Dans « The Wild Fires », le réalisateur chinois revisite vingt-cinq ans d’histoire de son pays, en suivant les pas de danse de son actrice et épouse.
Lorsqu’on le rencontre à Cannes, sur une terrasse impersonnelle du Palais des Festivals, le couple frappe par sa simplicité et sa modestie. Lauréat d’un Lion d’or en 2006 à Venise pour « Still Life » et d’un prix du scénario à Cannes en 2013 pour « A Touch of Sin », Jia Zhang-ke est le cinéaste chinois le plus important de la « sixième génération », dont le regard lucide sur la Chine contemporaine lui vaut quelques réprimandes de la part du régime. Pour ceux qui ont raté le début de sa filmographie, « Les Feux Sauvages » offre un aperçu de son cinéma, un voyage à travers son œuvre passée, présente et future avec, comme fil conducteur, une histoire d’amour impossible.
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“Les premières images que l’on voit dans le film datent de 2001”, précise le réalisateur. Nous avions des caméras mini-DV et, avec mon chef opérateur, nous aimions filmer des fragments de vie sans but particulier. Juste pour le plaisir de photographier, d’utiliser ce nouvel outil extrêmement pratique. À l’époque, nous avions dit que si jamais cela devenait un film, nous l’appellerions « L’Homme à l’appareil photo numérique » en hommage à Dziga Vertov. [cinéaste soviétique, réalisateur de ‘L’homme à la caméra’ (1929), NDLR]il rit. Cette envie de capturer la vie qui se déroulait sous nos yeux ne m’a jamais quitté. J’ai toujours filmé, en 16 mm, en 35 mm, avec des appareils photo numériques, des smartphones, et j’ai accumulé un matériel conséquent, sans véritable projet en tête. » Et puis, en 2020, est arrivée la pandémie de Covid-19, la Chine mettant en place un confinement strict de sa population. « Je me suis retrouvé chez moi sans savoir quoi faire. Il était temps de me replonger dans mes archives. »
“Si vous allez chez nous, vous verrez à quel point nous aimons danser et chanter”
En vingt-cinq ans, tout a changé : les moyens de produire, de manger, de communiquer. Tout, sauf la difficulté de s’aimer dans une Chine en pleine mutation, où l’on construit et déconstruit à une vitesse vertigineuse sans jamais se soucier des populations qui y vivent. Alors dansons, semble nous dire Jia Zhang-ke. « Si vous allez chez nous, vous verrez à quel point nous aimons danser et chanter. Allez simplement dans un parc et observez. Je pense que c’est un bon moyen pour nous, Chinois, de nous libérer et de nous exprimer. » Cela permet aussi au cinéaste de filmer sous toutes les coutures son actrice Zhao Tao qui déambule parmi la foule, dans les rues de Shanghai, Fengjie ou Chongqing.
Jia et Zhao se sont rencontrés sur le tournage de « Platform » en 1999, alors que l’homme de 29 ans cherchait une danseuse pour son nouveau film. Il trouvera une muse, une épouse et une actrice incroyable qui, par sa façon de bouger et d’occuper l’espace, attire l’attention et l’objectif de la caméra.
Dans « Wild Fires », Zhao Tao observe en silence les changements du monde et la lâcheté des hommes. « J’ai dû réagir avec mon visage, avec des expressions exagérées, un peu comme des émoticônes. Cela fait également référence au cinéma muet. En tant qu’actrice, ce fut une expérience très stimulante”, explique celle qui incarne une héroïne muette mais émouvante. Indissociable des films de son mari, elle en est à la fois le cœur qui bat et la rage réprimée. Ce couple n’a pas fini d’allumer nos feux intimes.