“La vie vaut la peine d’être vécue” – .

“La vie vaut la peine d’être vécue” – .
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Alexis Grüss est décédé samedi 6 avril. Nous vous proposons de relire cet entretien publié le 9 décembre 2016.

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Valeurs actuelles. Que représente pour vous le cirque ?
Alexis Grüss.
Avant d’être un spectacle, le cirque est un lieu. Et ce lieu a la particularité d’être circulaire, donc de forme infinie. La matière, la terre, est également infinie. Cet espace scénique est également fertile dans tous les sens du terme. Un jour quelqu’un m’a demandé pourquoi je n’avais jamais eu l’idée de changer la matière de la terre qui fait la poussière. Cela m’a profondément énervé : je ne l’ai pas fait parce que la terre a nourri et nourrit encore l’humanité depuis des millénaires ! Lors d’un voyage en Chine, je suis entré dans des établissements où il était écrit « Théâtre Acrobatique » et non « Cirque ». Pourquoi veut-on toujours déformer les choses ? Aujourd’hui, les gens ont besoin de revenir à l’authenticité.

J’ai une définition de l’art qui m’est propre : l’œuvre effacée par l’œuvre. S’il n’y a pas cette notion d’aisance par le spectateur de l’effort effacé par le travail effectué, ça ne marche pas. Il faut donner une impression de facilité. C’est là que le rêve peut prendre racine. Sinon ça ne prend pas et ça devient laborieux. L’autre définition que je donne est de sublimer le naturel de la nature. Nous devons prendre la nature telle qu’elle est et la rendre plus belle qu’elle ne l’est.

Vous parlez de racines et d’authenticité, mais le cirque a-t-il subi des changements ?
Depuis des millénaires, le cirque a évolué. Même un artiste médiocre : il s’est donné, a eu peur, a souffert physiquement, moralement, intellectuellement pour parvenir à sa performance. La vraie valeur est là. Il a contribué, comme tout le monde, à façonner le visage du cirque. Ce n’est pas seulement la performance et le résultat qui comptent, mais aussi la volonté mobilisée pour y parvenir.

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Le problème aujourd’hui, c’est que dès qu’arrive quelqu’un qui pourrait changer les choses, personne n’en veut parce que tout le monde est prêt à tout changer… sauf ses habitudes. Ne pas reconnaître sa valeur, c’est encourager la médiocrité des autres. Et dans notre pays, on a tendance à tout sous-estimer.

Pensez-vous incarner la réussite d’une PME familiale en France ?
Nécessairement. Mes petits-enfants viennent de Suisse où ils ont fait 355 représentations en huit mois et demi. Ici, nous faisons en moyenne 350 représentations par an. Mais la valeur de notre travail, c’est justement cette transmission qui s’effectue depuis des générations, de génération en génération. C’est ainsi que nous incarnons la réussite d’une PME familiale en France. Nous créons une création par an depuis 43 ans, avec un chapiteau de 3 000 places et pouvons faire des saisons complètes à Paris depuis le début.

Pourtant, votre modèle économique est très fragile…
Bien sûr : nous sommes au cœur de Paris, dans le 16e arrondissement, et nous sommes dépendants de la décision des pouvoirs publics. Il y a 60 chevaux derrière, et nous sommes un peu plus de 100 sans compter les agents de sécurité, les services de contrôle, les huissiers… Cette année, nous avons attaqué le tour du Zénith. En 2017, nous en ferons 18.

Le toucher est un sens humain important. Vous pouvez lire avec vos doigts

Quels sont les principaux postes de dépenses dans un cirque ?
Paie et chevaux. La masse salariale représente 65 % car nous mobilisons au moins 50 personnes par an et une centaine en période de forte représentation. Nos soixante chevaux représentent environ 20% de nos dépenses. A noter que lorsque l’on parle du coût des chevaux ce n’est pas le coût d’achat mais celui des quatre semi-remorques pour les transporter, des tentes… en dehors des représentations qui ont lieu du jeudi au dimanche soir, tous les jours, à partir de 8 heures. je suis, nous travaillons avec les chevaux. Le carrousel de 26 chevaux, qui démarre à 8 heures du matin, mobilise la quasi-totalité du personnel du cirque.

Recevez-vous des subventions ?
Oui parce que je me considère toujours comme un cirque national. J’ai été officiellement reconnu comme tel en 1980-1982 par Jack Lang et à l’époque je relevais directement du ministère de la Culture. Il faut savoir que ce choix par le ministre de la Culture de la famille Gruss comme cirque national était lié à la rencontre que j’ai eue en 1974 avec Silvia Monfort qui était directrice du centre culturel de Paris. Cette dame, avec mes encouragements, a fait passer le cirque de l’agriculture à la culture et elle m’a permis, la même année que la création du cirque à l’ancienne, d’ouvrir la première école de cirque de France en 1974. dans les locaux de l’ancienne Gaieté. Lyrique, boulevard Sébastopol. J’ai dirigé cette école pendant 8 ans et y ai formé de nombreux étudiants. La formation et la création d’un spectacle par an ont retenu l’attention du ministère de la Culture.

