Pâte brisée à 1 euro ; autant pour un sachet d’Emmental râpé ; 50 centimes pour 440 grammes de moutarde ; 69 cents pour le yaourt sucré ; 85 centimes la bouteille de 1 litre d’huile de tournesol : tous ces exemples montrent des prix qui semblent bas à l’horizon 2024.
De 57 à 150 euros pour le même panier ?
Un internaute a décidé de lancer un comparatif. “Je m’ennuyais donc je me suis amusé à reproduire cette liste de courses sur le drive de Leclerc”, explique le message de @Ke_ziiah, vu également plusieurs millions de fois. Résultats de l’opération (dont le détail n’est pas connu quant à la composition du panier) : 150 euros.
« Fois 3 en 20 ans, en gros le prix des courses double tous les 10 ans », résume un commentaire. « 200 % d’inflation en 20 ans », souligne un autre. Entre 57 et 150 euros, on s’approcherait en effet d’un triplement. Qu’est-ce qui nous amène à conclure que le prix des denrées alimentaires a triplé en vingt ans ?
Des produits alimentaires 53% plus chers qu’il y a vingt ans
Pour aller un peu plus loin qu’un simple ticket de caisse, on peut se tourner vers l’indice des prix à la consommation calculé par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Selon cet outil public de suivi de l’inflation en France, les prix de tous les produits ont augmenté de 39 % entre 2004 et 2024.
Cette hausse est bien plus marquée pour les produits alimentaires : leurs prix ont augmenté de moitié (53 %) en vingt ans, soit une multiplication par 1,5. « J’aimerais voir comment l’Insee fait son calcul », répond un message, sous la photo du récépissé, à un internaute qui fait référence à ces chiffres de l’Insee. Pour y voir plus clair, nous leur avons demandé. Quatre raisons font de l’indice des prix une mesure plus fiable que l’ancien reçu.
-
1 Ne vous limitez pas à une marque spécifique
« Avec un indice des prix, ce qu’on mesure, c’est l’évolution des prix », explique Aurélien Daubaire, chef du service des prix à la consommation à l’Insee. “Sur un échantillon de 99 agglomérations et dans les départements d’outre-mer, nous relevons le prix de chaque type de produit dans différentes formes de vente.” Trois sources différentes sont utilisées : les données de caisse, transmises par les supermarchés ; enquêtes physiques dans les dépanneurs ou les marchés ; relevés de prix sur Internet.
Ces relevés sont donc effectués “à un niveau très fin – le prix de la moutarde dans un supermarché donné – puis on calcule le prix moyen”, explique le statisticien. Cette méthode permet de comparer les hausses de prix entre produits et entre catégories de produits. Ainsi, « l’indice des prix est représentatif de tous les territoires et de toutes les formes de vente, proportionnellement au poids de chaque territoire et de chaque forme de vente ». Ce qui n’est évidemment pas le cas d’un billet unique d’une seule marque.
-
2 Utiliser un panier comparable au fil du temps
Autre limite : les différences entre les produits considérés. « La recette 2004, projetée en 2024, que ce soit à partir de la perception ou des chiffres de l’Insee, montre une hausse des prix en euros sur vingt ans », constate Aurélien Daubaire. En revanche, cette facture ne permet pas forcément de « comparer exactement les produits ». Le cas de Lidl, à cet égard, est particulièrement frappant : la marque a monté en gamme au fil des années. Ainsi, les prix de 2004 n’étaient pas seulement moins chers ; elles concernaient également des produits proposés qui ne sont plus nécessairement les mêmes.
« Une enseigne donnée, un point de vente, peut évoluer dans la gamme de produits proposés, ses fournisseurs, ou encore le type de foyers qui viennent y consommer », confirme Aurélien Daubaire. « Chaque mois, nous enregistrons le prix d’un même produit dans un même point de vente, tout au long de l’année, pour éliminer ces effets « point de vente » de niveaux de gamme de produits. Cette méthode vise à « mesurer véritablement l’évolution du prix lui-même », en dehors des stratégies de marque.
-
3 Tenir compte des habitudes de consommation
D’ailleurs, achetez-vous la même chose qu’en 2004 ? Oui, répondrons-nous en pensant aux produits alimentaires de base. Non en revanche pour les adeptes du « drive » ou du shopping dans de nouveaux magasins. « Les ménages, le commerce et les modes de vie évoluent », souligne Aurélien Daubaire. « Il y a une vingtaine d’années, la consommation sur Internet était beaucoup moins répandue pour toute une série de produits. »
Pour tenir compte de ces évolutions, l’Insee redéfinit, chaque année, le panier utilisé pour analyser les prix. La liste de courses est basée sur la consommation réelle des ménages. En 2024, pour l’alimentation, le panier comprend plus de 80 produits spécifiques (pain, beurre, huile d’olive, sucre, yaourts, plats cuisinés, produits surgelés…). Le poids de ces produits est ensuite adapté en fonction de leur place dans la consommation habituelle.
-
4 N’oubliez pas l’effet psychologique
Comme tout indicateur statistique, cet indice repose sur des ingrédients et des observations bien réelles. «Quand il y a une hausse de 20 % des prix alimentaires, cela se voit dans l’indice des prix comme dans la perception», souligne Aurélien Daubaire. Et comme tout indicateur statistique, il arrive que notre perception personnelle s’en écarte, malgré tout. « Ce sont des choses qu’on voit avec certaines enquêtes qualitatives », note le statisticien. « Il y a des périodes où il y a des déconnexions » entre l’indice des prix et la perception de l’inflation par les consommateurs. L’effet psychologique de certains produits pèse lourd.
“Les augmentations de prix des produits du quotidien sont particulièrement notables, et plus des augmentations que des baisses : nous recevons des réductions mais, évidemment, nous sommes marqués voire en difficulté à cause des augmentations.” L’augmentation moyenne de 53 % cache donc des hausses de prix stratosphériques, en comparaison. Le beurre, le poisson frais, le kilo de bœuf et les pommes de terre affichent des augmentations bien plus marquées, parfois proches du doublement en vingt ans. Aurélien Daubaire pointe ainsi « un miroir déformant » représenté par ces produits familiers.