Une histoire silencieuse | Une femme au foyer unique parmi tant d’autres

Dans Une histoire silencieusePremier roman d’une intelligence qui n’a d’égale que sa sensibilité, Alexandra Boilard-Lefebvre met en lumière photos et membres de sa famille pour que sa grand-mère Thérèse, décédée tragiquement il y a 55 ans, apparaisse enfin. années. Une ménagère malheureuse au désespoir malheureusement trop banal.


Publié hier à 9h00

Un soir, après la fin de ses cours à l’UQAM, où elle étudiait les lettres, Alexandra Boilard-Lefebvre s’est précipitée vers la Grande Bibliothèque, plus précisément vers la section où sont entreposées des tonnes d’archives diverses.

« Je suis entré, un peu dramatique, je suis allé chez une archiviste et je lui ai dit : ‘Je cherche quelqu’un qui est décédé, mais je ne sais rien d’elle.’ »

Il s’agit de Thérèse Lefebvre, née Larin, la grand-mère paternelle d’Alexandra, décédée en 1970 à l’âge de 27 ans dans des circonstances tragiques dignes d’un mauvais feuilleton, étouffée par ses vomissements dans son sommeil. Le père d’Alexandra n’avait que 2 ans.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Alexandra Boilard-Lefebvre dans les allées de la Grande Bibliothèque

« C’est l’histoire familiale classique dont on ne parle pas. Je pense qu’on en a tous un», suggère l’auteur, de retour à la Grande Bibliothèque, lors de notre entrevue. Il n’y a en effet rien d’aussi universel que les secrets de famille, même s’ils ne sont pas tous si inquiétants.

“Je savais depuis longtemps que cette femme existait, sans avoir un souvenir précis du moment où j’en ai eu connaissance”, confie-t-elle. Thérèse a toujours été une figure évanescente, tel un fantôme, qui apparaît de temps en temps. Quelqu’un la nomme lors d’une conversation et cela crée une onde de choc, car généralement personne ne la nomme. »

Sans problème

Dans Une histoire silencieuseson superbe premier roman, Alexandra Boilard-Lefebvre entend faire parler ce silence à travers des documents d’archives et les rares photos qu’elle a pu glaner, le tout soigneusement décrit dans un langage à la fois quotidien, précis et chatoyant.

La petite-fille échangeait aussi avec ceux qui connaissaient Thérèse, conversations informelles retranscrites textuellement, dans toute leur poésie involontaire et leur maladresse révélatrice. Une démarche à laquelle sa famille, dont son grand-père, d’une touchante fragilité, s’est prêtée généreusement, malgré le tabou qui imprègne une mort comme celle-ci.

Quête propulsée par le cœur, ce long reportage intimiste retrace aussi la grande histoire, souvent négligée, de tant de femmes enfermées, littéralement confinées, dans la sphère domestique, celles qui souffraient de ce que la journaliste Betty Friedan appelait le « syndrome de la femme au foyer ». .

La Thérèse au teint diaphane et à l’air bébé qui fait la couverture deUne histoire silencieuse n’a que 18 ans et s’apprête à épouser Roger, le grand-père d’Alexandra, sans vraiment le connaître, afin de se libérer d’une situation familiale étouffante. Transplantée à Chicoutimi en raison du travail de son mari, la jeune femme languit et se réfugie au pays nocif des barbituriques.

Un univers de non-dits où chacun se voit enfermé dans son rôle, y compris les hommes, sans autre issue pour les femmes que le divorce (et l’opprobre social qui l’accompagne), ou l’irréversible, un aller simple vers le grand rien.

« Ce que je dis, on a l’impression que c’est loin, on pourrait l’imaginer en noir et blanc », observe l’auteur née en 1992. J’ai moi-même eu l’impression de fouiller dans le passé d’une arrière-arrière-grand-mère. , mais Thérèse pourrait être encore en vie. » Roger, son mari, fier octogénaire, est après tout toujours parmi nous.

“C’est pourquoi, quand on assiste à un retour à des valeurs un peu traditionnelles, il ne faut pas oublier que cela a des conséquences réelles, qu’il y a beaucoup de femmes qui sont mortes parce qu’elles n’avaient pas accès à leurs rêves, parce qu’elles n’avaient pas de voix. »

Mémoire, cette fiction

Animé par une connaissance fine des forces narratives du cinéma (Alexandra Boilard-Lefebvre est directrice générale de Vidéographe), Une histoire silencieuse allie intelligence et empathie afin de parler de l’histoire du Québec, des traumatismes intergénérationnels, ainsi que des classes sociales, les obstacles qui auront cadenassé l’épanouissement du couple Lefebvre n’étant pas sans lien avec leur environnement.

Une histoire silencieuse apporte également un éclairage oblique sur le fonctionnement de la mémoire humaine. Au fur et à mesure que les témoignages s’accumulent, qui se contredisent souvent, le portrait de Thérèse se précise tout en s’estompant. Étrange double mouvement.

La mémoire est une fiction. Il est devenu clair pour moi que préserver les souvenirs nécessite un travail actif, des soins et de la volonté. Nous aimons imaginer qu’après notre mort, les personnes qui resteront nous maintiendront en vie, mais cela ne se produit pas naturellement. Ne pas parler de Thérèse contribuait à l’effacer.

Alexandra Boilard-Lefebvre

« Parfois, poursuit-elle, mon père me racontait des histoires et je les prenais, je les respectais, mais c’étaient des histoires que ses oncles lui racontaient, de leur point de vue, de leur parti pris. Ces histoires sont présentées comme des vérités, mais chacun a fait ses propres choix de montage dans ses anecdotes. C’est très humain, mais on parle toujours beaucoup de soi quand on parle des autres. »

Que retenir de Thérèse ? « C’est drôle à dire, mais je ne sais pas si je la connais mieux qu’au début du livre », répond Alexandra. Je voulais préserver sa mémoire, mais aussi respecter son absence. Si je l’avais trop figée, j’aurais eu l’impression de contribuer moi-même à sa disparition. »

Une histoire silencieuse

Alexandra Boilard-Lefebvre

Le peuple

256 pages

 
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