« J’ai été deux types de joueurs. Au début, j’étais un joueur opportuniste qui sautait sur la moindre occasion de marquer un but. Je ne pensais qu’à marquer. Par la suite, après l’épopée de l’équipe FLN, je suis devenu magicien. » C’est ainsi qu’en septembre 2016, Rachid Mekhloufi se décrivait dans nos colonnes. Huit ans plus tard, Rachid Mekhloufi n’est plus, mais son nom et son âme ne resteront jamais liés à deux histoires : le football et l’Algérie.
En vert et avec tout
Pour ceux qui le connaissent (ou ne l’ont pas connu), Mekhloufi ne s’est jamais caché. De son style de jeu à ses sorties médiatiques, en passant par ses positions, le Sétifien a toujours osé. Oser quitter une Algérie encore française et un socle familial victime des horreurs de la colonisation, pour traverser la Méditerranée et rejoindre l’AS Saint-Étienne à seulement 18 ans. Un coup de folie signé Jean Snella, alors sélectionneur des Verts, qui voyait dans ce jeune homme moustachu, la touche de fantaisie qui manquait à la dureté forézienne. Adopté, Rachid Mekhloufi gagne son statut notamment grâce à des histoires de derby : « Quand je suis arrivé à Saint-Étienne, on m’a mis dans la tête que les Lyonnais n’étaient pas des gentils. Finalement, je n’ai rien à voir avec ce derby. Mais j’étais coincé parce que la population était d’accord, il a ri. Ils ne voient pas les Lyonnais et c’est réciproque. Les Lyonnais sont assez froids. Par contre les gens de Stéphane sont chaleureux, ils prennent soin de vous. C’est peut-être ce qui a joué un rôle entre les mineurs et la bourgeoisie. » Non, toujours pas de plaisanterie.
L’attaquant a mené cette lutte de classes jusqu’à remporter quatre sélections en équipe de France, 335 apparitions, 150 buts et cinq titres sur les bords de Loire (quatre championnats et une Coupe de France). De 1954 à 1958, puis de 1962 à 1968. Entre ces deux périodes prospères ? Simplement la vie. Celui qui a vu un footballeur devenir résistant par la paix, risquer tout perdre pour offrir l’indépendance à son peuple. Le 14 avril 1958, accompagné de Mokhtar Arribi (Lens), Abdelhamid Kermali (Lyon, eh bien) et Abdelhamid Bouchouk (entraîneur d’Avignon), Mekhloufi décide de rejoindre un groupe de joueurs algériens réunis en Tunisie, afin de travailler sur le projet d’une équipe nationale pour le Front de Libération Nationale (FLN). Là, ils ont retrouvé Abdelaziz Ben Tifour et Moustapha Zitouni (tous deux à Monaco). L’Indépendance Onze était née. Renonçant à leur carrière, à leur argent et à leur situation en France, le groupe de vaillants hommes a participé à des matchs d’exhibition à travers le monde – plus de 50 rencontres enregistrées – tout en s’efforçant de plaider la cause de leurs compatriotes. La mission s’est terminée en 1962, peu après la fin d’une guerre déchirante.
Professeur d’histoire
Interrogé sur la valeur de ce voyage vital, la réponse de Rachid Mekhloufi est cette fois modeste : « J’ai passé quatre ans de 58 à 62 ans avec des garçons, des hommes qui m’ont appris la vie, le football et bien d’autres choses. Et surtout, nous avons rencontré des chefs d’État, des gens que je n’imaginais même pas découvrir. Ça m’a mis un peu de plomb dans la tête. » Devenu officiellement algérien, par le drapeau et le maillot (onze sélections et cinq pions de 1962 à 1968), le super buteur a repris – comme il l’avait finalement quitté – le fil de son aventure sportive. Dix-huit ans de carrière sur le terrain, suivis d’une décennie de transmission de son savoir depuis le banc, notamment pour la toute jeune sélection algérienne.
Confidentiel, son parcours de coach/manager avait encore sa parenthèse enchantée. 1982, en Espagne, vingt ans après l’indépendance : le talent. Alors co-sélectionneur des Verts, qualifiés pour leur première Coupe du monde, Mekhloufi et son partenaire, Mahieddine Khaled, forment la deuxième grande génération du football local : Rabah Madjer, Lakhdar Belloumi, Salah Assad, Djamel Zidane, Nouredine Kourichi, Ali Fergani et tous les autres. Des artistes en chaussettes basses, battant la grande Allemagne et déchaînant la passion ibérique avec la beauté de leur jeu. Avant d’être victimes du complot austro-allemand lors du match de la honte. Des deux côtés de la ligne blanche, des deux côtés de la Méditerranée, Rachid Mekhloufi aura donc embarqué dans son voyage, le poids de l’Histoire. Avec sa mort, l’Algérie perd une légende. Le foot aussi.
Rachid Mekhloufi, le football et la révolution