C’est au Molitor, situé juste derrière le stade Jean-Bouin où il a passé dix-sept ans de sa carrière, que l’entraîneur des bancs de touche et des tâches spécifiques Laurent Sempéré nous a donné rendez-vous dimanche en fin de matinée. pour débriefer la tournée de novembre, couronnée de trois victoires. Pendant plus d’une heure, il est revenu sur les raisons de ce succès avant de se tourner vers le prochain Tournoi des 6 Nations.
Comment cette tournée est-elle réussie ?
C’est une réussite à plusieurs égards. Premièrement, les résultats valident une méthode, une opération et un ressenti. Nous en avons ressenti les débuts l’été dernier en Argentine, notamment lors des premiers essais à Mendoza. Durant cette période, nous nous sommes entraînés un peu plus pour valider la méthode et permettre à nos joueurs de prendre des repères plus courants. C’est là que nous avons trouvé un équilibre entre quantité et qualité des entraînements. Cette tournée, malgré tout ce qui s’est passé, a été riche. Cela nous a permis de valider la méthode. Dans cette continuité, nous étions tous conscients de l’importance du résultat et de la nécessité de continuer à suivre le cap pour les trois matches de novembre.
Pour quoi ?
Tout simplement parce que le rugby français a besoin d’un XV français fort, qui s’exprime sur le terrain par les résultats et par le jeu. Dès nos premières réunions de préparation, cela a été un leitmotiv. Et puis, la réussite de cette tournée d’automne, c’est aussi une bonne connexion entre toutes les composantes du staff, pas seulement l’athlète.
N’était-ce pas une opération séduction pour redorer l’image du rugby français, entaché par les affaires de l’été ?
Pas forcément ! On avait surtout enduré le début du Tournoi où il y avait quelques découvertes d’un côté et la Coupe du Monde à régler de l’autre. Mais après le match contre l’Italie, il y a eu un tournant où nous avons commencé à mieux nous approprier le temps et l’environnement, entre les nouveaux et les anciens du staff. Nous n’avons donc pas eu besoin de séduire, nous étions concentrés sur notre feuille de route qui devrait se concrétiser par des victoires sur cette tournée d’automne, notamment face à la Nouvelle-Zélande. Cette rencontre a eu une résonance particulière, un véritable match test.
Vous évoquez le décalage opéré après le match contre l’Italie lors du Tournoi, marqué notamment par davantage de concurrence. Un changement que vous avez validé lors de cette tournée…
(Il coupe) On s’est appuyé sur un plus grand nombre de joueurs. Nous avons pris conscience que sur la durée d’une compétition, même si le format international est assez court, l’usure peut être présente. Nous avons réalisé qu’il nous fallait plus d’émulation et plus d’acteurs impliqués. C’est le chemin qu’a emprunté Fabien (Galthié). Et c’est ce que nous sommes sur le point de réaliser. Nous pouvons encore mieux le structurer car cela demande beaucoup de précision dans les décisions.
Quelles ont été les révélations pour vous lors de cette tournée ?
Dans tous les domaines, de nombreux acteurs ont émergé. Et c’est bien pour le collectif. Tout comme certains éléments qui n’ont pas beaucoup joué ont été très précieux et nous ont permis de bien nous entraîner.
Qui est-ce ?
Je pense à des joueurs comme Maxime Lucu, Cameron Woki, Maxime Lamothe ou Gaétan Barlot. Et plus encore. Tout le monde voit les performances sur le terrain, mais ces garçons ont permis à l’équipe, sans jouer, de gagner.
Cette tournée ne valide-t-elle pas la méthode de travail à 42 joueurs ?
J’ai débuté dans ce staff lors du Tournoi avec seulement 34 joueurs disponibles. J’ai vu la différence sur cette tournée avec 42 joueurs. Cette possibilité nous permet de mieux préparer les joueurs et de mieux anticiper le coaching. C’est aussi une des clés de cette tournée avec la polyvalence des joueurs. Nous avons passé beaucoup de temps à réfléchir à différents scénarios de coaching. Lorsque Marko Gazotti arrive en remplacement de Paul Boudehent, on sait que cet encadrement va impacter des changements dans l’alignement, dans la manière d’attaquer ou de défendre les ballons portés. Avoir 42 joueurs nous permet de préparer tout ça.
A-t-il été difficile d’expliquer ou de faire accepter à Charles Ollivon qu’il ne jouerait pas le match contre le Japon ?
Charles est un garçon intelligent et lucide par rapport à la concurrence et à son niveau de performance. Il avait une attitude très classe. Il revient d’abord au club pour jouer en Top 14. Il entre ensuite comme remplaçant contre les Noirs, il réalise un très bon départ qui lui permet de débuter contre l’Argentine. Tout sauf une coïncidence. C’est lié à son attitude et c’est un bel exemple pour le groupe.
La conséquence du retour d’Ollivon en cours de tournée fut le retrait de Grégory Alldritt qui avait débuté l’année en tant que capitaine. Cette gestion des ressources humaines est-elle complexe ?
Je ne le vois pas de cette façon. Cela montre surtout la richesse de notre effectif. Greg a débuté lors des deux premiers matches, Charles a montré qu’il fallait compter avec lui. Par conséquent, Greg est sorti. Mais ce n’est qu’une émulation. Ils restent deux leaders importants de l’équipe.
