Isabelle Huppert en pleine lumière

Isabelle Huppert en pleine lumière
Isabelle Huppert en pleine lumière

Contrairement à d’autres manifestations cinématographiques, peu de nouveautés y sont projetées, principalement des films sortis des écrans depuis parfois 129 ans, présentés sous forme d’hommages, de rétrospectives, de restaurations, d’anniversaires, etc. Le point culminant de l’événement est la remise du prix Lumière. à une personnalité majeure du 7ème art. Après Clint Eastwood, Pedro Almodovar, Wim Wenders et les frères Dardenne, la seizième à le recevoir cette année est Isabelle Huppert.

L’opération se déroule en trois étapes. Le premier est la présence active de la lauréate aux projections de plusieurs de ses films. La seconde est une masterclass (à guichets fermés) au grand Théâtre des Célestins. L’actrice est apparue très détendue dans ce que l’on appelle ici « conversation », dévoilant entre autres une clé de son jeu : «Je ne joue pas de personnages, je joue des gens« .

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Nuit de folie

La troisième partie est la remise des prix dans la salle des 3000. La cérémonie n’est pas académique. Elle est populaire, spectaculaire et comme ses prédécesseurs – on se souvient d’un Tim Burton en larmes – Isabelle Huppert a été captivée par la ferveur des milliers de personnes venues la célébrer, l’applaudir sauvagement. Tout au long d’un spectacle de plus de deux heures, les chansons préférées d’Isabelle Huppert ont été chantées par un véritable chanteur, Julien Clerc (Ma préférence) et une véritable amie Sandrine Kiberlain (Nuit folle).

Sur grand écran, du cinéma était projeté, avec notamment un montage virtuose d’extraits de sa filmographie. Et il y a eu aussi deux discours. Celle de l’auteur de la remise, Alfonso Cuaron (Rome, gravité) a approché Isabelle Huppert vue de l’étranger, comme l’incarnation du cinéma français.

L’autre était celle du lauréat du prix Lumière. D’après ce que l’on sait d’elle sur le plateau, cette récompense lui va très bien, car la lumière est une préoccupation constante. Elle sait comment elle agit, comment la sculpter, comment jouer avec l’ombre aussi. Elle a la réputation d’être une bonne militaire, de se mettre au service du réalisateur sans discussion… sauf la lumière. Pas une Greta Garbo ou une Marlène Dietrich made in , mais elle sait l’accrocher.

Preuve que le prix Lumière n’est pas un prix comme les autres, elle est venue accompagnée de l’homme de sa vie depuis 40 ans, Ronald Chammah, et de ses deux garçons, Lorenzo et Angelo. Et puis, elle fait ce qu’elle ne fait jamais : dire ses propres mots. « J’aime beaucoup recevoir des prix, car c’est une façon de dire à celui qui le reçoit : vous avez bien travaillé. Le travail est important… Me voici donc en pleine Lumière mais il n’y a pas de lumière sans ombre, d’ombre sans lumière… Ce qui nous rassemble est une étrange invention, une subtile alchimie entre la lumière et l’obscurité, entre ce que l’on voit et ce que l’on devine. , un jeu infini entre le visible et l’invisible, entre réalité et rêve.


Un peu de broderie autour de la distance Huppert

Broder autour d’Isabelle Huppert à l’occasion de la remise du prix Lumière est normal. N’était-elle pas une Dentellière lorsqu’il entra, en 1977, dans l’imaginaire des spectateurs pour ne plus en sortir. On la découvre alors comme une jeune femme, fragile et solaire, vite écrasée par le poids des classes sociales. Mais son prochain film, Violette Nozière, a révélé le visage opposé, celui d’une jeune fille qui s’émancipe au prix fort de sa condition, celui d’un parricide.

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Au loin

Après tant d’années (on le voit en 1972 dans César et Rosalie), autant de films (en moyenne trois par an), autant d’entretiens, autant de photos (de photographes de cinéma mais aussi Doisneau, Lartigue ou Cartier Bresson) ; il apparaît toujours inclassable, infatigable en un mot, insaisissable.

Est-elle de gauche ? Elle est en tout cas une Syndicaliste que nous n’oublierons pas. Ou à droite, une de ces grandes bourgeoises de Destins sentimentaux ? Est-elle gentille comme la postière, amie de Sandrine Bonnaire dans La cérémonie ou une salope qui mérite un Essuyez le chiffon ? Est-ce courant (Huit femmes) or avant-garde (Malina par Werner Shroeter) ? Est-elle bohème comme la mère (de sa propre fille Lolita Chammah) dans Copacabana ou très organisé comme La Daronne ? Simple comme l’agriculteur The Ritournelle ou complexe comme Le pianiste ? Son approche est-elle organique si l’on en croit Captif de Mendoza ou cérébral si nous assistons Passion de Godard ?

Chacun a sa propre idée mais, en fait, nous ne le savons pas. S’il fallait résumer son œuvre, son attitude, sa personnalité, sa singularité en un seul mot ; « distance » pourrait convenir.

