Cory Jane – entraîneur adjoint des Hurricanes et des All Blacks.
Que pensez-vous du niveau de performance des All Blacks en ce moment ?
Ils ne sont pas encore au meilleur de leur forme, c’est sûr. Quand je les regarde jouer, je trouve qu’ils sont tellement talentueux qu’ils n’ont pas besoin d’être très structurés pour bien performer. Dès qu’ils sortent des schémas du jeu cellulaire, ils peuvent devenir très dangereux. Ils ont toujours un problème de discipline, même si c’était mieux contre l’Irlande. Ils ont un tout nouveau staff, je pense qu’il faut leur laisser du temps. Ils n’ont pas eu un bon championnat de Rugby, perdant contre l’Argentine et l’Afrique du Sud ; cette tournée dans le Nord est donc très importante dans leur processus de développement.
Ils ne sont plus aussi dominants que lorsque vous étiez joueur. Pour quoi ?
J’ai le sentiment que d’autres nations ont toujours eu des joueurs de qualité disponibles mais ne les ont pas toujours bien utilisés : l’Irlande par exemple. Il dispose toujours de joueurs forts et puissants, mais il a passé beaucoup de temps à jouer sans les utiliser. À quoi ça sert ? Pareil pour l’Afrique du Sud : j’ai toujours trouvé que cette nation avait le meilleur triangle arrière du circuit mondial. Sauf que jusqu’en 2018-2019, les Springboks n’en ont pas profité ! Chaque fois que nous les affrontions, je savais que j’allais être inondé de bougies. D’autres nations ont progressé, la Nouvelle-Zélande fait face à une nouvelle concurrence. Les All Blacks ont toujours trouvé le moyen d’avoir un peu d’avance sur les autres. Ils devront faire preuve de créativité pour reprendre cette avance.
Quels sont les joueurs qui vous passionnent le plus en ce moment ?
J’ai toujours été un grand fan de Billy Proctor (Hurricane center, NDLR). Je pense qu’il mérite beaucoup plus de sélections qu’il n’en a actuellement (2 capes). Je le vois jouer depuis plusieurs années chez les Hurricanes et il a besoin de plus de temps de jeu avec un maillot noir sur les épaules. Il est très complet, il sait tout faire. J’aime beaucoup Damian McKenzie aussi. Quand ce type est libre, tout peut arriver. Il sait s’adapter aux schémas de jeu mais honnêtement, ce n’est pas le gars à qui on devrait demander de passer et de donner, de passer et de donner et de botter le jeu. Il faut le laisser faire ce qu’il veut, comme il le fait avec les Chiefs. C’est comme ça qu’il est le meilleur. Le nouveau phénomène s’appelle Wallace Sititi. On l’avait découvert il y a deux ans chez les moins de 20 ans, et je ne pensais pas qu’il serait prêt aussi vite au niveau international. Mais il l’est évidemment.
Scott Robertson a tout gagné avec les Crusaders, les attentes autour de sa nomination étaient immenses… Est-il l’homme de la situation ?
Encore une fois, les supporters veulent qu’on gagne tout. Maintenant que je suis entraîneur, je me rends compte que la pression est énorme, tout comme les attentes. Tout le monde pensait qu’ils allaient tout gagner mais ça ne marche pas comme ça. Il a un tout nouveau staff et n’a pas encore passé beaucoup de temps avec son groupe. Quand les joueurs sortent du Super Rugby, ils arrivent en sélection avec leurs plans de jeu et il faut du temps pour que tout le monde soit sur la même longueur d’onde. Nous avons bien vu que lors des premiers tests de Robertson, les joueurs ne s’emboîtaient pas. Cela viendra.
Vous rencontrez Ardie Savea au quotidien. Parlez-nous de lui…
Ce type est incroyable. Il a un tel esprit de compétition, il est tellement fort… Et puis en dehors du rugby, il est aimé de tout le monde : il est gentil, attentionné, positif, respectueux. Les joueurs autour de lui veulent le suivre et apprendre de lui. Et puis c’est dur. Surveillez-le quand il joue : parfois il se relève au contact, on a l’impression qu’il peut à peine marcher. Et quelques secondes plus tard, vous le voyez dans le couloir, dégageant les défenseurs ou lançant un ballon lent, frappant les gars au cul. Et le pire, c’est qu’il est loin d’être le plus grand de tous. Je pense que son enfance avec son grand frère Julian, qui est plus fort que lui, lui a bien servi : se mesurer constamment à ceux qui sont plus forts et plus puissants que lui l’a endurci. L’année prochaine, il jouera avec Moana Pasifika et je peux vous dire que c’est une grosse perte pour nous, même si nous avons de bons jeunes joueurs en troisième ligne. On perd un gros calibre mais je pense que ça va faire beaucoup de bien à Moana.
Quels sont les joueurs français que vous appréciez ?
J’ai toujours aimé Gaël Fickou. J’ai vu qu’il était sur le banc pour la première fois de sa carrière la semaine dernière, n’est-ce pas ? J’aime beaucoup aussi votre numéro 8, Greg Alldritt et Peato Mauvaka. Je pense que ce dernier pourrait jouer absolument n’importe où dans une équipe : troisième ligne, numéro 8, centre, même 10… Je pense aussi que ton demi de mêlée n’est pas trop mal… (rires)
Les All Blacks doivent-ils mettre en œuvre un plan « Anti-Dupont » ?
Difficile à dire. Je suis sûr qu’ils auront prévu quelque chose pour lui mais le risque est d’oublier les gars qui l’entourent. D’ailleurs, Dupont n’est pas égoïste. Il joue toujours avec lui et ne tente pas des choses impossibles en solo. Il est tellement fort… Il peut tout faire. Il frappe fort, il va vite, il tacle bien, il fait de belles passes… Il faudra le surveiller de près, c’est sûr.
Avez-vous toujours été intéressé par le secteur défensif ? Quand on évoque votre nom, on a tendance à penser à l’attentat…
Certainement pas. J’étais intéressé par la défense par défaut. Vous avez raison : toute ma carrière a été basée uniquement sur l’attaque. Enfant, je ne faisais que des pas d’oie ! Et je n’avais pas une bonne technique de plaquage, je visais trop haut, un peu comme les treize joueurs, ce qui rendait fou mes entraîneurs. Mais en vieillissant, je voyais que je perdais de la vitesse. Encore plus à cause des blessures. J’ai donc dû me réinventer. Pour rester dans le jeu et continuer à contribuer à l’équipe, je me suis concentré sur la défense puisque c’était ma seule façon de rester compétitif. Cela m’a tout de suite intéressé. Comment fermer les espaces, comment couper les attaques… Il y a une partie de l’étude que j’aime beaucoup. Je me suis donc de plus en plus impliqué dans cette mission, au point que mes coéquipiers sont venus me demander sur le terrain comment on était censé défendre dans telle ou telle zone du terrain ! (rires). On a fini la saison en remportant le titre de Super Rugby, j’ai fait une autre saison avec les Canes, durant laquelle j’ai vraiment travaillé pour mettre en place mon propre système défensif, j’ai entre temps passé deux saisons au Japon, et à mon retour on m’a demandé de devenir entraîneur de la défense des Wellington Lions, l’équipe NPC. Puis deux ans plus tard, on m’a proposé de rejoindre le staff des Hurricanes en Super Rugby. Et depuis, j’en profite !