Jean-Yves Le Fur, homme de fables

« Jean-Yves ? C’est Gatsby. » Combien de fois ai-je entendu la formule. Toujours dans la bouche d’une femme. Comme le héros de Fitzgerald, l’homme était extravagant et mystérieux avec un courant sous-jacent de romantisme taciturne. Une ironie à ses yeux qui faisait partie de son charme. Il était loin d’être le playboy de parade qu’on imagine. Oeil au beurre noir, pull en mohair noir, assis dans l’ombre à la table du fond, au Montana, l’hôtel club de Saint-Germain-des-Prés qu’il avait acheté pour recevoir ses amis, c’était le dernier à être vu derrière le les bouteilles et les jolies filles, il t’avait tout de suite repéré.

Belle voix grave, tantôt tendre, tantôt menaçante, parfois les deux à la fois. Il avait la tête. Snob, mais quand il t’a adopté, c’était pour longtemps. Fidèle et généreux. Il était difficile de résister à son charme, lorsqu’il sortait du banc où l’on pouvait disparaître comme dans le terrier du lapin d’Alice, pour vous embrasser et vous dire : « Je ne t’ai pas vu depuis longtemps », c’est la preuve qu’il faut que tu sois bien…”

Quand je passais du temps avec lui, contre son pull doux, j’aurais aimé être une fille pour qu’il me protège plus longtemps. Je n’ai jamais vu un homme plus rassurant. Au bout d’une certaine heure, après les soirées, après la Bentley et le parking de la rue de Rivoli dans son curieux grand appartement qui ressemblait à une succession de salons ou de salles d’attente, les magazines impeccablement alignés sur les tables basses, un, deux, trois, je ne savais jamais dans lequel nous étions assis. Là, vers 6 ou 7 heures du matin, soudain nihiliste, il pouvait dire : « Tu sais, au fond, je m’en fous de rien. » Fin des confidences. A huit heures et demie, il a rendez-vous avec quelqu’un de terrible, comme Patrick Le Lay de TF1, car surprise ! il travaillait. Et puis, le lendemain, il t’a appelé pour aller au cinéma, hésitant, timide comme un enfant.

D’où vient l’argent ? Je ne l’ai jamais su, je n’ai jamais voulu le savoir non plus. Chaque âme a son secret. Il est le seul propriétaire d’un journal féminin – « DS », « Numéro », « Interlope » – capable d’intervenir lors d’une garde à vue dans un commissariat, de passer vous dire bonjour et de vous proposer son avocat ou de vous téléphoner. Avant son arrivée, le commissaire roulait des yeux amoureux en murmurant : « Voilà Jean-Yves qui arrive ! » C’était en janvier 2008. Je ne l’ai jamais oublié. Un prince charmant qui possède les clés de la prison est ce qu’on appelle un bon ami.

Une histoire d’amour ratée avec Stéphanie de Monaco

Les fiançailles rompues avec la princesse de Monaco lui avaient laissé de véritables blessures. Le mariage officiel avec Stéphanie, annoncé pour l’été 1990, a été annulé fin juin à la suite de révélations. Ce beau brun que personne ne connaissait vraiment avait menti à son futur beau-père, il n’était pas le fils d’un riche architecte parisien, mais né à Créteil de Roger Le Fur, installateur boucher, et d’une certaine Rosy. En mars 1985, il purge un mois de prison à Fleury-Mérogis, prison numéro 140.641.W, motif : vol, escroquerie, tentative d’escroquerie, falsification de documents, obtention d’un récépissé d’un policier par fausse déclaration.

Le reste après cette annonce

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Avec Stéphanie de Monaco en avril 1990. Leurs fiançailles sont rompues deux mois plus tard.

