Leonard Cohen en quatorze chansons d’amour et de haine

Leonard Cohen en quatorze chansons d’amour et de haine
Leonard Cohen en quatorze chansons d’amour et de haine

Alors que l’artiste aurait eu 90 ans ce samedi, de nombreuses publications célèbrent la mémoire du brillant poète canadien. L’occasion pour Télérama de sélectionner le meilleur d’une discographie dont l’éclat demeure intense.

Leonard Cohen, poète, romancier et musicien, en 1967, l’année où il a chanté « The Stranger Song ». Photo Jack Robinson/Getty Images

By Hugo Cassavetti, Laurent Rigoulet, François Gorin, Louis-Julien Nicolaou, Frédéric Péguillan, Sophie Bourdais, Anne Berthod

Publié le 21 septembre 2024 à 16h14

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« La chanson de l’étranger » (1967)

LLes premières chansons de Leonard Cohen sont souvent baignées d’une atmosphère de légende et de traditions lointaines. La chanson de l’étranger repose ainsi sur un arpège triste et doux, tout en boucles, de laine ou de chanvre. Les termes “poker” Ou “plate-forme” peut bien surgir dans le texte, vertigineux en multipliant les niveaux de sens, c’est un troubadour qui chante sa ballade du fond du temps – Altman s’en souviendra pour toujours John McCabe, son western dans la neige. — L.-JN

« Au revoir, Marianne » (1967)

Ce refrain, repris à de nombreuses reprises (Courtney Barnett, Beck, etc.) a été inspiré par Marianne Ihlen, la compagne et muse de Leonard Cohen. Construit en progression (la batterie n’entre qu’au dernier tiers) autour d’un rythme de guitare rustique rappelant les débuts de Dylan, d’un violon plaintif, d’une basse discrète et d’une mandoline qui évoque la Grèce où les deux amoureux se sont rencontrés, il dégage une délicieuse mélancolie. Surtout quand on sait que Marianne et Leonard ont quitté ce monde à quelques mois d’intervalle en 2016, elle en juillet, lui en novembre. — F. Pé.

« Hé, ce n’est pas une façon de dire au revoir » (1967)

Voilà l’homme dont les chansons de rupture comptent parmi les plus belles odes à l’amour. Un amour impossible ou qui n’existe plus, mais dont la marque restera à jamais. Comment quitter une personne qu’on n’aime plus tout en doutant de pouvoir en aimer une autre autant à nouveau ? Cohen n’a pas attendu ses derniers jours pour livrer sa vision tendrement pessimiste des rapports entre les sexes. Dès 1967, il l’avait déjà compris : rien ne dure éternellement, il n’y a pas de bonne façon de se séparer, seul compte le souvenir de ce qui a été. — HC

« L’histoire d’Isaac » (1969)

De sa perfection formelle ou de son sens inépuisable, il est difficile de décider ce qui fascine le plus dans Histoire d’Isaac, Un poème biblique qui se transforme soudain en manifeste politico-philosophique. Tandis que la guitare joue une mélodie au rythme inexorable, Isaac, le fils unique et bien-aimé d’Abraham, nous raconte au passé, par la voix de Leonard Cohen, comment son père a envisagé de le tuer pour plaire à son Dieu. « J’avais neuf ans », précise le narrateur – l’âge qu’avait Cohen à la mort de son père. L’histoire du sacrifice empêché étonne et bouleverse. Puis tout change : de sa voix prophétique, Isaac/Léonard réprimande au présent les bellicistes prompts à sacrifier les jeunes générations, ainsi que les manipulateurs de tous bords. Et nous laisse avec l’image splendide et mystérieuse d’un paon exhibant sa queue. — S.Bo.

« L’amour t’appelle par ton nom » (1971)

Chansons d’amour et de haine est le fruit noir de la profonde dépression que traversait Léonard. J’en ignorais tout lorsque, à 15 ans, je découvris, abasourdie, ces litanies païennes arrachées aux abîmes dont je soupçonnais à peine l’existence. Incapable à l’époque de pénétrer dans les mailles serrées d’un texte lunaire saturé de métaphores grinçantes, j’étais littéralement hypnotisée par la lenteur délétère de cet anti-hymne à l’amour vu moins comme une passion que comme un devoir dangereux, une mission impossible. — FG

« Le célèbre imperméable bleu » (1971)

Cet album ne fait pas de distinction entre les chansons d’amour et les chansons de haine. Les deux tourments se mêlent comme les poings du révérend Mitchum dans La nuit du chasseur, Moins de nervosité psychopathique, plus d’inquiétude. Derrière la mélodie poignante de Célèbre imperméable bleu il y a une lettre d’un homme (elle est signée L. Cohen) à son « frère, son meurtrier », qu’il remercie d’avoir libéré celle qu’il croyait être sienne, sans doute par une étreinte charnelle. Un trio sans éclat, sans bruit et sans morale – à échelle humaine. — L.-J. N.

