Après avoir triomphé au théâtre et au cinéma, ils remportent désormais un succès de vente avec leur autobiographie collective. Dans Le Splendid sur Le SplendidChristian, Gérard, Marie-Anne, Josiane et les autres évoquent avec humour et émotion les aventures d’un groupe soudé par la joie de rire et de faire rire ensemble. Nous nous sommes tellement amusés ! » clame le sous-titre du livre, ce que confirme Thierry Lhermitte dans cet entretien, même si la mort de Michel Blanc, survenue le 3 octobre, jette une ombre sur de si joyeux souvenirs.
Le JDD. Quel sentiment avez-vous ressenti en revivant et en commentant l’aventure du Splendid dès ses premiers pas ?
Thierry Lhermitte. Nous n’avons découvert ce que les autres avaient écrit qu’au moment de signer l’épreuve, et j’étais ravi de sentir l’amitié et la chaleur qui émanaient de chacun. J’ai lu le rôle de Michel [Blanc, NDLR] pendant la nuit qui a suivi sa mort, je n’ai pas pu dormir.
Pour réussir le Splendid, il faut évidemment du talent et du travail. Selon vous, il faut aussi un peu de chance : « Sans l’avoir cherché, nous sommes tombés. L’une des sources du grand succès est de faire rire les gens de choses dont ils avaient envie de rire à ce moment-là. » Comment définiriez-vous le genre d’humour que vous avez développé ?
L’avantage de ne pas être à la mode, c’est qu’on ne risque jamais de se démoder.
Nous suivions un itinéraire déjà tracé par Coluche et le Café de la Gare. Nous étions dans l’air du - sans être à la mode – en fait, nous ne l’avons jamais été. Cependant, j’avais conscience que les gens se moquaient de notre forme d’humour si particulière, surtout dans Le Père Noël est une poubelle. Et qu’ils continuent à en rire aujourd’hui ! L’avantage de ne pas être à la mode, c’est qu’on ne risque jamais de se démoder. J’aurais du mal à définir ce qu’on faisait, on ne peut pas mettre de l’humour dans une recette, c’est comme demander à l’intelligence artificielle de vous raconter une blague. Mais se pose bel et bien la question du timing.
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Juste après Un Indien dans la villequi avait bien marché aux Etats-Unis, j’ai eu la chance de rencontrer Blake Edwards, le réalisateur de La fêtede La Panthère Roseetc. Il m’a proposé un scénario qu’il n’avait jamais réussi à monter ; c’était toujours aussi bien écrit, toujours la même mécanique de précision, sauf qu’on ne voulait plus en rire. Le même talent, la même intelligence, mais ça ne marchait plus. Comme si, en 2024, vous faisiez des blagues sur le président Coty.
Plusieurs d’entre vous expriment l’idée que l’humour de vos débuts ne serait sans doute pas aussi bien accueilli aujourd’hui. Christian Clavier dit que « l’époque a un peu de mal avec le second degré », vous le reconnaissez vous-même “c’est un peu plus compliqué de rire de tout aujourd’hui”. Un peu plus compliqué ou beaucoup plus compliqué ?
L’humour de nos débuts serait tout simplement impossible aujourd’hui. A l’heure où les lecteurs sensibles signalent d’avance ce qui risque de froisser les uns ou les autres, une manière de prendre les gens pour des imbéciles incapables d’appréhender le second degré. De quoi peut-on encore rire dans ces conditions ? Des meubles Ikéa ? À cause de mon café trop fort ? Je pense que, sous couvert de bons sentiments, les jeunes ne réalisent pas où peut nous mener cette forme de censure exercée par de petits dictateurs. J’en parlais avec Christian Clavier hier, je lui ai dit : « Vous réalisez ce que nous avons vécu ? » Lors de notre premier spectacle, nous sommes entrés par le fond de la salle habillés en Hare Krishna, ce n’était pas un problème. Aujourd’hui, tous les lecteurs sensibles nous tomberaient sur le dos.
On a appris que vous aviez une idée alternative pour Les Bronzés sont du ski, qui aurait été intitulé We Ate the Air Hostess, un film dans lequel vous étiez vous-même agressée sexuellement par un ours. Sans être un spécialiste du marketing, on peut penser que l’idée finalement retenue était la meilleure…
Cependant, nous avons repris l’idée lorsque nous recherchions une idée pour Le bronzé 3 – dont l’avion s’est écrasé dans les Andes alors qu’il se rendait à la Cop 18 ou 22. Dans le film, il y en avait un qui vendait « Burgers José Bové »…Pour revenir à Les gens bronzés vont au skiaujourd’hui tout le monde fait des suites sans problème, mais à l’époque, c’était un peu nul, le côté commercial nous gênait. Nous avons beaucoup hésité et avons décidé d’écrire d’abord la nouvelle pièce – c’était Le Père Noël est une poubellemanger notre pain noir avant notre pain blanc.
L’un des intérêts du livre est qu’il n’est pas écrit à l’eau de rose. Tous deux n’hésitent pas à évoquer les différences et même parfois les tensions au sein du groupe. Michel Blanc semblait être un groupe un peu à part…
Il lui fallait une forme de reconnaissance en dehors du groupe, qu’il obtint notamment avec un prix d’acteur à Cannes et un César. C’était Michel, toujours en proie à une forme d’insatisfaction. On nous demandait dans le livre comment nous parvenions à nous entendre avec des personnalités assez différentes, c’était justement en respectant les sensibilités de chacun, celle de Michel par exemple. Il était anxieux, hypocondriaque, toujours avec humour. Alors qu’il avait tout refait dans un appartement, il s’est soudain rendu compte que quelque chose n’allait pas, ça ne lui plaisait plus. La vie en groupe lui était aussi problématique que ses appartements.
Dans le même registre, Coluchequi fut une sorte de compagnon de voyage du Splendid, est évoqué avec chaleur, mais sans cacher son côté sombre…
Il était très généreux et drôle comme l’enfer. Il voulait que nous devenions tous des stars, mais lui un peu plus que les autres. Il nous encourageait, il était génial, mais il voulait être le patron. Les choses ont changé avec l’élection présidentielle, lorsqu’une toute nouvelle clique est venue chez lui. Je me suis toujours demandé si c’était pour le dissuader de se présenter, ce qui aurait considérablement embarrassé Mitterrand. Une cour avait remplacé une bande.
“C’est Josiane [Balasko] qui m’a appris que Michel Blanc avait subi une crise cardiaque. J’étais dévasté »
Revenons à Michel Blanc. Le livre était sous presse lorsqu’il mourut subitement. Comment avez-vous appris la nouvelle et qu’avez-vous ressenti ?
J’étais dévasté. C’est Josiane [Balasko] qui m’a dit qu’il avait eu une crise cardiaque, il est décédé un peu plus tard. Toute notre jeunesse, toute une vie passée ensemble depuis le lycée et, ce jour-là, l’irruption d’une mort absurde qui vous confronte à la réalité de la vie – on en saura peut-être plus dans quelques mois, tout n’est pas encore clair.
Le Splendide sur le SplendideLe Cherche Midi, 256 pages, 26.50 euros.