Militant, journalisme environnemental ? – Sciences Québec – .

Militant, journalisme environnemental ? – Sciences Québec – .
Descriptive text here

Pierre Fitzgibbon porte plusieurs casquettes. Le ministre québécois de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie s’est récemment improvisé juge des médias, s’arrogeant le droit de décider si un journaliste méritait d’être qualifié de « rigoureux ». O surprise, les deux journalistes mis en cause par M. Fitzgibbon, dans un mail adressé à un citoyen, sont ceux qui se sont un peu trop intéressés au dossier Northvolt, à savoir Alexandre Shields de Devoir et Thomas Gerbet de Radio-Canada.

Leurs torts ? Soyez « militants », et « déformez les faits pour faire passer leur message », selon le ministre. En journalisme, le mot « activiste » est presque une insulte : c’est une accusation de manque d’objectivité et d’intentions cachées. Bref, c’est un discrédit irréfutable.

Certes, ce n’est pas la première fois qu’un homme politique s’en prend aux médias pour avoir publié des informations susceptibles de l’embarrasser. (Ces journalistes ont révélé, entre autres, que le gouvernement avait modifié un règlement pour permettre à Northvolt d’échapper à un examen du BAPE.)

Ce n’est pas non plus la première fois que Pierre Fitzgibbon accuse un journaliste de mauvaise foi ; la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) a dénoncé son comportement proche de « l’intimidation » envers un journaliste de Journal de Montréal en 2022.

Vous me direz aussi que les échanges de piques acérées entre sphères politique et médiatique sont un jeu légitime, que c’est le jeu de la démocratie… C’est en partie vrai. Mais le journalisme environnemental porte de manière disproportionnée le poids de ce concours ; elle est trop souvent confondue avec l’activisme, y compris au sein des médias eux-mêmes. C’est ce que confiaient plusieurs confrères de grands médias québécois, en marge du congrès de la FPJQ, en 2022 : leur hiérarchie les regarde parfois d’un mauvais oeil lorsqu’ils souhaitent parler de certains sujets environnementaux, de peur que les médias apparaissent partisans… Comme si nous ne pouvions aborder ces thématiques avec l’indépendance, l’impartialité et la rigueur qu’exige la déontologie journalistique.

Cette peur paralysante n’est pas sans conséquences. Historiquement, elle a contribué à reléguer tous les sujets environnementaux au second plan de la médiatisation (voire au dixième sous-sol). « Lorsque l’environnement est devenu un sujet dominant à la fin des années 1980, il a posé des problèmes conceptuels et éthiques aux journalistes. Premièrement, ils « reflétaient le consensus scientifique » ; cependant, une « décennie perdue » a suivi […] », peut-on lire dans un article publié en 2021 sur l’objectivité dans le journalisme environnemental, signé par deux spécialistes en communication de l’université de Dublin. Cette décennie perdue, qui s’étend sur l’année 2000, est marquée par le triomphe du doute : l’industrie des combustibles fossiles et les groupes animés par l’idéologie conservatrice ont convaincu la presse que le changement climatique était une question scientifique non résolue. Et les médias ont perdu du temps… Au final, note le duo, « l’instinct professionnel » des journalistes, c’est-à-dire leur recherche d’un équilibre des opinions à tout prix, a conduit « à une couverture qui ne reflétait pas le consensus scientifique ».

Cette quête d’équilibre perd son sens lorsqu’on parle de science, puisque la science n’est pas précisément une question d’opinion. La plupart des médias l’ont enfin compris, et ne donnent plus la parole aux climato-sceptiques par exemple. Quand on parle d’environnement, dans les pages de Sciences québécoises car, j’en suis convaincu, dans d’autres médias reconnus, on s’appuie sur des rapports et des données solides, des études scientifiques, des entretiens avec des spécialistes. Bref, nous faisons un journalisme rigoureux.

Évidemment, les questions environnementales sont complexes, étroitement liées aux enjeux politiques, juridiques et économiques. Mais affirmer que la construction de la centrale de Northvolt détruira de précieuses zones humides, qui abritent des espèces protégées, ou que les batteries sont fabriquées à partir de produits chimiques, est un fait. Ce n’est pas de l’activisme. Et cela n’empêche personne de croire que le projet en vaut malgré tout le coût.

L’attaque du ministre est d’autant plus malvenue que son gouvernement manque de transparence sur le dossier Northvolt. Comment se plaindre d’un manque de rigueur quand https://twitter.com/AShields_Devoir/status/1762967736823546233 des journalistes aboutit à l’envoi de pages blanches ou expurgées, dans lesquelles sont cachées des informations utiles ?

Ce mépris n’a aucune raison d’exister. L’histoire a prouvé à maintes reprises le rôle crucial des journalistes environnementaux dans la révélation des scandales sanitaires et des pratiques dangereuses, ou dans la documentation sur la dégradation des écosystèmes, l’épuisement des ressources, etc. Sans aller aussi loin, la population a le droit de connaître les tenants et aboutissants des grands projets industriels, point barre.

Cependant, l’environnement reste encore marginal dans la couverture médiatique. Au Québec, les journalistes spécialisés dans ce domaine battre dans les quotidiens se comptent sur les doigts d’une main, tout comme les journalistes scientifiques d’ailleurs. Les grands organes de presse disposent d’une rubrique économie, voyages, sport, lifestyle, mais toujours pas de rubrique réservée à la science ou à l’environnement ! Un choix… militant ?

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

NEXT Toujours moins de 800 euros ce mercredi ? Le Google Pixel 8 Pro 5G dans une offre folle