Projets de crédits carbone en plantant des arbres qui tardent à sortir de terre

Projets de crédits carbone en plantant des arbres qui tardent à sortir de terre
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Un programme québécois de crédit carbone permettant aux participants de planter des arbres pour compenser leurs émissions polluantes tarde à porter ses fruits. Depuis son lancement, toute fin 2022, il a attiré au total… zéro projet, constate Le devoir.

« Réaliser des projets conformément au Règlement nécessite des investissements et une préparation technique et administrative qui prennent du temps en raison de leur complexité. Ceci explique le fait qu’aucun projet […] n’est pas encore enregistré », a indiqué le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) dans un échange de courriels.

Le programme en question relève du Règlement relatif aux projets de boisement et de reboisement sur des terrains privés éligibles à l’émission de crédits compensatoires. Entrée en vigueur en décembre 2022, elle permet aux grands pollueurs d’obtenir des crédits de compensation liés à des activités de boisement sur des terrains privés, sur des friches agricoles ou des gravières par exemple.

Cependant, depuis un an et demi, le ministère n’a reçu aucune proposition d’investisseurs potentiels. Une « étape normale », selon le ministère. « Rappelons que les projets de crédits compensatoires sont réalisés par les promoteurs sur une base volontaire », a fait valoir Sophie Gauthier, chargée de relations de presse du MELCCFP.

En entretien avec Le devoir, le directeur de la Chaire en éco-conseil à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), Claude Villeneuve, n’est pas d’accord avec les conclusions du ministère. En septembre 2021, lors des consultations sur le projet de règlement qui mènerait à l’entrée en vigueur du protocole, l’organisme Carbone boréal, qu’il dirige, avait exprimé de sérieuses réserves quant à ses éventuelles conséquences. “Le projet de règlement ne parviendra pas à mobiliser tout le potentiel des projets forestiers du secteur privé”, a-t-il souligné dans un mémorandum.

«C’est exactement ce que nous avons dit», a déclaré M. Villeneuve lorsqu’il a été informé du manque de popularité du programme de crédit compensatoire au boisement.

Dans son rapport, Carbone boréal, une infrastructure de recherche rattachée à l’UQAC, estime qu’il faudrait plusieurs décennies pour que des projets de plantation sur des terrains privés – généralement plus petits – deviennent rentables. Il a donné l’exemple d’un projet de 10 000 dollars américains sur un hectare de terrain : « [il] ne sera rentable qu’à partir de 2080, soit près de 60 ans après le lancement du projet.

«La réalité pour les propriétaires privés, c’est qu’il y en a très, très, très, très très peu qui pourraient bénéficier d’un système comme celui-là», a souligné Claude Villeneuve.

Un avis partagé par le directeur général de la Fédération des producteurs forestiers du Québec, Vincent Miville. Son organisation représente plus de 130 000 propriétaires fonciers privés. “Administrativement, c’est trop cher par rapport aux revenus potentiels que les gens peuvent générer” en revendant les crédits carbone produits par la plantation d’arbres, a déclaré M. Miville en entrevue.

Une lueur d’espoir pour les propriétaires ?

Contacté cette semaine, le cabinet du ministre québécois de l’Environnement, Benoit Charette, a indiqué qu’il savait « dès le départ que le protocole […] ne générerait pas des millions de crédits compensatoires.

« Il s’agit d’un protocole scientifiquement rigoureux qui a été élaboré pour verser des crédits de compensation non pas sur la promesse de décarbonation, mais sur les résultats réels au moment où le crédit est émis. Nous essayons également d’intéresser les investisseurs à chaque opportunité qui se présente à nous et sommes confiants de voir des projets émerger dans un avenir proche », a indiqué le ministre dans une déclaration écrite adressée au Devoir.

Claude Villeneuve, de son côté, ne tourne pas autour du pot : « Si c’était rentable, il y aurait eu des projets qui auraient au moins été enregistrés ou en voie de développement depuis longtemps. » Vincent Miville est plus optimiste. En permettant le regroupement de projets sur des terrains privés, le MELCCFP a ouvert la porte aux propriétaires, affirme-t-il.

« Cela nous permet de réduire la charge administrative. Mais néanmoins, préparer ces projets par agrégation prend beaucoup de temps », a-t-il déclaré.

Dans une interview accordée au média spécialisé Notre terre, en février, un responsable du ministère de l’Environnement a indiqué qu’il travaillait sur un guide d’accompagnement destiné à mieux aider les propriétaires à s’y retrouver dans son protocole de boisement. « Le travail de rédaction du guide […] sont toujours en cours », a-t-il déclaré au Devoir Début de la semaine.

En attendant, « le ministère reste à la disposition de tout promoteur intéressé pour répondre à ses questions sur l’application du Règlement », nous écrit-il. «C’est bien triste», dit Claude Villeneuve, qui réitère la nécessité d’explorer l’application de la réglementation aux forêts publiques par l’intermédiaire d’une société d’État.

«Là, on pourrait parler de millions de kilomètres carrés et on pourrait parler d’opérations à grande échelle qui apporteraient des bénéfices au Québec dans 30 ans», a-t-il expliqué. Appliquer la réglementation aux forêts privées du Québec, c’est comme inviter les gens à jouer à un jeu pour lequel ils ne sont pas qualifiés. »

Québec analyse actuellement la possibilité d’étendre l’application du programme aux terres du domaine de l’État. “Cette possibilité fera l’objet d’une analyse de faisabilité et de potentiel, ainsi que de travaux d’aménagement technique, si nécessaire”, a souligné le ministère dans son échange de mails avec Le devoir. Au Québec, 92 % des forêts sont du domaine de l’État, soit plus de 800 000 kilomètres carrés ; 8% d’entre eux sont privés.

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