Les prix planchers agricoles pourraient pénaliser aussi bien les producteurs que les consommateurs

Les prix planchers agricoles pourraient pénaliser aussi bien les producteurs que les consommateurs
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Jeudi 4 avril, les députés ont adopté en première lecture, malgré l’opposition du camp présidentiel, une loi en faveur d’un « prix minimum d’achat des produits agricoles ». Le texte proposé par les élus d’Europe Écologie Les Verts (EELV), et qui ne sera probablement pas voté par le Sénat, repose sur une intention louable. Nécessaire peut-être, compte tenu des prix bas qui ne couvrent parfois pas les coûts de production agricole. L’idée d’aligner par la loi les prix de vente des agriculteurs sur leurs prix de revient déterminés par les experts des chambres d’agriculture ou des associations interprofessionnelles, notamment, est sans doute séduisante.

Cependant, elle porte en germe des conséquences délétères qui pourraient à terme dégrader la santé économique de secteurs déjà en mauvaise santé. La loi semble avoir été proposée sans étude approfondie préalable de tous ses effets sur les marchés. Cependant, deux problèmes principaux pourraient surgir. Le premier est technique. Il s’agit de la fixation du prix plancher, de son niveau. La seconde est économique et concerne l’impact du prix plancher sur le consommateur. Les deux points sont liés. Commençons, dans l’ordre, par le niveau de prix à fixer.

Bénéficier aux producteurs qui n’en ont pas besoin

Dans tous les secteurs, agricole et industriel, les entreprises sont hétérogènes et diffèrent par leurs niveaux de productivité et de qualité. Les exploitations agricoles dont la productivité est disparate ont donc des coûts différents pour produire un bien similaire, et les plus productives enregistrent des bénéfices plus élevés. Augmenter les prix de vente par la loi risquerait ainsi de créer des profits excédentaires parmi les plus productifs. Le système bénéficierait donc à des acteurs qui n’en avaient pas besoin. Il s’agit d’une principale Source d’inefficacité.

La seule réponse à ce problème est d’adapter le prix par catégorie d’exploitation. Cela peut se faire grossièrement en regardant notamment leur taille : plus l’exploitation est grande, plus elle pourra théoriquement bénéficier d’économies d’échelle et donc d’une meilleure productivité. Une telle approche resterait cependant à la fois approximative et complexe, car elle nécessiterait un prix par catégorie.

Les choses deviennent encore plus complexes lorsque l’on considère des biens qui diffèrent les uns des autres par leur qualité. Un prix plancher augmentera surtout le prix des produits de moindre qualité. En réaction, les opérateurs de qualités immédiatement supérieures augmenteront leurs prix pour signaler précisément leurs qualités supérieures et ne se retrouveront pas à vendre un bien de qualité supérieure à un prix inférieur. En passant d’une tranche de qualité à l’autre, l’ensemble de l’échelle de prix tout au long de la gamme augmentera. Mais là encore, aucune augmentation de prix n’était initialement justifiée pour des qualités supérieures. Un effet de rente, de surprofit, apparaît à nouveau.

L’expérience dans d’autres domaines montre que la fourchette de prix devrait en réalité se resserrer. Un bon exemple de cette dynamique de propagation vers le haut d’une hausse des prix en bas de l’échelle est donné par le prix du travail, avec des hausses régulières du salaire minimum (smic en France). L’effet s’estompe à partir d’un niveau de salaire supérieur ou égal à 1,5 fois le SMIC. On peut donc s’attendre à une contagion d’une hausse d’un prix plancher s’atténuant à mesure que l’on monte dans l’échelle des qualités et donc des prix.

Plus à perdre qu’à gagner ?

Cependant, les conséquences des prix planchers en termes de loyers pour les agriculteurs les plus productifs et les plus qualitatifs ne semblent pas être le principal problème du secteur agricole. Le plus gros piège pourrait venir du consommateur. Qu’en est-il de l’évolution de la demande face à une hausse des prix suite à la mise en place d’un prix plancher ?

Cet effet passe par deux mécanismes, que nous appelons élasticités-prix directes et élasticités-prix croisées de la demande de biens agricoles par le consommateur final. L’élasticité directe-prix de la demande d’un bien mesure en pourcentage la variation de la demande suite à une variation du prix de ce bien. Concrètement, de combien la demande diminue-t-elle lorsque le prix augmente de 10 % ?

Dans une étude préliminaire sur la filière vitivinicole française, nous avons calculé des élasticités pour les vins d’entrée de gamme vendus en grande distribution qui pourraient dépasser l’unité : c’est-à-dire que la demande varie dans une plus grande proportion que les prix. Ces travaux sont cohérents avec d’autres déjà publiés qui mesurent ces élasticités-prix à l’exportation pour la demande étrangère. Le chiffre d’affaires des producteurs va alors baisser : le prix multiplié par la quantité vendue va diminuer sous l’effet de la baisse de la consommation étant supérieure à la hausse du prix.

