Longtemps, Martin Matte a répondu à qui lui demandait si son humour lui permettait de démêler des nœuds intimes que ce n’était pas le cas, qu’il ne fallait pas prendre tout ce plaisir pour autre chose que du plaisir. « Parfois, les gens me disaient : ‘Oh, c’est comme une thérapie, ce que tu dis de ton père.’ Et j’ai répondu non. Mais oui, c’en était un. »
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«J’avais faim, j’avais une ambition démesurée», confie l’humoriste, se souvenant de son premier festival Juste pour rire, en 1995, au cours duquel il avait non seulement participé à un gala animé par Yvon Deschamps, un géant qu’il a aujourd’hui le privilège d’appeler son ami, mais aussi à 16 concerts en 12 jours. « Il n’y avait rien d’autre. J’ai joué ma vie dans chaque spectacle. C’était comme ça pendant des années. »
Martin Matte peut aujourd’hui, à 54 ans, attribuer cette ambition dévorante à l’accueil mitigé que son père a réservé à sa volonté de quitter son emploi de vendeur dans l’entreprise familiale, pour tout risquer pour le grand. jeu pour faire rire les autres. Aux yeux de Jacques Matte, un homme autodidacte qui en 2024 serait peut-être décrit comme un transfuge de classe, un vrai comédien était forcément investi d’un don. Un don que son fils ne possédait pas, croyait-il.
« Il a été extrêmement dur, mais je ne lui en veux pas », jure l’auteur, qui vient de terminer l’écriture d’une série de fiction, produite par Amazon Prime. Le tournage aura lieu en 2025 et il incarnera André, personnage inspiré de son père, dans les années 1990.
Avant d’être tué par la SLA en 2002, le père de famille a encore eu le - de voir son fils s’élever parmi les figures les plus populaires de l’humour québécois. Publicité pour son premier gala Juste pour rire, avec le nom de son garçon juxtaposé à ceux d’Yvon Deschamps, Daniel Lemire et Pierre Légaré, l’homme l’avait découpé dans La presse. « J’ai eu de la chance, car sinon j’aurais eu du mal à ce qu’il ne voie pas que ça fonctionnait. »
Réussir pour les autres
“Et je me demande si mon frère, qui n’a pas pu réussir de la même manière que moi, n’a pas été un moteur”, ajoute-t-il en parlant de son grand frère Christian, victime d’un traumatisme crânien à l’âge de 17 ans, en 1986. Un accident qui a détruit sa mémoire à court terme. « C’est la première fois que je le verbalise, mais peut-être qu’il y avait quelque chose là : réussir dur pour pouvoir l’aider. » Ce qu’il accomplit aujourd’hui grâce notamment à la Fondation Martin-Matte.
Lorsqu’on parle de son père ou de son frère, c’est inévitable : les yeux de Martin Matte vont s’embuer lors de cet entretien plus sensible qu’histrionique.
En 2007, le comédien a déclaré dans sa deuxième émission : Condamné à l’excellencecomment un oncle l’avait félicité lors des funérailles de son père pour avoir réussi à ne pas pleurer, une anecdote qui lui permettait de se moquer d’une certaine conception étriquée de la masculinité.
Martin Matte se souvient de la première fois qu’il a vu son père pleurer comme si c’était hier. Facile : cela n’est arrivé que deux fois.
«Je pleure davantage. Et je me sens mal de pleurer », ajoute-t-il, comme pour préciser qu’on ne peut pas se débarrasser si facilement d’un tel héritage. «Mais c’est beau aussi. C’est bon. Cela fait partie de la vie. »
Pas un échec
A-t-il pleuré pendant la diffusion de Martin Matte en directson talk-show qui, à l’automne 2023, était censé briser tous les records d’audience, mais qui s’est retrouvé dans le feu croisé des critiques ? L’histoire ne le dira pas. Mais, une chose est sûre, l’animateur refuse d’utiliser le mot « échec », même s’il n’hésite pas à évoquer le projet « le plus souffrant » de toute sa carrière.
Pour moi, l’échec, c’est quand on n’a pas fait la bonne chose. Là, il n’a pas répondu aux attentes d’audience qui s’élevait à 1,3 million un jeudi soir.
Martin Maté
Des attentes qui, quelle que soit la qualité d’une émission, semblent de plus en plus irréalistes dans le contexte télévisuel atomisé de 2024.
Avant d’enfiler son costume, Martin Matte avait répété plusieurs segments de son talk-show au Bordel, devant un public plus acquis à sa cause. « Nous sommes arrivés à l’antenne avec ce que nous avions fait dans les bars et nous avons compris que ce n’était pas la même réalité. »
«Le feu était allumé, c’était la panique», explique-t-il, se rappelant comment les dirigeants de TVA décortiquaient avec lui chaque segment afin d’éviter un exode du public.
Et c’est sans compter les avocats qui doivent approuver « chaque mot, chaque texte, chaque blague, chaque question » pour ne pas froisser un sponsor. « Cela joue dans votre tête lorsque vous jouez en live. » De quoi regretter de ne pas avoir accepté la suggestion de Pierre-Yves Roy-Desmarais de diffuser le projet sur le web.
Martin Matte reconnaît que la proposition était loin d’être parfaite et que « l’arrogance » caricaturale avec laquelle il a mené sa carrière a offert de généreuses poignées à ses détracteurs. Il jure qu’il aurait accepté de piloter une deuxième saison sans l’appel d’Amazon.
Mais à l’heure où les jeunes se détournent de la télévision pour investir d’autres supports, les menottes qu’ils mettent à leurs créateurs ne creusent-elles pas le fossé entre le petit écran et ce qui se passe ailleurs ? L’hôte acquiesce.
« Si nous prenions un Écoute [la balado de Mike Ward] et on le mettait à 20 heures sur TVA, il n’y aurait pas assez d’espace sur le web pour le nombre de plaintes qu’ils recevraient. »
Trois citations de notre entretien
À propos de sa première rencontre avec Yvon Deschamps, lors d’un gala Juste pour rire
« Depuis qu’Yvon a ouvert le gala et que j’ai présenté le premier numéro, j’étais derrière le rideau avec lui, côte à côte. Et je ne savais pas à ce moment-là s’il faisait des blagues, mais il me disait : « Pourquoi je fais ça, je ne vais pas bien, je suis stressé. J’ai compris plus tard qu’il ne faisait pas ça pour me faire rire, mais parce qu’il était extrêmement nerveux. »
À propos de la douleur qu’il a ressentie après l’accident de son frère
«Je l’ai noyée dans l’alcool. Ce n’est même pas une blague. Je suis un fêtard. Je pensais que je faisais la fête pour m’amuser et c’était tout. […] J’ai célébré fort, fort, fort. Et puis j’ai travaillé dur, dur, dur. Je pense que c’était ma façon de surmonter cette douleur. […] J’ai été dans le brouillard pendant deux ans. Je suis retourné au cégep, j’étais tout mélangé. J’allais bien, j’avais mes amis, mais il y avait tout le - du brouillard. »
À propos du handicap de son frère
« Cela a certainement fait de moi une meilleure personne, beaucoup plus sensible à la différence. J’ai une sorte de préjugé favorable, d’amour, par rapport à quelqu’un qui vit quelque chose de différent. Je vois un parent avec un enfant en fauteuil roulant et je l’aime plus que les autres personnes dans la rue. »