© Frédéric Meylan

Après deux couvertures de Match et un engagement de 120 000 francs, il fut répudié. Sa réputation en avait pris un coup dès son entrée dans le monde. Les gens vous jugent lorsque vous comparaissez et ne reconsidèrent jamais leur jugement. Le Fur était étiqueté : homme à dames, un peu escroc, peut-être dangereux. Pas de fumée sans feu : certains de ses amis proches, présents au repas de fiançailles au restaurant Le Télégraphe, rue de , n’étaient pas encore défavorablement connus du grand public international comme le regretté Jean-Luc Brunel, patron de Karin Models. et fournisseur présumé de viande fraîche d’Epstein. A 26 ans, le beau mec rusé, bien doté par la nature, a vite compris que sa réputation sulfureuse était permanente, alors il l’a fait savoir et les femmes lui sont tombées dans les bras.

Après Stéphanie, Catherine Oxenberg, une autre princesse, héroïne du feuilleton « Dynastie ». Il s’était refait. Gatsby toujours… patron de presse et playboy. Deux bonnes idées : « Number », avec la talentueuse Babette Djian, et les portraits filmés de top models, une mini-série vendue dans le monde entier, époque Karen Mulder. Sa grande force était de ne pas se fâcher contre ses amours, au contraire, il laissait un bon souvenir. Les femmes l’adoraient toute leur vie. Lui et ceux qui se sont déshabillés pour lui. Son agence de communication se portait bien, en partie grâce à Etam (le premier défilé de mode en direct). Quant à « Lui », autrefois magazine masculin moderne, il a plutôt bien réussi à le relancer dans ses premiers temps (époque Léa Seydoux ou Laeticia Hallyday).

L’art de rompre

Nous lui enviions son secret. Pas de séduction, mais l’art de la rupture en douceur. Je lui ai posé la question, il m’a fait un de ses petits sourires narquois. Aucun commentaire. Lorsqu’une nouvelle fille était dans sa ligne de mire, rien d’autre n’existait. Cela dégageait une sorte de rayon paralysant pour tout ce qui pouvait interrompre leur tête-à-tête. Je me souviens d’une photo volée de lui à Saint-Tropez avec Kate Moss ou Naomi. L’œil dans l’objectif des paparazzi, pile dans le mille… C’est tout ce qu’on a vu. Nous avons oublié le modèle. Il pouvait avoir de la brioche, perdre un peu de ses cheveux, une barbe blanche, il restait vif comme un sniper du GIGN. Jamais l’air ivre, hagard ou défoncé, impeccable malgré un style de vie hédoniste.

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Jean-Yves Le Fur et Karen Mulder à Paris, en 1995.

© Corbis via Getty Images

La liste est longue de celles qui ont succombé : Karen Mulder, Laetitia Casta, Maïwenn, Marie Gillain, Sonia Sieff ou encore Malgosia, une belle top model polonaise, mais avec quelque chose de mélancolique. La dernière fois que j’ai vu Jean-Yves à Montana, sur le toit, pour l’anniversaire de la fille d’un ami, il traînait avec Noomi Rapace et une nouvelle bande de jeunes parasites. Comme dans un Louis de Funès : le policier et les hippies.

Les cheveux blancs lui donnaient un petit air de pacha oriental, moins dérangeant que le style noir séduisant de David Copperfield de ses photos de jeunesse. La barbe blanche, j’y reviens pour une anecdote : c’était en juillet 2012, Emmanuelle Alt (ex-bande Karen Mulder-Carla Bruni) me demandait de faire le portrait de Jean-Yves pour un « » spécial Paris, comme c’était elle, malgré sa réserve, qu’il avait cédé. A Flore après deux William Poires, il m’a soudain raconté des choses incroyables qui sentaient le soufre et la poudre, les parents d’un top model depuis très bien marié, qui avaient peur qu’elle serait mitraillée si elle sortait avec lui ; sa mère qui s’est tiré une balle dans la tête et d’autres que j’ai oubliés. Je n’ai jamais vu cet ours aussi bavard. Je récupère les cartouches, quinze jours passent, j’écris mon article, je lui envoie… un coup de fil… J’étais dans mon bain… La Fourrure. Une voix d’outre-tombe : « Tu veux ma mort ? » Je ne proteste pas, je ris. Il m’a dit : « D’accord, toi et moi allons faire des affaires. Je te laisse le suicide de ma mère mais tu m’enlèves ma barbe blanche. » Y compris l’acte.

