Un univers rétrofuturiste, une ambiance glaciale et bleue, un générique sidérant… Dès son lancement, en 2022, « Severance » s’est imposé comme un phénomène surprenant parmi une profusion d’histoires dystopiques. A l’origine de ce succès inattendu : Dan Erickson, alors showrunner débutant, dont le scénario avait miraculeusement atterri sur le bureau de Ben Stiller. « Je choisis mes projets instinctivement. Le potentiel, la dimension universelle de l’histoire m’ont tout de suite frappé, explique son réalisateur et coproducteur. Qui n’a jamais tenté de cacher une partie de son existence pour mieux y échapper ? »
Comme les équipes qu’il dirige chez Lumon Industries, Mark (Adam Scott) a accepté de se faire transplanter une puce dans son cerveau. L’implant lui permet, dès son arrivée sur son lieu de travail, d’effacer de sa mémoire tous les souvenirs de sa vie privée, et inversement lorsqu’il quitte son bureau… Jusqu’à ce qu’une série d’événements dramatiques impliquant sa hiérarchie fasse entrer en collision les deux mémoires partagées. pour le ramener à un passé douloureux.
Aliénation au travail, perte du libre arbitre, totalitarisme à peine voilé… Les sous-textes sont nombreux. Impossible de ne pas voir en Kier Eagan, le gourou fondateur de la multinationale Lumon Industries, une émanation frelatée de Steve Jobs – une ironie d’autant plus délicieuse que la série est diffusée par la plateforme de streaming d’Apple. « Severance » interroge notre dépendance à la technologie ainsi que notre relation aux autres. À l’heure où les séries à consonance politique (« Landman », « The Boys ») sont légion mais où ceux qui les créent refusent de l’admettre, Stiller ne fait pas exception à ce qui semble être devenu la règle. « Si la série fait écho au monde dans lequel elle se déroule, elle interroge avant tout la manière dont nous luttons pour préserver notre humanité individuellement et collectivement », préfère analyser la star… Déclaration qui fait directement référence à son engagement en tant qu’ambassadeur de bonne volonté pour les Nations Unies.
“Je suis un grand fan de Jacques Tati”
L’acteur principal d’une certaine comédie américaine, dont il fut parfois le réalisateur (« Tonnerre sous les tropiques », « Zoolander »), a entamé en 2018 un virage vers des productions plus dramatiques avec la série « Escape at Dannemora ». On lui a fait remarquer qu’il était déjà question d’un monde carcéral dans cette fresque où Benicio del Toro et Paul Dano représentaient deux forçats, aux pieds nickelés, en quête désespérée de liberté. “Curieusement, je ne m’en suis rendu compte qu’après un an de tournage”, s’amuse-t-il. Et pourtant, la manipulation et le dépassement de soi sont au cœur des deux histoires. » L’hommage fort au cinéma de son adolescence (celui de Michael Cimino, Don Siegel ou Clint Eastwood) dans cette première série à succès laisse place aujourd’hui, avec « Severance », à une autre référence revendiquée : « Je suis un grand fan de Jacques Tati. . Sa façon de retranscrire à l’écran notre rapport sclérosé au travail, notamment dans « Playtime », m’a beaucoup influencé. »
Long crescendo sombre, cette deuxième saison, toujours claustrophobe et parfois sinueuse, explore dans le même élan la condition des femmes mûres dans notre société ou celle, finement abordée, de l’homosexualité au travail. « Severance » bouscule surtout les conventions en continuant de s’appuyer sur un casting exceptionnel, majoritairement senior, en plus d’Adam Scott : Patricia Arquette, Christopher Walken ou John Turturro… « Les trajectoires de ces personnages à des moments charnières de leur existence résonnent évidemment dans moi, confirme Ben Stiller. J’ai besoin de raconter des histoires qui me ressemblent et qui ne reposent pas sur des clichés. » Nous l’appelons les cinquante éclairés.
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