Le journal de bord de Benjamin Ferré sur le Vendée Globe : « Personne ne vous regarde ! »

Le journal de bord de Benjamin Ferré sur le Vendée Globe : « Personne ne vous regarde ! »
Le journal de bord de Benjamin Ferré sur le Vendée Globe : « Personne ne vous regarde ! »

“Personne ne te regarde!” » Cette phrase m’a été murmurée peu avant mon départ. Elle est gravée dans ma mémoire car son écho me semble juste et symbolique. Et comme pour me méfier de mon esprit, ce qui aurait pu me faire l’affront sournois de le ranger dans le placard, je l’ai écrit dans mon cockpit. Pour ne pas céder. Ne cédez pas à la tentation de la comparaison. Arrêtez de vous soucier des autres et recentrez-vous sur moi-même, mon bateau et les éléments qui me portent et me dérangent.

Il est 20 heures. Je viens de perdre 40 milles sur mes principaux concurrents en 24 heures, maintenant j’ai effectivement 60 milles de retard. Mes nerfs sont à vif. Je saute de derrière en face de ma coquille, pieds nus, fatiguée, fragile. Je change de voile. Roulé. Dérouler. Optimiser mon itinéraire. Je télécharge les dernières images satellites pour trouver un couloir dans cet « escape game » géant appelé Pot au Noir. Je prie le ciel de me laisser passer, les nuages ​​de m’écarter. Pourquoi ma porte ne s’ouvre-t-elle pas ! Je me jette sur la cartographie toutes les 4 heures, comme une addiction destructrice et paralysante. Et toutes les 4 heures, un nouvel uppercut me caresse le visage et l’esprit. Mes camarades de jeu ont échappé à ce délicieux supplice aléatoire dont je reste prisonnier.

L’« ami noir » qui, en bon ami, ne vous dit pas toujours ce que vous voulez entendre mais toujours ce qui vous fait grandir.

La connexion peut être toxique. Je le ressens encore plus en mer car cela m’éloigne du moment présent. Je repense à ma Mini Transat dont la singularité de l’exercice, n’ayant aucun moyen de communication avec la terre, évoque le besoin irrésistible de s’abandonner à sa propre trajectoire, instinctivement, sans obtenir de réponse avant de franchir la ligne d’arrivée. C’est l’état dans lequel je veux retourner.

Alors, pour y remédier, je clique sur la petite croix qui ferme l’onglet “cartographie” de mon ordinateur de bord. Je sors la tête du bateau. J’observe à nouveau ce que je ne voyais plus : les poissons volants, la boule d’oiseaux qui errent gracieusement dans l’air restant. Les oiseaux semblent me murmurer : « Tu es à bout de souffle, mon ami. À votre retour d’ici, vous aurez parcouru le monde et, cette fois, vous aurez le devoir de savourer votre empreinte car elle sera la vôtre, et, en cela, elle sera belle ! »

Le vent est revenu. Théophile s’est installé et met le cap vers le sud, vers l’équateur. La simple évocation de cette échéance prochaine me fait sourire. Le cœur léger et détendu, aussi fluide que le dernier vol laissé dans mon sillage, je laisse le voyage reprendre le dessus. Je joue à nouveau pour moi car « personne ne me regarde ! » »

Ses précédents carnets de bord :

1. « Le diable et les détails »

 
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