Tout d’abord, depuis sa première apparition sur grand écran en 1972, on peut dire qu’elle a tenu la distance. Cinquante ans, sans traverser le désert, pas même un an « sans » la naissance d’un de ses trois enfants.

Et en termes de récompenses, elle a toujours laissé ses collègues à distance. Elle a reçu le prix de la meilleure actrice à Cannes, et voilà à Berlin, sans oublier Venise. Des César, un Bafta, un Donatello, un globe d’or,… il ne lui manque plus que l’Oscar pour lequel elle a été nominée. Elle. Personne, pas même Catherine Deneuve, ne possède une telle armoire à trophées.

Sur cinq continents

Ensuite, il y a la distance kilométrique. Isabelle Huppert est actrice sur les cinq continents.

D’Australie par Paul Cox (Cactus) jusqu’à Matériau blanc au Cameroun ? Alors que de nombreuses actrices rêvent d’Hollywood, elle s’est précipitée vers l’Est, dans la Pologne de Skolimovski (EO), la Russie d’Igor Minaiev (Le déluge), les Philippines de Brillante Mendoza et bien sûr la Corée du grand Hong Sang-soo. Mais elle n’a rien contre les États-Unis. Elle y a tourné avec des géants comme Otto Preminger (Bouton de rose) autant qu’avec des indépendants dont David O. Russell (J’adore les Huckabees), Ira Sachs (Frankie) ou Hal Hartley (Amateur). C’est même le cœur d’un chef-d’œuvre, d’une légende, d’un sublime monument du 7ème art : La porte du paradis par Michael Cimino.

Elle peut aussi simplement traverser la frontière pour Propriété privée de Joachim Lafosse. Là, pour une fois, l’actrice fétiche de Chabrol, celle qui a travaillé avec les plus grands – Chabrol, Tavernier, Pialat, Ozon, Chéreau, Haneke, Wajda, Losey… – n’hésite pas à aider les débutantes et les novices, Ursula Meier (Maison) or Alexandra Leclère (Les sœurs en colère).

Sur les planches

Et puis, il y a la distance très particulière avec les conventions théâtrales. C’est de là qu’elle vient. À quatorze ans, elle suit des cours de théâtre comme d’autres suivent des cours de danse. Des professionnels l’encouragent, ses parents la soutiennent, elle intègre le Conservatoire de Paris. En 1972, elle était déjà sur la scène de la Comédie Française dans la distribution de Précieux ridicule.

Robert Hossein, Peter Zadek, Claude Regy, Yasmina Reza, Krzysztof Warkikowski, Luc Bondy, Ivo Van Hove et bien d’autres dont Bob Wilson, à trois reprises, le mettront en scène, au fil des décennies, dans des productions très ambitieuses. Certains sont entrés dans l’histoire – Orlando bien sûr -, ou polémique comme Le verger de cerisiers allez voir Tiago Rodrigues ou Bérénice selon Roméo Castellucci. Là aussi, elle peut jouer très loin et même en anglais, Les servantes de Jean Genet à Sydney avec Cate Blanchett, Marie Stuart au National Theatre de Londres ou Florian Zeller (La Mère) au New York Atlantic.

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Sur le fil

Mais finalement, quand on parle de distance à propos d’Isabelle Huppert, c’est en pensant à la singularité, au mystère de son jeu à la fois si proche et si lointain, pour «la recherche du point de fusion entre la personne et le personnage» comme elle le dit. Elle peut produire toutes les humeurs, interpréter toutes les émotions, elle peut se laisser submerger par les larmes ou crier après sa sœur (en colèreCatherine Frot) mais elle ne cherche pas à caractériser son rôle, à le figer, mais plutôt à lui donner vie en mettant en lumière ses ambiguïtés, ses pulsions, ses fissures, ses aspérités. Une approche finement distanciée qui laisse au spectateur sa part d’interprétation.

De plus, contrairement à beaucoup d’autres actrices, elle ne recherche pas l’approbation du public. Elle n’a pas peur de l’entraîner dans des domaines très inconfortables, voire inquiétants, troublés, malsains de l’être humain. Souviens-toiElle chez Paul Verhoeven. En fait, elle n’a peur de rien, sauf des ascenseurs. Mais cette exploration du côté obscur lui donne une couleur… sombre alors qu’elle est tout aussi à l’aise dans la comédie, dans Sac de noeuds de Josiane Balasko ou contre Benoit Poelvoorde (Mon pire cauchemar).

Elle impose la distance ultime entre sa vie professionnelle et sa vie privée ou publique. Elle éloigne même le scandale ; elle qui était pourtant l’actrice fétiche de Benoit Jacquot (six films) et la compagne de Gérard Depardieu (Loulou, Vallée de l’amour…)

Depuis cinquante ans maintenant, Isabelle Huppert est prisée des réalisateurs de tous horizons, pour son goût du risque, de l’aventure, car elle est un instrument blanc, une matière très malléable qui se travaille avec fluidité. Avec télécommande ?

 
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