Et avec ça un bon garçon auprès de ses aînés. Fidèle aux hommes qui l’avaient précédé dans la nuit. Lorsqu’il apprend qu’Hubert Boukobza, le roi déchu des Bains Douches, est malade et vit dans la pauvreté au Maghreb, il va le chercher et l’installe dans une chambre au Montana. Loin du luxe d’antan et de la bergerie Sarkozy du XVIe siècle où, avec Kirsten McMenany, il avait précédé Carla, Hubert, un vieux morse aussi fou que Sid Vicious, s’était retrouvé dans une déco de l’architecte d’intérieur Vincent Darré pour son dernières nuits sur terre. Beau geste d’un gros joueur pour celui qui avait tout brûlé.

L’amour de sa vie : son fils Diego

A la fin, casquette vissée sur la tête, l’homme en noir n’a montré aucune de ses douleurs, comme toujours. Après avoir lâché « Lui » et Montana, il rebondit une nouvelle fois avec un magazine de mode très avant-gardiste, « Interlope », confié (car il a toujours su s’entourer de femmes intelligentes) à son amie Jennifer Eymère (ex- ” Jaloux”). Le réalisateur n’est autre que le grand amour de sa vie, son fils Diego. C’est pour lui faire découvrir la Chine qu’il a effectué son dernier voyage, qui s’est soldé par un malaise à l’aéroport et un dernier soupir à l’hôpital américain.

Je me souviens d’un soir, d’une nuit plutôt, à l’occasion de « Mon Roi », le portrait que Maïwenn lui a consacré, il m’a dit qu’il avait emmené son fils dîner à Venise d’un coup. jet. Pour lui montrer le Salut dans la lumière du soir. Ecce homo. Pas étonnant qu’il laisse des dettes, du moins c’est ce qu’a annoncé Maïwenn lors de ses funérailles à Saint-Roch, en lui louant un corbillard Maserati.

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Les adieux de Maïwenn, lors des obsèques à l’église Saint-Roch de Paris, le 6 avril.

© JACOVIDES-MOREAU / BESTIMAGE

type="image/webp"> type="image/webp"> type="image/webp"> type="image/webp">Karen Mulder, Diego Le Fur - Sortie des funérailles de Jean-Yves Le Fur à l'église Saint-Roch de Paris, le 6 avril 2024. © Cyril Moreau-Dominique Jacovides/Bestimage Cérémonie funéraire de l'homme d'affaires français Jean -Yves Le Fur À l'église Saint Roch de Paris, France, le 6 avril 2024. Jean-Yves le Fur était un homme d'affaires investi dans le monde des médias, décédé à l'âge de 59 ans des suites d'un cancer du pancréas. Il était l'ancienne fiancée de la princesse Stéphanie de Monaco et a un fils, Diego, avec l'actrice et réalisatrice française Maiwenn, et a été le parrain de K.Moss lors de son mariage avec J.Hince.>>>>

Pour Diego, la tendresse de Karen Mulder.

© JACOVIDES-MOREAU / BESTIMAGE

Repose en paix ma chérie, sans toi, la rue Saint-Benoît n’est plus tout à fait la même. Il me manque ta belle voiture noire insolemment garée sur les clous. Un soir, je t’ai demandé quelle était ta vie idéale quand tu étais enfant, tu as réfléchi longtemps, mais vraiment longtemps, puis tu as répondu : « Cordialement à toi ». C’était mignon et ça te allait comme un gant.

 
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