Le consommateur y perd encore plus. En fin de compte, c’est le surplus social qui s’est détérioré avec une perte marquée pour le consommateur dont le transfert vers le producteur, via l’augmentation du prix de vente, ne suffit pas à améliorer la situation de ce dernier. Les deux perdent, et c’est donc une perte sociale nette.

De nouveaux choix de consommation ?

Le consommateur peut également différer sa consommation face à une augmentation du prix d’un bien donné : vers des biens de meilleure qualité, vers des biens importés ou vers des substituts proches, qui deviennent tous en termes relatifs moins chers que le bien. dont le prix a augmenté. Il s’agit du jeu des élasticités-prix croisées entre différents biens.

L’exemple du vin est là encore riche d’enseignements. Nos premiers résultats montrent que ces effets de report semblent être à l’œuvre. L’augmentation du prix d’entrée de gamme pourrait pousser le consommateur vers un niveau de qualité supérieur, précipitant ainsi la baisse du chiffre d’affaires des vins d’entrée de gamme. L’exact opposé de l’effet recherché par la loi.

Pire encore, l’effet de report peut se répercuter sur les biens importés et donc conduire à une perte nette à l’échelle nationale. Dans certains secteurs, l’origine est moins recherchée que dans d’autres et un label « UE » suffit parfois à rassurer le consommateur sur un certain niveau de qualité. Enfin, l’effet d’entraînement peut même pousser le consommateur hors d’un secteur. C’est le cas du vin, où un prix plancher peut conduire à un arbitrage du consommateur en faveur de la bière ou d’autres boissons jugées substituables.

Eviter un effet boomerang en aval

Les conditions de succès de la loi dépendent ainsi des secteurs visés : ils doivent être les plus homogènes possibles en productivité et en qualité pour minimiser les effets de rentes et d’acquis de report. Il doit également s’agir de biens agricoles dont la demande est peu élastique par rapport aux prix, donc de biens dont il est difficile pour le consommateur de se passer. Ainsi, pour le producteur, la perte de ventes restera limitée et plus que compensée par la hausse des prix.

De plus, les substituts, importés ou non, doivent être peu nombreux pour éviter les reports. Les pouvoirs publics devront trancher cette délicate question des produits éligibles pour lesquels la loi n’aurait pas d’effets pervers. Selon le texte voté à l’Assemblée nationale, il s’agit d’un « conférence publique » par secteur qui fixerait ces minima, conférence qui ne serait pas convoquée “uniquement à la demande d’une majorité de producteurs” du secteur en question.

Les pouvoirs publics devront également décider du sort des invendus générés par une hausse des prix. Qui paiera pour leur destruction ? Sans doute des compensations seront demandées par les producteurs qui verront leurs stocks gonfler. Toutes ces questions feront un boomerang depuis la loi. Tout cela a-t-il été pesé, évalué, budgétisé au moment du vote ? N’y aurait-il pas des mesures à prendre en amont pour éviter ces effets en aval ?

Étant donné qu’une grande partie du problème vient de l’augmentation du prix pour le consommateur final, le prix plancher ne devrait pas affecter le consommateur afin d’éviter les conséquences néfastes décrites ci-dessus. Deux solutions. Soit l’État subventionne le prix plancher en compensant la différence entre le prix du marché et le prix plancher pour que la chaîne des intermédiaires maintienne les mêmes prix, et que rien ne change pour le consommateur final. Soit les intermédiaires absorbent la hausse des prix liée à la loi dans leurs marges. Si l’augmentation est mesurée, elle pourrait être absorbée dans le cadre de négociations impliquant toutes les parties prenantes et, pourquoi pas, dans le cadre d’une énième discussion sur la loi Egalim.

Dans tous les cas, dans les secteurs agricoles (comme dans la plupart des secteurs ailleurs), l’essentiel de la création de valeur a lieu dans les dernières étapes de la chaîne de valeur, les étapes de commercialisation. La valeur n’augmente pas linéairement de l’amont vers l’aval du processus de production d’un bien, elle augmente de façon exponentielle : un peu au début, beaucoup à la fin. Cela a été bien documenté dans le vin par exemple. Une réflexion fondamentale sur le partage de valeur entre les acteurs, l’organisation industrielle et les mécanismes de gouvernance des filières agricoles est nécessaire. Ces travaux étaient certainement antérieurs à une loi sur les prix planchers.

Jean-Marie Cardebat est professeur d’économie à l’Université de Bordeaux et professeur affilié à l’INSEEC Grande École. Benoît Faye est enseignant-chercheur à l’INSEEC School of Business & Economics, et chercheur associé au LAREFI de l’Université de Bordeaux.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous une licence Creative Commons. Lire l’article original.

 
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