des Armées le Secrétariat général à l’investissement (SGPI). Il vise à disposer de deux prototypes d’ordinateurs quantiques universels de conception française d’ici 2032.
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