Combien coûte un cheval ?
Lors de mon mariage en 1970, mon beau-père, Firmin Bouglione, pour m’aider à débuter dans le cirque, m’a acheté deux éléphants. Il avait alors payé 40 000 francs pour les deux éléphants, soit 20 000 francs chacun. Aujourd’hui, un éléphant coûte 150 000 euros. Le cheval n’a jamais été un animal bon marché. Les chevaux ibériques sont chers. Par exemple, j’ai acheté le cheval de ma femme pour 15 000 euros. Et vous ajoutez à cela 2 euros par kilomètre entre le sud de l’Espagne et Paris.

Quel est votre premier souvenir d’enfant au cirque ?
Deux souvenirs m’ont marqué à vie. La première est à La Ciotat, lorsque la caravane de mes parents s’est arrêtée. Mon père avait choisi de poser la caravane sur la plage de La Ciotat et depuis mon lit, tirant le rideau de la fenêtre de ma chambre, j’ai vu la mer pour la première fois de ma vie.

Le deuxième souvenir, tout aussi marquant, fait appel aux sens. Je me souviens que mon père terminait une répétition sur un énorme cheval jockey. Il était moussant et très chaud. C’est à ce moment-là que je suis arrivé avec ma mère. Mon père lui dit alors : « Donne-moi le petit. » Alors ma mère m’a confié à mon père qui était à cheval. Je me souviens de l’odeur du cheval, de cette masse de muscles sous mes petites fesses. Voyant que je criais, mon père m’a alors pris la main et l’a passée dans la crinière trempée du cheval. Cette odeur, cette température, sont restées gravées en moi. J’ai aussi fait la même chose pour mes enfants. Le toucher est un sens humain important. Vous pouvez lire avec vos doigts. Et l’odorat est pire : il va directement au cerveau et les odeurs vous accompagnent à vie.

Quand tu fais un show pendant des années avec toute ta famille autour de toi… ça n’a pas de prix

Vous parlez de transmission… Quelle est la première valeur que vous avez transmise à vos enfants ?
Le respect. C’est le fondement de la liberté. La seule manière de développer une société intelligente passe par l’éducation. Pour moi, la différence entre formation et éducation est simple : la première est basée sur la soumission et la seconde sur la réflexion.

Quand je demande à quelqu’un qui est son employeur et qu’il répond Éducation nationale parce qu’il est enseignant, je trouve qu’il y a un problème. Enseigner est une chose, éduquer en est une autre. Ce sont des choses tellement différentes les unes des autres, mais ce sont toutes deux ce qui rend un peuple libre. Dans notre société, notamment en France où il était interdit d’interdire et où l’enseignement était privilégié par rapport à l’éducation, ce n’est pas le cas.

Vous êtes un chef d’entreprise. Quel regard portez-vous sur la manière dont la France est dirigée et gérée ?
J’ai toujours eu de très grosses voitures parce que je voulais toujours emmener tout le monde avec moi. Ne pas les monopoliser : c’est la différence entre la famille Gruss et la famille Al Capone. Ce sont deux familles mais elles ne sont pas gérées de la même manière et pas avec les mêmes moyens, les mêmes règles. En France, je pense qu’il y a eu un abus d’autorité personnelle au détriment d’autrui.

En 1978, alors que notre cirque était situé entre la National Gallery et la Philharmonie de Berlin, j’ai assisté à une répétition à la Philharmonie de Berlin. Je suis passionné de musique classique. En entrant dans cette pièce, j’ai eu la sensation d’entrer dans un temple, un lieu mystérieux. Au début, tous les instruments essayaient de se mettre d’accord. Et pour accorder, quel que soit l’instrument, il faut se rapprocher le plus possible du A 440. Une fois tout accordé, quelqu’un arrive alors, le chef d’orchestre, qui synchronise le mouvement. Il ne peut y avoir d’harmonie sans accord, ni d’harmonie sans synchronisation des mouvements. Et comme le disait Victor Hugo, c’est l’étude du passé et la curiosité du présent qui donnent un aperçu de l’avenir. C’est exactement ce qui se passe dans notre famille.

François Fillon a remporté la primaire de la droite il y a quelques semaines… Pensez-vous qu’il peut sauver la France ?
Il ne fera rien tout seul. Ce que je vois depuis ma petite caravane, c’est que le poison est la dose. Tout est une question de dosage. L’équilibre ne peut être atteint que grâce à une dose équitable. La vraie valeur des humains réside dans ce qu’ils peuvent faire et non dans ce qu’ils peuvent dire. D’ailleurs, il est bien plus difficile d’apprendre à faire qu’à apprendre à dire. Entre savoir et faire il y a un lien. Savoir, c’est affaire avec le cerveau, et faire avec la main. Contrairement à ce que l’on pense, et cela me convient, ma main, sans le cerveau, ne vaut rien.

As-tu des regrets?
Aucun puisque tout ce que j’ai fait jusqu’à aujourd’hui a été réfléchi. Si j’en avais eu la chance, j’aurais certainement appris une ou deux langues supplémentaires, j’aurais amélioré ma lecture de la musique… au niveau de ma famille, je pense que je suis l’homme le plus épanoui qui soit ! Quand tu fais un spectacle pendant des années avec toute ta famille autour de toi… ça n’a pas de prix.

Quels conseils donnez-vous à vos petits-enfants ?
La vie vaut la peine d’être vécue. Quand les gens me demandent si je vais bien, je dis généralement « Oui, je m’en occupe ».

 
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