après une campagne complète de distillation du gaz, les stocks sont au plus haut

Les cylindres de cuivre refroidissent. Après six mois à plein régime, la campagne s’est terminée le 10 avril pour les alambics charentais. Sur le site de la Maison Boinaud, le plus grand distillateur professionnel de Cognac, l’eau circule encore dans les bicanes vermillon. Il ne s’agit pas de la précieuse eau-de-vie bidistillée mais de l’eau simple qui serpente pour rincer les canalisations alambiquées. Cette année, on a l’impression d’avoir vécu trois campagnes en une dans la maison fondée en 1640.

« Nous mettons dans les alambics l’équivalent de 200 000 hectolitres de vin, pour obtenir environ 19 500 hectolitres d’alcool pur. Nous n’avions jamais dépassé ces chiffres”, précise Jordan Vignaud. Au cœur de la distillerie, le responsable des opérations liquides, toujours entouré des effluves de brouillis et de brandy, peut souffler. « Cela a été relativement difficile pour les équipes, mais au final, c’est un grand soulagement que la campagne soit terminée et se soit bien déroulée. »

La montée des gaz

A 10 kilomètres au sud de Cognac, l’allumage des 32 alambics de la Maison Boinaud a débuté le 25 septembre. Un démarrage précoce pour distiller en toute hâte la plus grosse récolte en volume jamais réalisée ces 30 dernières années, pour un vignoble qui culmine désormais à 86 000 hectares. Le bouilleur de cru professionnel travaille à lui seul l’équivalent de 2 000 hectares, soit près de 2 % du vignoble, notamment pour le compte de Hennessy et Rémy Martin. Face à l’inédit, nous avons dû nous adapter : une augmentation de quatre à cinq équipiers, des taux horaires réduits à 3×8 heures au lieu des 2×12 heures habituelles et un nouveau système de contrôle des alambics. L’interprofession a même obtenu une prolongation exceptionnelle de dix jours du délai réglementaire de distillation afin d’écouler tous les volumes.

Jordan Vignaud analyse la nouvelle eau-de-vie. Incolore à la distillation, il obtiendra sa teinte dorée après vieillissement en fûts de chêne. (crédit : MG/La Tribune)

Une réactivité dont toutes les distilleries ont dû faire preuve pour répondre à l’afflux massif des vignes après une saison 2023 très favorable. De quoi tester les capacités des chaudières, dont certaines ont eu recours à la sous-traitance pour équilibrer les carnets de commandes de chacun. Si les chiffres d’affaires promettent d’atteindre des niveaux élevés, les bénéfices générés seront diminués par les coûts énergétiques importants puisque la distillation charentaise fonctionne encore au gaz. Le poste énergie représente plus de 70% des coûts de production des chaudières. ” La hausse des salaires des distillateurs n’est pas aussi importante que la hausse des coûts de l’énergie », appuie Aude Drounau, la présidente du syndicat des distillateurs professionnels.

Les chiffres officiels seront communiqués en mai, mais on sait déjà que la campagne passée est la plus volumineuse et donc la plus polluante en termes d’émissions de gaz à effet de serre.

Dans les distilleries, le Cognac va-t-il perdre sa flamme ?

Investir pour stocker

L’interprofession travaille sur un procédé de distillation décarbonée avec une demande de modification du cahier des charges de l’AOC en cours d’examen par l’INAO. Il pourrait autoriser l’utilisation de l’électricité ou de l’hydrogène pour chauffer les alambics, tout en réduisant la consommation d’énergie. Un développement qui générerait des revenus pour les maisons. Côté salariés, les syndicats FO et CGT ont obtenu entre 6 et 8% d’augmentations de salaire en 2022 puis 4,9% en 2023 pour faire face à l’inflation. Dans le même temps, les distilleries, dont la plupart ont une structure artisanale, sont poussées à investir pour augmenter leurs capacités de production.

