Hugo Marchand, corps magnétique | Salon de la vanité – .

Hugo Marchand, corps magnétique | Salon de la vanité – .
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Il y a d’abord ce corps. Impérieux, sculptural. 1,92m, 85kg. C’est simple, on ne voit que lui. Sur scène comme dans ce bistrot du 11ème arrondissement de Paris où Hugo Marchand m’a donné rendez-vous. Élégance discrète, cheveux mi-longs en désordre, boucle d’oreille crucifix. Il s’assied, peine à glisser ses interminables jambes sous la petite table. « Avez-vous vu les photos ? » me demande-t-il. Quelques jours plus tôt, il posait – disons légèrement habillé – pour Luigi et Iango, le duo de photographes italiens connu pour leurs images de mode. La danseuse semble un peu inquiète du résultat. Puis il hausse les épaules : « S’il y a bien eu un moment où je devais le faire, c’était maintenant. » Quand j’ai encore un corps jeune et alerte. »

C’est difficile à imaginer, mais il fut un temps où Hugo Marchand n’aimait pas ce corps. Trop grand. Trop lourd pour les standards de l’Opéra de Paris. Il a appris à l’apprivoiser, à surmonter les reproches. Aujourd’hui, en guise de revanche, il le révèle sans trop en demander. « En ce moment, je suis en sous-vêtements chez Garnier », s’amuse-t-il. On l’a aussi vu torse nu sur des affiches de spectacle placardées dans les couloirs du métro parisien en 2019. Ou encore sur la couverture de son livre Danser (éd. Arthaud), sur laquelle il reprend une pose célèbre de Rudolf Noureev.

Il ne semble pas se rendre compte de la surexposition de ce buste, objet de désir. « Le corps du danseur est constamment exposé. Très vite, on oublie. » Il évoque plutôt sa manie de le regarder, de vouloir le contrôler. Depuis son enfance, il vit avec une obsession pour le miroir. «C’est encore pire aujourd’hui. » Surveillez toujours la moindre imperfection, comme ce bras droit tordu par une mauvaise chute de vélo à 6 ans, ou le moindre signe de flétrissement. Hugo Marchand vient d’avoir 30 ans. Âge de maturité du danseur. Nous avons donc voulu profiter de l’occasion pour lui demander : comment devient-on l’une des figures marquantes de l’Opéra de Paris, l’une des étoiles les plus brillantes de sa génération ? Réponse sans prétention : « C’est d’abord une question de hasard. »

Tenue de la collection « Samouraï » automne-hiver 1981/1982 Giorgio ArmaniLa photographie Luigi et Iango Coiffant Michel Philouze

Il a grandi dans la petite ville de Vertou, près de Nantes, là où tout commence. Sauts périlleux, culbutes, pirouettes : ses parents le surnommaient « Zébulon ». Il rêve d’être trapéziste ou peut-être berger. Et puis soudain, à 9 ans, danser. Pour quoi ? Il n’arrive pas à l’expliquer, jure qu’il n’avait jamais vu de ballet à l’époque, pas même le film Billy Elliot. Vraiment ? En creusant un peu, il se souvient d’un exemplaire de Martine, petit rat de l’opéra chez ses grands-parents. « Danser n’était pas un choix », répète-t-il. Une évidence, une obsession. Jamais découragé en cela par une mère déléguée CFDT dans le secteur de la banque et des assurances et un père ingénieur.

Lors du cours d’initiation à la danse, le petit Hugo commence par bouger les doigts et les orteils. Puis très vite, tout devient sérieux. Inscription au conservatoire de Nantes, horaires flexibles, premier prix remporté en 2007. Bien sûr l’apprenti rêve de devenir une star. Mais à 13 ans, il est déjà très vieux. Le hasard a voulu que la limite d’âge d’admission à l’école de l’Opéra de Paris soit relevée précisément cette année-là. Alors, il a postulé, comme si on envoyait une bouteille à la mer. Il y avait plus de cent cinquante candidats. Après avoir été mesuré, pesé, observé sous toutes les coutures, statique ou en mouvement, il fait partie des quatre élus.

Son hypersensibilité ? Son professeur l’a carrément qualifiée de côté « un peu garce ».

