Le mannequin qui a partagé la vie de l’acteur Gaspard Ulliel mort l’an dernier dans un accident de ski, dédicacera demain à Ajaccio* son livre « Le temps de te dire adieu ». Une poignante lettre de sincérité où elle s’adresse à l’être aimé.
Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre dédié à Gaspard Ulliel et à votre fils Orso ?
Après la mort de Gaspard, j’ai été partagé entre la colère et l’étonnement face à cet accident complètement absurde dont il a été victime. J’ai donc trouvé refuge dans l’écriture. J’avais besoin de le retrouver dans mes souvenirs, tout en laissant un témoignage à notre fils Orso. Et aussi, bien sûr, pour le public, ceux qui l’ont aimé à travers ses films. L’écriture m’a fait du bien, comme une thérapie. Surtout que je commençais à ne plus savoir comment en parler à mon fils. Par contre, je me rends compte au fil des interviews, interviews que j’accorde aux médias, que ça devient plus compliqué. Écrire ce livre était nécessaire mais revenir en parler rouvre la plaie.
Dans ce livre, vous expliquez que vous avez vécu la mort de Gaspard comme une double peine. Est-ce à cause de sa notoriété et de l’importante couverture médiatique de ses obsèques ?
On dit souvent : « Un seul être manque et tout se dépeuple ». En fait, je pense vraiment que nous avons besoin de cette dépopulation après un décès. On a besoin de retrouver des proches, et je n’ai pas eu le temps car il fallait aussi s’occuper de ce que les gens disaient, de ce que la presse publiait, de l’enterrement qui était très médiatisé.. C’était une volonté des parents de Gaspard et moi-même de rendre public son enterrement car il s’agissait d’une personnalité. C’était important pour ceux qui l’ont suivi durant sa carrière. Mais je me serais passé de la publication et de la diffusion de photos de mon fils dans les magazines et à la télévision. C’est pourquoi je parle de la double douleur qui m’affectait. Nous sommes tous confrontés au deuil un jour, mais cette ultra-médiatisation a été particulièrement difficile à vivre.
Ne pensiez-vous pas que la popularité et la médiatisation autour de Gaspard Ulliel et de sa mort seraient si fortes ?
Bien sûr, Gaspard était connu, mais je me demandais pourquoi sa mort avait touché tant de monde. Sans doute parce qu’il avait une place à part dans le cinéma français. Il a tourné de nombreux films, était le visage de la marque Chanel, mais à côté de ça, c’était quelqu’un de discret ; très jeune acteur populaire, subitement disparu dans un accident. Je pense que tout cela a contribué à le propulser dans une sorte de “machinerie légendaire”. Aujourd’hui encore, je suis impressionné par le nombre de personnes que sa mort a touchées.
Dans le livre, vous revenez aussi sur les dessins animés de Charlie Hebdo. Le journal satirique est-il allé trop loin selon vous ?
Nous étions tous Charlie dans la rue après l’attaque. Avec Gaspard et des amis proches, nous étions aussi dans la rue mais j’ai trouvé cette parodie atroce, c’était complètement ignoble de mettre ce genre de dessin. Je n’ai pas compris et je pense que beaucoup de gens comme moi n’ont pas compris.
Vous dites que vous étiez déjà séparé de l’acteur avant sa mort.
J’ai vécu très mal ma séparation d’avec Gaspard. Je dis aussi dans le livre que pour moi, la séparation était presque une préparation à sa mort. Cette rupture, je l’ai vécue aussi violemment qu’un accident. Alors bien sûr, l’année suivante, quand il est mort, je me suis dit que la séparation n’était finalement pas grand-chose en comparaison, mais quand on a rompu, j’ai en fait vécu ça comme un déchirement.
---Même si vous étiez vous-même dans le monde du mannequinat, quand vous êtes en couple avec une célébrité comme Gaspard Ulliel, ne pensez-vous pas qu’un jour ou l’autre, tout peut finir ?
On ne choisit pas de tomber amoureux d’une personne célèbre et de partager sa vie pendant plusieurs années. En effet, il y a quelque chose d’attendu et il est facile de tomber dans ce type de cliché. Depuis la sortie du livre, j’ai eu l’occasion de faire quelques signatures. En discutant avec les lecteurs, quand ils me parlent de deuil et de séparation, je vois que ce livre touche beaucoup de monde. Les ruptures amoureuses, comme la mort, sont des sujets universels. C’est là que je me rends compte que ce livre est bon pour les gens. Cela fait écho à des moments de leur vie. C’est pourquoi je me dis que ce livre apaise en quelque sorte cette douleur, cette colère ou cette tristesse que l’on ressent face à la perte d’un être cher. Car finalement, même si nous vivons les choses différemment, nous sommes tous égaux face à la mort. Même si dans mon cas, cette douleur a probablement été amplifiée par la notoriété de Gaspard et tout ce qui a entouré ses obsèques.
Dans un passage du livre, vous évoquez le premier confinement de 2020. Contrairement à de nombreux couples, cette période a eu un effet fédérateur pour votre famille…
Je n’ai que de bons souvenirs de ce confinement où nous nous sommes finalement retrouvés, juste après la séparation, à vivre tous les trois. Un moment de réconciliation, de pacification, qui nous a un temps remis ensemble et dont Orso, notre fils, me parle souvent.
La Corse, où vous puisez vos racines entre Ajaccio et San-Gavino-di-Carbini, est très présente dans ce livre. Surtout quand vous évoquez des prémonitions sur certains événements de votre vie…
Le jour même de l’accident de Gaspard, j’ai eu de gros maux de ventre au point de m’effondrer par terre. Chez nous, nous attachons de l’importance à certaines croyances. Le colibri dont je parle dans le livre était un signe de chance quand j’ai découvert que j’étais enceinte d’Orso. Il y a beaucoup de signes dans la vie. Vous le croyez ou non, mais j’y attache de l’importance.
L’enquête sur la mort accidentelle de Gaspard Ulliel a été classée sans suite par la justice. Une décision que vous avez du mal à accepter…
A l’époque, j’avoue que je ne pouvais qu’aller dans le sens de la justice. Mais avec le recul, je trouve ce qui s’est passé assez étonnant. Gaspard fait du ski. Certes, il allait vite, certes il n’avait pas de casque, mais il y a quand même eu une collision avec une personne qui l’a percuté et il est rentré chez lui. Cela reste un accident mais avec la famille de Gaspard, nous aurions aimé avoir des réponses à nos questions sur les circonstances exactes.
« Quand le malheur nous vise, il faut arriver à se souvenir qu’on a goûté à une joie douce et ineffable. Avec cette phrase, tu te rappelles que malgré la rupture et la mort, tu n’oublies pas les moments de bonheur.
C’est aussi pourquoi le livre est dédié à Orso. C’est un livre pour lui, une preuve d’amour pour notre fils. C’est finalement pour laisser à Orso un témoignage de cette lettre et lui montrer les paroles magnifiques que son père a écrites.
* Dédicace de Gaëlle Pietri à la librairie La Marge à Ajaccio, demain de 11h à 13h L’heure des adieux est parue aux éditions Grasset.