Le distillateur stocke également des fûts pour le compte de grandes maisons. (crédit : MG/La Tribune)

La Maison Boinaud va donc développer un service logistique pour gérer et optimiser les flux sur son site d’une capacité de 36 000 barriques, tout en augmentant son parc de cuves inox pour stocker la réserve climatique. « Avant, on pensait que la distillerie ne pouvait pas dépasser les 18 000 hectolitres d’alcool pur, maintenant on sait que c’est possible. Il faut être prêt à accueillir de tels volumes dans les années à venir mais cela dépendra de l’évolution des marchés, des aléas de Dame Nature… »tempère Jordan Vignaud.

Gueule de bois pour le Cognac, les exportations s’effondrent

La prudence est de mise à l’heure où le pays du Cognac avance dans une saison très tendue. Au même moment en 2023, elle enregistre sa plus grosse récolte et sa pire baisse de ventes sur son marché historique, les Etats-Unis. Ce qui alimente des inquiétudes croissantes dans les rangs. ” Nous récolterons 10 000 hectares supplémentaires en trois ans avec les nouvelles plantations autorisées. Si ce sont encore de bonnes années, je ne sais pas comment on va faire car on a déjà du mal à stocker la réserve climatique. », prévient Stéphane Simonnet, syndicaliste Force ouvrière chez Rémy Martin et mandaté auprès du syndicat des chaudronneries professionnelles.

« Le cognac s’élabore sur la longue durée »

En quatre ans, l’Office national interprofessionnel du Cognac obtient l’autorisation de 15 000 hectares de nouvelles plantations, hypnotisé par l’envolée des ventes. Pour suivre le rythme, les établissements vinicoles doivent augmenter leurs capacités. ” Les producteurs se sont endettés pour développer leurs structures d’exploitation et respecter les normes environnementales. Ils doivent porter tout cela seuls et les difficultés devraient se faire sentir dans les années à venir. », s’inquiète Matthieu Devers, représentant CGT chez Hennessy.

A la tête de l’interprofession, on sait que les succès du Cognac – et ses déboires – sont cycliques. Nous attendons donc les signaux de reprise, en misant sur le long terme. « Le cognac s’élabore sur une longue période, ce que nous avons distillé aujourd’hui commencera à être vendu dans quatre à cinq ans et la plupart dans sept ans. On ne sait pas ce qui va se passer mais le plan d’affaires prévu par la filière est un outil qui sert à la fois les familles, la viticulture et le commerce, pour arriver au bon niveau et assurer des revenus suffisants à la viticulture.assure Aude Drounau.

L’enquête chinoise

Mais à l’heure où les exportations diminuent, les prix se contractent. Pour relancer la machine, les grandes maisons baissent les prix de leurs cognacs milieu de gamme. ” Avec l’augmentation de la production, on redonne le contrôle aux grandes maisons qui ont désormais le pouvoir de décider des prix d’achat. », souligne Matthieu Devers. Les marges diminuent. La Maison Boinaud a par exemple réalisé son plus haut chiffre d’affaires pour la campagne 2022-2023 avec 36 millions d’euros… tout en enregistrant une perte d’exploitation record de 3 millions d’euros en raison de la baisse des ventes. marges et accumulation de stocks.

Pour vendre sa production, BNIC cible les marchés émergents : le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Inde. Mais il faut aussi retrouver l’attractivité des Etats-Unis et régler ses différends commerciaux avec la Chine. Le pays a lancé en janvier une enquête anticoncurrentielle sur les spiritueux de vin importés de l’Union européenne, visant Hennessy, Martell et Rémy Martin. L’organisation interprofessionnelle est inquiète et a pu rencontrer le ministre chinois du Commerce le 8 avril lors de sa visite en France. Juste pour lui rappeler que « Le Cognac est un pont historique, culturel et d’amitié entre la France et la Chine » et lui suggèrent que le vignoble aurait de quoi approvisionner le marché une fois les querelles commerciales terminées.

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