Face à la victime du faux Brad Pitt, pourquoi rit-on au lieu de faire preuve d’empathie ?

Face à la victime du faux Brad Pitt, pourquoi rit-on au lieu de faire preuve d’empathie ?
Face à la victime du faux Brad Pitt, pourquoi rit-on au lieu de faire preuve d’empathie ?
MARCO BERTORELLO / AFP Brad Pitt, ici à Venise le 1er septembre 2024, a réagi à l’arnaque impliquant une Française par l’intermédiaire de son porte-parole.

MARCO BERTORELLO / AFP

Brad Pitt, ici à Venise le 1er septembre 2024, a réagi à l’arnaque impliquant une Française par l’intermédiaire de son porte-parole.

PSYCHO – L’histoire a provoqué un flot de moqueries, de plaisanteries et mèmes sur Internet. Dans le spectacle Sept à huit, TF1 a diffusé le témoignage d’une femme de 53 ans victime d’une arnaque sur les réseaux sociaux. Pensant échanger avec Brad Pitt, elle a versé 830 000 euros à des escrocs. Mais sur les réseaux sociaux, son histoire a suscité bien plus de moquerie que d’empathie, de la part des internautes se moquant de sa supposée crédulité.

Après la vague de harcèlement dont elle a fait l’objet, TF1 a décidé de supprimer le rapport de toutes ses plateformes en ligne. Mais le mal est fait : pourquoi cette affaire suscite-t-elle si peu d’empathie envers cette femme, que la série décrit comme ruinée et ayant fait trois tentatives de suicide ? Selon des psychologues interrogés par HuffPostplusieurs mécanismes sont à l’œuvre.

Il y a d’abord l’aspect « trop gros pour être vrai ». « Il existe bien d’autres situations qui génèrent de l’empathie, car on se dit que cela pourrait nous arriver.souligne Vanessa Lalo, psychologue spécialisée dans les pratiques numériques. Mais cela provoque un jugement moral, sous-entendu : « cela n’aurait pas dû arriver ». » Les méthodes utilisées par les escrocs, selfies, photos et documents grossièrement falsifiés, n’aident pas, selon elle, à faire preuve d’empathie.

« Ça aurait été une personne âgée endettée, ça n’aurait peut-être pas été pareilsuggère le psychologue. Parce que pour se faire arnaquer à 800 000 euros, il faut les avoir. Et la plupart des gens n’en ont pas. L’empathie, c’est-à-dire l’acte de se mettre à la place de quelqu’un, ne commence donc pas. » Le principe est simple : pour reconnaître qu’une personne est victime, il faut être capable de se mettre à sa place. Et si rien ne résonne avec notre réalité, nous ne le faisons pas.

“En réalité, personne n’est en sécurité”

La deuxième chose qui entre en jeu est l’idée selon laquelle nous sommes souvent considérés comme plus intelligents que les autres. ” C’est un mécanisme de défense : on se dit que cela ne pourrait pas nous arriver.estime Vanessa Lalo. Alors qu’en réalité, personne n’est en sécurité. » Selon le professionnel, à partir du moment où on a des vulnérabilités psychologiques, certains défauts narcissiques ou d’estime de soi, « on peut glisser vers d’énormes dérives ».

Et cela ne concerne pas que les personnes qui ne sont pas nées avec le numérique. “ Il y a par exemple beaucoup d’adolescents qui se font extorquer de l’argent par des escrocs sur Instagramelle se souvient. Peut-être qu’au lieu de rire, nous devrions nous demander comment nous pouvons protéger et aider ces personnes vulnérables, plutôt que d’être complices de ce qui leur arrive. »

Pour le psychologue clinicien Jean-Paul Santoro, créateur du site Psychéliquesi cette affaire a pris une telle ampleur, c’est aussi parce qu’elle est teintée de« âgisme et misogynie ». « Aurions-nous réagi de la même manière avec un homme plus jeune ? Il y aurait sûrement des moqueries, mais peut-être pas de la même manièreil croit. Sur Internet, il y a beaucoup d’attaques contre les femmes, qui ne seraient pas équivalentes si elles étaient des hommes, surtout lorsqu’il s’agit d’amour ou de sexualité. »

Et pourtant, les victimes des arnaques sur Internet, qu’elles soient liées à des scénarios amoureux ou purement financiers, ne sont pas que des femmes. ” Les hommes célibataires qui se font hameçonner avec de faux profils Instagram de belles filles, il y en a aussi beaucoupse souvient Vanessa Lalo. Mais on en parle moins, car les femmes en parlent davantage, alors que les hommes le vivent davantage comme une honte et ne partagent pas. »

Un mécanisme de harcèlement “classique”

Pour les psychologues interrogés, le « pseudo-anonymat » conféré par les réseaux sociaux favorise la désinhibition des personnes à l’origine des moqueries et mèmes. « Sur Internet, c’est encore souvent la culture de l’attaque, de la dérision, de la critique, là où l’empathie arriverait bien plus vite dans la vraie vie. »se souvient Jean-Paul Santoro. Ce qui veut dire que ce type d’histoire peut servir de « se défouler ».

C’est toute l’ambivalence des interactions en ligne. « C’est à la fois un domaine de créativité incroyable et à tomber par terre, résume Vanessa Lalo. Mais d’un autre côté, nous utilisons ces histoires pour alimenter des choses qui ne sont pas les meilleures pour améliorer le vivre ensemble dans notre société. »

Ceci apparent « liberté d’expression » est amplifié par l’effet de groupe. ” C’est le même mécanisme classique qui existe dans tous les cas de harcèlement, en ligne ou dans la « vraie vie »développe Jean-Paul Santoro. Ce sont des gens qui ne vont pas forcément bien et qui s’unissent derrière un objectif commun, avec l’idée que si cette personne leur est inférieure, ils sont supérieurs. »

La responsabilité des médias aussi ?

Le fait d’être derrière l’écran explique aussi pourquoi les victimes peuvent « abandonner leur esprit critique “, même si le ” drapeaux rouges » peut paraître évident d’un point de vue extérieur ou serait plus identifiable dans la vraie vie.

« Internet, c’est beaucoup d’émotion et elle est amplifiée par des photos, des vidéos, des voixestime Vanessa Lalo. C’est une approche différente du ping-pong en direct. On peut lâcher prise sur certains sujets très intimes. Et dès que nous sommes dans un changement émotionnel, quelque chose se déconnecte dans la pensée critique. On ne se pose plus de questions. »

Pour le psychologue, les médias ont aussi une responsabilité dans ce manque d’empathie généralisé. ” En relayant ce genre d’histoire, on sait très bien que cela va susciter le ridicule. Il faut donc aussi se demander quel angle aurait pu être choisi pour générer autre chose ? souligne-t-elle. Mais comme une nouvelle en chasse une autre, dans deux jours, une autre histoire fera le buzz. Alors que cette femme restera brisée pendant des années. »

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