Attention : un Dubosc peut en cacher un autre. Bavard, certes, mais réfléchi. Drôle, évidemment, mais appliqué. Comédien populaire, mais aussi cinéphile passionné. C’est également dans les couloirs de la maison Gaumont, décorés d’affiches des films de Cocteau et Carné, que Franck Dubosc nous a donné rendez-vous. Après notamment le succès de « Tout le monde debout », c’est là qu’il écrit son troisième film, « Un ours dans le Jura ». Un thriller transgressif avec Laure Calamy, Benoît Poelvoorde et Franck lui-même, où morts suspectes, trésor et migrants feront tourner les têtes dans un village reculé des montagnes du Jura. Cupidité, transgression, immoralité sont les maîtres mots de ce film trash, sorte d’hommage à peine voilé au « Fargo » des frères Coen.
Paris Match. « Un ours dans le Jura » est très loin de votre univers de comédien. Cela vous irrite-t-il que nous soyons encore surpris par cela ?
Franck Dubosc. Je pourrais être offensé. En fait, cela me flatte que les gens soient surpris. J’ai souvent vécu cela. Voir un playboy un peu idiot qui, du coup, est moins stupide qu’on le pensait. C’est souvent la différence qui crée la séduction. Je l’ai vécu en tant que comédien et en tant qu’acteur et je le vis encore depuis que j’ai commencé à faire des films. J’adore lire les critiques, c’est très nourrissant. J’ai parfois été du même avis que la presse lorsqu’elle examinait un de mes films. Je voulais juste dire : « Laissez-moi vous surprendre, donnez-moi le bénéfice du doute. »
Vous êtes politiquement incorrect…
J’ai eu envie de pousser les sliders, c’est la première fois que je ne cherche pas à cibler ceux à qui je vais plaire. Avec Sarah Kaminsky, ma co-scénariste, la seule limite que nous avions était la crédibilité de l’histoire. Après mes deux premiers films très urbains, j’avais envie d’un western rural. Quand j’étais jeune, à 13 ans, j’avais une caméra super 8 et je faisais des courts métrages de gangsters et des cascades avec mes petites voitures. Puis, devenu adulte, l’humour m’a rattrapé. Pour « Un ours dans le Jura », j’ai tout bousculé pour faire un cocktail de ce que l’enfant que j’étais et l’adulte que j’aime. Essayez de retrouver l’ambiance de « L’Affaire Dominici » avec Gabin et aussi celle des films de Ventura ou de Bourvil. Pour moi, c’est ça le cinéma : des gens ordinaires qui vivent des histoires extraordinaires.
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« J’ai la chance de ne pas avoir encore tout dit, ni tout montré sur moi »
C’est avant tout un film qui évoque les petits arrangements que chacun fait avec la morale… Est-ce votre vision de la France aujourd’hui ?
J’aime l’idée qu’on puisse se dire : “Que ferais-je si comme ça, dans le coffre d’une voiture, je trouvais 2 millions d’euros ?” J’en prends un peu et je laisse le reste. Nous gardons nos propres mœurs, mais nous ne sommes pas tous blancs comme neige. Et tant mieux. Après, je n’ai aucune envie d’écrire une chronique sociale. Beaucoup de gens me parlent de la question des migrants qui revient dans le film, mais il n’y avait aucune volonté d’en faire un thème. Lorsque nous écrivons, nous devenons un buvard du monde qui nous entoure. Comme M. Jourdain, je fais la chronique de la France d’aujourd’hui sans m’en rendre compte.
De Laure Calamy à Benoît Poelvoorde, Joséphine de Meaux ou Emmanuelle Devos, vous aviez envie de réunir des acteurs venus d’horizons différents ?
J’ai choisi des acteurs qui ne sont pas forcément issus de ma famille. Et je leur ai dit : “Vous allez jouer au premier degré et je suis chargé d’amener la comédie dans la production.” Certains d’entre eux ont été presque surpris par ma proposition, pensant que nous n’étions pas de la même famille du cinéma. Je savais que nous l’étions.
Avez-vous déjà souffert d’une image publique différente de qui vous êtes réellement ?
Il est toujours difficile d’effacer les drôles de logiciels de la tête des gens. Mieux vaut commencer par le bas et progresser progressivement. Je ne suis ni amer ni aigre, bien au contraire, j’ai la chance de ne pas encore tout dire ni tout montrer sur moi. J’étais presque nue dans “Camping”, mais il faut une certaine maturité pour se mettre nue telle qu’on l’est vraiment. J’ai passé toute une carrière à vouloir être aimée, c’était mon objectif. Avec l’âge aidant, il est temps de s’aimer. Privilégiez la qualité à la quantité, arrêtez de chercher à plaire à tout le monde, car vous finissez aussi par déplaire à un grand nombre de personnes. De toute façon, je n’ai jamais été dans le milieu du cinéma, donc je ne cherche rien. Et je n’en ai jamais souffert.
Quitte à se voir enfermé dans un personnage comme Patrick Chirac dans « Camping »…
Donc. Même si au fil des films, je l’ai fait évoluer vers plus de poésie. Aujourd’hui, le « Camping » est terminé, j’ai fait le tour. Sans Patrick Chirac, il n’y aurait pas eu « Tout le monde debout » ou « Un ours dans le Jura ». Il m’a aidé à asseoir ma notoriété et m’a permis d’exister au cinéma. Un ami m’a récemment dit que pour faire un contre-travail, il fallait déjà avoir un travail. Patrick Chirac est tout sauf un défaut pour moi. Mais maintenant, je veux explorer davantage mes faiblesses.
