« Un costume réussi est un costume qui va à l’essentiel »

Après cinquante ans à la Comédie-Française, ce grand maître des costumes cultive toujours l’art d’envelopper les acteurs dans des tissus de haute précision.

Renato Bianchi a créé les costumes de « La servo amorosa », de Goldoni, mise en scène Catherine Hiegel, au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, à Paris. Photo Laura Stevens/Moods for Télérama

By Fabienne Pascaud

Publié le 10 novembre 2024 à 13h00

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Lsa fine moustache et sa barbiche sont juste teintées de gris. Les lunettes à monture ailée noire conservent leur aspect diabolique. Le grand costumier Renato Bianchi porte toujours des ongles longs et pointus – « mieux sentir les tissus ; sans eux, je coupe mal » – et ces costumes sombres minimalistes – « Je manipule trop de tissus colorés. Sans un look neutre, je ne trouverais pas non plus les bons tons. Et puis le noir me calme « . A 80 ans, l’ancien chef des ateliers et départements confections de la Comédie-Française (où il a travaillé de 1965 à 2013) reste admirablement fidèle à lui-même, à sa passion. En témoignent les magnifiques costumes qu’il a imaginés pour Le serviteur aimant, de Carlo Goldoni (1707-1793), que Catherine Hiegel dirige actuellement au Théâtre de la Porte Saint-Martin et qu’Isabelle Carré incarne divinement.

Renato Bianchi avait d’abord rêvé des Beaux-. Mais ce fils d’ouvriers né près du lac Majeur en Italie, émigré en à l’âge de 10 ans, a dû travailler très jeune pour vivre. Il se tourne vers les métiers de la haute couture pour acquérir cette « belle main » qui lui permet, en 1964, un remplacement inattendu dans les ateliers de la Comédie-Française pour Cyrano de Bergerac. Il ne quittera plus jamais la maison de Molière. Excellant bientôt dans le grand répertoire classique et moderne, où il habillera également les folles créatures de Valère Novarina. (Espace furieux en 2006) que les vieillards perdus de Lars Norén (Poussière, en 2018). Il ne pouvait donc pas refuser à son amie Catherine Hiegel, connue et aimée là-bas, de travailler sur elle. serviteur aimant. Et il continue comme toujours, en montrant des reproductions des peintres de l’époque de l’auteur – Pietro Longhi et Giacomo Ceruti – avant de soumettre ses propres propositions. Parfois contradictoire pour qu’elle puisse affiner ses choix.

Inspiré par le costumier de Visconti

Renato Bianchi s’inspire de la méthode du cinéaste très admiré Luchino Visconti et de la manière de travailler de sa costumière, l’artiste Lila De Nobili. Grâce à eux, il introduisit en France une culture du costume qui n’existait pas là-bas, contrairement à l’Angleterre et à l’Italie. ” On applique encore les motifs et les coupes des vêtements de ville des années 1950, selon une vision décorative et genrée : tailles fines et poitrines rondes pour les femmes, épaules larges pour les hommes. Heureusement en 1977, le comédien Jean-Luc Boutté m’a demandé, pour sa mise en scène de Acteurs de bonne foi, de Marivaux, des costumes plus authentiques – avant on n’avait même pas accès aux documents d’archives ! – et flexible pour permettre des mouvements plus libres. En 1978, enfin, La trilogie Resort, de Goldoni, interprété par Giorgio Strehler en costumes du XVIIIe siècle, nous fait découvrir l’extraordinaire savoir-faire italien. La science et la conscience du costume entrent à la Comédie-Française. »

J’ai lu la pièce dix fois, pour l’absorber. C’est ensuite au réalisateur de m’expliquer sa dramaturgie pour chaque personnage.

Retournez à Goldoni avec Le serviteur aimant. « Lorsque je suis moi-même costumière, je relis dix fois la pièce pour m’y plonger. C’est ensuite au réalisateur de m’expliquer sa dramaturgie pour chaque personnage. Quand j’ai commencé, l’acteur devait simplement être à son meilleur. Aucune recherche sur la psychologie du rôle ou son appartenance sociale. Mais pour moi un costume réussi, c’est un costume « juste » par rapport au sujet, qui va à l’essentiel, à la ligne pure. Même plus de boutons dans mon serviteur aimant ! Catherine était d’accord. » Mais pas d’accord pour le petit chapeau noir que Renato Bianchi avait prévu pour les sorties de l’héroïne en ville. Alors il le porte lui-même. Quotidiennement maintenant.

Photo Laura Stevens/Modds for Télérama

L’objet : des ciseaux
J’ai toujours des ciseaux de trente centimètres à proximité. Je contrôle mieux les gros que les petits, qui coupent le tissu. C’est à la pointe que l’on coupe. D’abord le patron du costume sur papier kraft, puis selon ce patron, la toile qui permet un essayage sur le corps de l’acteur. Comme en haute couture. Et je découpe toujours la toile sur les corps des comédiens, je la modèle comme une seconde peau : ils ne supportent plus les corps contraints. Si je ne le coupe pas moi-même, je ne suis pas satisfait. C’est la coupe qui donne la forme, le mouvement, le signe du créateur. Travailler avec de grands stylistes comme Christian Lacroix ou Thierry Mügler m’a évité de tomber dans la routine. Même si les costumes magnifiques mais irréalistes de Mügler en 1985 pour Macbeth dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, à Avignon, a endommagé le spectacle. Le costume s’apprend. J’ai passé ma vie à l’étudier.

Le serviteur aimant, directed by Catherine Hiegel, Théâtre de la Porte-Saint-Martin Paris 10ᵉ, tel. : 01 42 08 00 32.

 
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