« Chantez une autre chanson, les gars » (1971)

Le Cohen grincheux et abattu est déjà à la fin de la face A sur Des diamants dans la mine. La voici, capturée en direct et hirsute sur l’île de Wight. Ce n’est pas une de ses chansons sérieuses et belles. Elle rocke comme Brel, elle mélange les ” Hé “LE “elle” LE “JE”comme Dylan, il évoque des images limites, des ongles cassés, un « poignard nazi », une fille qui « apprendra à se toucher si bien… ». C’est dylanisant, on entend même un orgue et pourtant c’est le seul morceau de l’album qui n’a pas été enregistré aux Columbia Studios de Nashville comme cinq ans avant. Blonde sur blonde. — FG

« Amant, amant, amant » (1974)

Leonard Cohen a écrit cette complainte après sa rencontre mémorable avec des soldats des deux camps pendant la guerre du Kippour. Il ne voulait pas parler du conflit. Il a donc préféré considérer sa chanson comme « un bouclier contre l’ennemi. » Pour porter le refrain lancinant, il limite l’orchestration à sa guitare, des congas et une ligne de basse aussi proéminente qu’étrange. Il y a de l’amour mais aussi la douleur causée par la guerre, en arrière-plan où crie un harmonica. — F. Pé.

« Qui par le feu » (1974)

Séducteur épicurien et fêtard impénitent (ou presque), Leonard Cohen a passé la majeure partie de sa vie à chercher les meilleures rimes pour chanter la mort. Il l’a fait dans l’année cruciale de sa quarantaine. Détournement d’une prière juive, Qui par le feu est d’une évidence insurpassable. Une guitare légère et la voix de Janis Ian pour l’accompagner dans l’énumération simple des mille et une façons dont la vie peut nous échapper. C’est bref, sans refrain pour nous consoler. Juste une question lancinante : qui sonne le dernier appel ? — LR

« Danse jusqu’au bout de l’amour » (1984)

Leonard Cohen a attendu dix ans avant de révéler la genèse de Danse-moi jusqu’au bout de l’amour, Inspirée à l’origine par la mémoire photographique des musiciens juifs contraints par les nazis à jouer du violon près des crématoires des camps de concentration. La chanson, construite sur un rythme de hasapiko grec, rappelant son bonheur avec Marianne Ihlen sur l’île d’Hydra, n’en est que plus romantique. A la mort qui sépare, il oppose l’amour éternel, dans l’infini tendre d’un long pas de deux, le corps à corps comme ultime défense contre la folie des hommes. — A.B.

« Si telle est ta volonté » (1984)

Juste une prière, adressée avec une extrême douceur à une entité spirituelle ou divinité non identifiée, portée par un accompagnement instrumental entre ballade et berceuse, et doublée par un petit chœur féminin. Une prière qui ne demande et n’exige rien d’autre que d’être entendue, et accepte tout d’avance, dans une forme d’abandon volontaire, de confiance absolue. Si telle est la volonté divine, celui qui chante pourrait aller jusqu’à, apprend-on, se taire pour de bon (oh non !). Ou déverser ses louanges pour contribuer à sauver l’humanité. Que l’on adhère ou non au mysticisme de Leonard Cohen, impossible de ne pas être touché par la ferveur qui infuse ses paroles. — S.Bo.

« Tout le monde le sait » (1988)

Il est difficile d’effacer l’image de la venimeuse Mia Kirshner, 18 ans, dansant comme une écolière insupportablement érotique sur Tout le monde le sait, Dans Exotique, Le film d’Atom Egoyan. Mais c’est le texte obsédant, d’un désespoir absolu, doucement ponctué d’un rythme aussi étouffant qu’entraînant, qui imprègne encore plus l’esprit. L’homme court à sa perte et le sait bien, mais préfère vivre dans le déni, le mensonge, l’illusion. Comme toujours chez Cohen, le plus doux des fatalistes, ses mots d’une lucidité impitoyable sont formulés avec une élégance implacable. — HC.

« Le futur » (1992)

Comme notre Gérard Manset national, Leonard Cohen avait un certain don pour les grandes chansons mal ficelées. Arrangées à la hâte avec des guitares façon Dire Straits, L’avenirC’est un texte qu’il avait gardé en réserve pendant dix ans lorsqu’il a décidé de le publier à l’aube des années 90. Ses visions d’apocalypse, chantées d’une voix si chuchotée qu’on la croirait effondrée, font frémir d’effroi. D’autant plus qu’on sait désormais à quel point elles étaient vraies : « J’ai vu l’avenir, ce n’est qu’un meurtre ! » — LR

« Tu veux que ce soit plus sombre » (2016)

Titre de la chanson d’un album sorti quelques semaines avant sa mort, Vous le voulez plus sombre C’est la sombre confession d’un troubadour de 82 ans au crépuscule d’une vie de chair et de spiritualité, le kaddish provocateur d’un juif impénitent qui sait que ses jours sont comptés et se présente devant son créateur la tête coiffée d’un chapeau mais le cœur nu. “Hine [“me voici” en hébreu] mon Seigneur », Il entonne dans un murmure grave, escorté par un orgue liturgique et le chœur d’une synagogue de Montréal. Entre renoncement et bravade ultime, il cherche la lumière dans l’au-delà et nous bouleverse de son panache. — A.B.

 
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