Quelques semaines avant d’entrer à l’École d’Opéra, la panique s’empare de lui. Dans les reportages vus à la télévision, les apprentis semblent tellement parfaits. Certains petits rats doivent effectuer une série de pompes s’ils effectuent un mouvement de manière incorrecte. « Donc, l’été précédent, j’ai passé à essayer d’en faire dix d’affilée. » Le jeune adolescent craint aussi la promiscuité de l’internat, tout en étant conscient d’un paradoxe : il est « trop jeune pour être considéré comme grand, trop grand pour être considéré comme jeune ». Pour chasser ses doutes, il devient un bourreau de travail, encore plus que les autres. Il faut sculpter ce corps, le sculpter pour qu’il soit malléable en utilisant les méthodes éprouvées de nos aînés : s’adosser, un canapé posé sur les cou-de-pieds, pour étirer les métatarsiens. Il se révèle comme un étudiant assidu, scrupuleux et taciturne. Avec un côté très « Calimero », avoue-t-il, répétant « c’est trop injuste » quand il voit les autres le dépasser devant. Comme son fidèle acolyte du même âge, Germain Louvet, dont il envie la bonhomie constante et l’aisance naturelle. Mais l’émulation l’emporte. Il suit rapidement ses cours, saute une division et intègre le corps de ballet en 2011. Il a 17 ans.

Une fois de plus, il se retrouve au bas de l’échelle. Il faut l’imaginer pendant des mois, se morfondant en coulisses, regardant les autres danser, attendant une hypothétique blessure de l’un d’entre eux. Il n’aura finalement pas à compter sur le malheur des autres : un certain Benjamin Millepied, nommé directeur de la danse début 2013, le repère et le prend sous son aile. Même en lui offrant le rôle du prince dans Casse-Noisette en décembre 2014, alors même que le jeune danseur n’est encore que coryphée, deuxième échelon dans la hiérarchie du corps de ballet. Souvenir vertigineux : le nouveau soliste est paralysé lorsque le rideau s’ouvre sur les près de 3 000 spectateurs de l’Opéra Bastille. A la fin de la représentation, il est même prêt à remettre en question sa vocation. Il lui faudra quelques jours de tempête intérieure avant de se calmer.

Hugo Marchand. Tenue de la collection « Samouraï » automne-hiver 1981/1982 Giorgio ArmaniLa photographie Luigi et Iango Coiffant Michel Philouze

Quand vous considérez-vous comme un danseur accompli ? De nouveaux rôles de soliste s’offrent à Hugo Marchand. Jusqu’à cette révélation, en incarnant le Chevalier Des Grieux dans L’histoire de Manon, aux côtés de sa partenaire préférée, la star Dorothée Gilbert. Ce soir-là, il quitte l’Opéra « en lévitation » : « Hugo, se répétait-il, tu as 21 ans. Vous êtes danseuse depuis douze ans. Ces années de travail valent ces trois heures de spectacle. » Les Balletomanes applaudissent cet abnégation. Ils vantent sa technique impeccable, sa capacité à remplir l’espace, sa puissance couplée à la légèreté, ses sauts aériens et ses portés acrobatiques. “Quand il nous lance en l’air, nous allons très haut”, s’amuse la star Hannah O’Neill. Nous sommes nombreux à vouloir danser avec lui. Il a un charisme qui porte loin et on se sent soutenu. »

Pour jouer un rôle de premier plan, il ne suffit pas de bien danser. Vous avez besoin de suffisamment d’émotion, de qualités d’acteur et de tragédien. Son professeur Jean-Guillaume Bart le met en garde contre son hypersensibilité – qu’il qualifie crûment de côté « petit connard ». Pour corriger cette tendance, Hugo Marchand se documente minutieusement, lit tout sur son futur personnage, examine toutes les interprétations disponibles. Il dit aussi se nourrir de son quotidien, des expositions, des films… Puis parle de sa vie amoureuse mais refuse d’aller plus loin. Sans enthousiasme, il évoque « la personne avec qui je vis », une expression pleine d’énigme, comme s’il appréciait ce statut d’objet de désir universel, aux yeux des femmes et des hommes. « C’est quand même précieux de vivre par procuration des choses qu’on ne pourrait pas faire dans la vie. Être cruel, un connard, tuer, tricher ! » Chaque ballet l’entraîne dans un tourbillon d’émotions dont il ne sort jamais complètement indemne. « Ce n’est pas parce que nous enlevons le costume que nous perdons notre caractère. »

 
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