« Mon ambition était d’avoir une belle voiture et de signer trois autographes dans la semaine. J’ai même fait une signature au cas où… »
Que rêvait le jeune Franck de vivre à Petit-Quevilly ? Et est-il aujourd’hui satisfait des progrès qu’il a réalisés ?
Je rêvais de faire du ski en hiver et de monter à cheval en Amérique. Sortez de mon HLM et vivez comme les gens que j’ai vu à la télé. Soyez un aventurier. Même au conservatoire, je ne pensais pas au métier que j’ai aujourd’hui. En fait, j’ai dépassé mes rêves. Acteur, et plus encore réalisateur, je ne savais même pas que ça pouvait exister. Mon ambition était d’avoir une belle voiture et de signer trois autographes dans la semaine. J’ai même fait une signature au cas où…
Il y a pourtant cet épisode incroyable du début de votre carrière, que peu de gens connaissent, où vous décrochez un rôle dans « Coronation Street », l’équivalent anglais de « Plus belle la vie », une véritable institution outre-Manche…
J’étais le jeune protagoniste un peu bidon de films pour ados, comme dans « A nous les jeux » de Michel Lang, en 1985, et bizarrement, on m’a proposé le rôle d’un voyou. Je suis allée aux castings, j’ai laissé des photos comme tant d’autres à l’époque. Et j’en suis arrivé là, dans cette série aux 27 millions de spectateurs. Je suis allé voir ma propre Amérique et c’était l’Angleterre.
N’est-il pas arrivé un moment où vous aviez le sentiment d’accepter un peu de tout, le bon comme le mauvais, en étant le drôle de service ?
Oui, peut-être. Je n’ai jamais fait de film juste pour l’argent, mais je l’ai fait pour de mauvaises raisons. A mes débuts, même après plusieurs rôles principaux, j’ai pu accepter un figurant dans une émission de variétés pour incarner un gendarme qui enfermait C. Jérôme dans un fourgon de police. Et en parallèle donner des cours d’expression orale aux avocats. Parfois, je n’avais pas le courage de dire non. Quand j’ai co-écrit « All Inclusive », je savais que le projet n’était pas bon. Mais nous y allons par amitié. Quand je fais « Cinéman » de Yann Moix, un film imparfait mais que je continue de trouver intéressant, je sais dès le départ que l’ADN n’est pas bon. Poelvoorde avait refusé le rôle. On y va en se disant : « Soit ça va devenir culte, soit ça va échouer ».
« Il faut toujours penser au public. Faire rire ou faire pleurer, c’est avant tout divertir les gens.
Comment voyez-vous évoluer la comédie en France ?
Elle change et c’est normal. Un acteur de comédie a toujours une période de succès limitée. C’était vrai pour tous, même Funès ou Pierre Richard, qui avaient fait d’autres films avant ou après la célébrité. Aujourd’hui, je ne vois Christian Clavier qu’en termes de longévité. Même si les comédies comptent moins d’entrées qu’avant. Il y a toujours un moment où on se fatigue. Parmi la jeune génération, j’admire Philippe Lacheau qui sait écrire des comédies en plus d’être un gars adorable plein de doutes. Hier au téléphone, il m’a dit : “Si mon prochain film ne fait pas 3 millions d’entrées, on dira que c’est un bide.” C’est un bon résumé.
Êtes-vous client des comédies en tant que spectateur ?
Oui, même si j’ai envie qu’on me fasse rire, pas qu’on me force à rire. C’est toute la nuance. Le cinéma ne doit rien imposer. Quand je vais au cinéma, j’ai envie d’aller voir des films comme « L’innocent » de Louis Garrel, « Ouistreham » d’Emmanuel Carrère. Et j’adore le cinéma de Stéphane Brizé.
Aimeriez-vous vous tourner vers des films plus sombres, comme le rôle que vous avez récemment tenu dans « Prodigieuses », de Frédéric et Valentin Potier, par exemple ?
Oui, mais en même temps, il vaut mieux que je m’essaye aux seconds rôles, car le public m’a donné le droit d’exister avec la comédie. Maintenant, je ne veux pas lui imposer la prétention de lui plaire dans le drame. Avant la sortie de « Everybody Stand », certains se demandaient si le public allait suivre. Finalement oui. Pour « Rumba la vie », ce fut moins le cas. Il faisait peut-être trop sombre, la proposition était moins claire. Il ne faut pas seulement vouloir s’amuser. Il faut toujours penser au public. Faire rire ou faire pleurer, c’est avant tout divertir les gens.
«Un ours dans le Jura», critique
C’est avec jubilation, un plaisir coupable, que l’on savoure le troisième film réalisé par Franck Dubosc, atypique au possible dans sa carrière mais témoin d’une évidente envie de cinéma. Et jusqu’à présent, totalement réussi. Car c’est autant une comédie, une sorte de « Horrible, sale et méchant » à la sauce jurassienne, qu’une chronique corrosive de nos petites médiocrités, le tout assaisonné dans un thriller de très belle facture. Il ne vous reste plus qu’à regarder ses talentueux acteurs rivaliser pour une fortune qui fait tourner les têtes, entre morts bizarres, ours mystérieux et migrants perdus. Cousin éloigné des films des frères Farrelly, « Un ours dans le Jura » ose les rebondissements idiots et dangereux sans jamais donner de leçons. De cette espièglerie insolite et sans aucun formatage, naît un film gourmand, palpitant et attachant, qui ne renonce jamais à son sujet interpellant. Une très bonne surprise.