Le devoir de mémoire a-t-il cédé la place à la politique de l’homme en forme ?
L’équilibre entre ces deux notions est important. Les joueurs ne devraient pas avoir l’impression de jouer avec une épée de Damoclès au-dessus de leur tête à chaque match. Fabien (Galthié) est très attaché à ses joueurs et à ce concept. Mais, tout en respectant ce principe, nous prenons en compte les performances individuelles et la forme du moment. Ce n’est pas un changement radical, c’est juste une évolution.
Fabien Galthié a évoqué des axes de progrès au soir du dernier test. Quels sont-ils?
Quand on voit le niveau de l’équipe et sa capacité à gagner des matchs alors qu’elle a encore des lacunes, pour un entraîneur, c’est motivant. Cette tournée nous a permis de valider certains axes de travail que nous avions priorisés. Nous en aurons d’autres pendant le Tournoi, afin d’avoir plus de contrôle sur notre jeu.
La conquête, en touche ou en mêlée, qui n’a pas toujours été souveraine durant cet automne, est-elle l’objectif ?
Nous pouvons être plus exigeants dans ces secteurs car nous avons des acteurs de très grande qualité. Pour autant, nous n’avons pas négligé la ligne de touche ni la mêlée. Mais nous voulons être plus efficaces que cela.
Sur une note positive, l’essai qui a débloqué le match contre les Noirs est venu sur un ballon porté après touche. Est-ce satisfaisant ?
Oui, c’est une action éminemment collective et préparée, comme l’essai (de Thibaud Flament) contre l’Argentine après un faux maul qui montre notre envie d’alterner.
La prestation de Georges-Henri Colombe face aux All Blacks vous a-t-elle surpris ?
C’est lui qui a probablement été surpris. Il a vu qu’il était capable de réaliser ce genre de performance. Et je suis sûr qu’il peut faire encore mieux. Pour moi, il n’a pas encore trouvé ses limites.
Et Paul Boudehent ?
Avez-vous regardé ses prestations avec La Rochelle depuis le début de la saison ? Lui, comme Mickaël Guillard avec Lyon, Jean-Baptiste Gros avec Toulon, a été très fort en début de saison. Avant de constituer notre première liste, nous avons aussi beaucoup travaillé avec les clubs, ce qui nous a aidés. Il n’y a pas de hasard.
Vous ne parlez pas de François Cros, mais il semble indispensable, non ?
C’est M. Clean. Il est froid et précis, capable de tout faire : gratter, sauter, bouger… Un joueur complet qui nous aide beaucoup dans notre envie de bouger vite. C’est lui qui donne le rythme. Il a vraiment un rôle central. Mais bon…
Oui ?
Il n’a pas pu jouer contre les Noirs, ce qui n’a pas empêché l’équipe de performer. C’est aussi ça la méthode 42 : ça tire tout le monde vers le haut.
Fabien Galthié avait annoncé vouloir faire évoluer l’identité de jeu de l’équipe de France vers plus de possession. Et ça ?
L’envie de tenir le ballon, d’attaquer, est une conviction forte. On l’a vu sur ces trois matches. On a plus gardé le ballon, on a joué plus haut sur le terrain. Et puis, si les temps de jeu sont aussi élevés, c’est aussi parce qu’on a envie de garder le ballon sur le terrain. Nous allons dans la bonne direction.
Antoine Dupont était absent lors du Tournoi des 6 Nations. A peine de retour, le XV de France brille à nouveau. Êtes-vous dépendant de Dupont ?
Antoine est un très grand joueur, un joueur de classe mondiale. Je ne l’avais jamais entraîné. Il sait ce qu’il veut et comprend très vite ce qui lui est demandé. Cela fait gagner du temps. Elle est également capable, avec une grande pertinence, de changer le système. Cela relie les joueurs au staff de ce point de vue et donne du sens à ce que l’on souhaite mettre en place.
Sur le plan personnel, qu’est-ce que ça fait de battre les Blacks ?
C’est un match très fort émotionnellement, avec un caractère exceptionnel. On a traversé toutes les émotions durant la rencontre. Et paradoxalement, nous n’avons pas vraiment apprécié. Le soir de la victoire sur les « N-zed », on parlait déjà du match contre l’Argentine entre nous. Nous ne voulions pas tout gâcher. L’objectif était vraiment d’enchaîner trois victoires au mois de novembre.
Comment voyez-vous le prochain Tournoi des 6 Nations ?
Nous n’en avons pas encore vraiment parlé. L’objectif était vraiment de gagner ces trois matches. Avec le groupe que nous avons et dans la continuité de cette tournée de novembre, nous aborderons forcément cette compétition avec beaucoup d’ambitions. Nos joueurs connaissent le calendrier international. Ils savent qu’il nous faudra de la fraîcheur car ce Tournoi, dans sa structure avec ces trois déplacements en Italie, en Angleterre et en Irlande, va nous demander beaucoup d’énergie et d’engagement. De plus, l’émulation au sein du groupe rend chaque joueur responsable de son niveau de fraîcheur et de performance.