Réalisateur d’avant-garde qui a filmé l’underground new-yorkais, collaborateur de Lou Reed, Velvet et maître du pop art, l’artiste au discours volontiers réactionnaire est décédé à 86 ans.
Par Samuel Douhaire
Publié le 30 octobre 2024 à 15h46
Le réalisateur Paul Morrissey, figure marquante de la culture underground new-yorkaise des années 1960 et 1970, est décédé lundi 28 octobre à l’âge de 86 ans, ont annoncé les médias américains. Selon son archiviste Michael Chaiken, cité par le New York Timesle réalisateur est décédé d’une pneumonie alors qu’il était hospitalisé.
Paul Morrissey fut l’un des principaux collaborateurs d’Andy Warhol au Factory, cet immense loft de la 47e rue à Manhattan, où le roi du pop art se livrait à des expérimentations artistiques tous azimuts. Morrissey a notamment travaillé sur le premier album Velvet Underground de Lou Reed avec Nico.
Mais son principal apport fut cinématographique, avec la sulfureuse trilogie Chair (1968), Poubelle (1970), Chaleur (1972), tourné en mettant l’accent sur l’improvisation et avec des acteurs non professionnels. Trois films dans lesquels l’icône gay Joe Dalessandro (future tête d’affiche du Je t’aime aussi, réalisé par Serge Gainsbourg) se prostitue pour subvenir aux besoins de son enfant et de sa femme bisexuelle (Chair), prend de l’héroïne tout le temps (Poubelle) puis joue le gigolo dans un remake à peine dissimulé et très trash de Macadam Cow-Boy (Chaleur).
« En 1968, Morrissey m’a demandé de travailler à plein temps à l’usine.se souvient Dalessandro, rencontré au Festival de Cannes 2002 pour la présentation hommage de la trilogie en copies restaurées. Je devais être une sorte de garde du corps pour Andy Warhol, en veillant à ce que personne ne l’énerve. Le jour où je devais commencer, Andy s’est fait tirer dessus [par la militante féministe Valerie Solanas, ndlr]. Pendant qu’il était en convalescence à l’hôpital, nous avons filmé Chair avec Paul dans trois jours pour 1 500 $. Deux ans plus tard, c’était Poubelleen trois week-ends. Pour Chaleurc’était un gros budget : on a tourné pendant trois semaines dans un motel en Californie. »
Je montre des gens perdus à cause de la liberté.
Paul Morrissey
Aussi glauques soient-ils, les trois films sont aussi très drôles, au point d’être considérés encore aujourd’hui par certains cinéphiles comme des comédies libertaires. Au grand désarroi de leur directeur, comme il le déplorait en 2002 pour télérama : « En aidant le charme des personnages, nous avons cru qu’il s’agissait d’exalter de nouvelles libertés sexuelles, la fin des normes et des modèles traditionnels. Mais je montre justement des gens perdus à cause de leurs libertés. L’absence de contraintes et de repères rendait leur vie vaine. L’impression que je donne volontairement à la fin de chaque film, c’est qu’il n’y a pas d’avenir pour eux. »
Il faut dire que cet artiste élégant, symbole de la contre-culture, avait pendant des décennies tous les signes extérieurs du parfait réactionnaire. Parler en 2002 avec Paul Morrissey, c’était comme se faire dire que l’avortement est une abomination. (« Nous ne tuons pas d’enfants parce qu’ils peuvent interférer avec la vie amoureuse ou la carrière d’une femme ») ou ce rocher n’est pas intéressant (« Quoi de plus dégradant que ces foules se roulant dans la boue lors des concerts ? »). Il a également multiplié les perfidies contre Andy Warhol : « Il était incompétent, anorexique, analphabète, autiste à tendance Asperger – il n’a jamais rien fait de sa vie. De toute façon, on pouvait lui montrer n’importe quoi, il disait toujours : “Oh, c’est génial.” » Ce qui n’a pas empêché le disciple mécontent de réaliser deux autres films pour son mentor (toujours avec Joe Dalessandro), le quasi-parodique Chaise pour Frankenstein (1973) et Du sang pour Dracula (1974).
Après la rupture avec Warhol, Paul Morrissey continue de tourner, sans argent ni succès, des films restés pour la plupart inédits en France – ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose quand on pense à l’inepte Neveu de Beethoven, sorti en 1985. Le dernier, Des nouvelles de nulle parta quand même remporté les honneurs à la Mostra de Venise en 2010. Dans cette histoire d’un immigré clandestin argentin arrivant à New York pour chercher du travail et une femme, Morrissey a réservé un petit rôle à Janet Hoffmann, alias Viva, la « star » du film. l’Usine. Comme un dernier clin d’œil – ou un camouflet – à Andy Warhol.
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