Thierry a 17 ans, des yeux qui rient tout le temps et un joli sourire. Il ressemble au petit voisin qu’on croise de temps en temps, au parc ou à l’aréna. Il y a six mois, il a été arrêté pour possession d’armes à feu. Lorsque la police l’a appréhendé, il a levé les mains en l’air. La crosse de son arme – récemment acquise grâce à de l’argent obtenu frauduleusement – dépassait de la poche de sa veste.
Il est présentement détenu dans une unité de garde fermée du Centre de réadaptation de la Cité-des-Prairies. Il doit y rester encore six mois. «C’est une infraction assez grave», admet-il. Nous avons changé son prénom puisqu’il est mineur.
Thierry a toujours été un enfant inquiétant, intrépide et impulsif. « Plus aucun technicien en éducation spécialisée ne voulait travailler avec moi à l’école. » Il a dû changer d’école à plusieurs reprises dans les dernières années de son lycée.
Cependant, ces nouvelles écoles se trouvaient toutes dans d’autres quartiers. Et à chaque fois, le scénario était le même. L’arrivée d’un jeune issu d’un secteur rival fait jaser. Les étudiants le « rattrapaient ». Thierry ne s’est pas laissé marcher dessus. « Ils n’ont pas aimé ma façon de répondre. » Cela s’est terminé par un conflit. Les réseaux sociaux ont amplifié l’affaire. Et puis c’est devenu « chaud ».
Lors de la dernière école, lui et ses amis ont décidé de riposter. « On est allé à l’école, on a trouvé les gars. Par la suite, cela a ajouté de l’huile sur le feu. La tension est montée. » C’est là que l’arme est arrivée.
Comment a-t-il trouvé l’argent pour acheter une arme ? Grâce à la fraude. Avec sa « bande d’amis », le jeune Thierry vendait des faux téléphones sur des sites de vente en ligne. « Je parle bien », dit-il avec un grand sourire. Nous avons quand même gagné de l’argent. »
Thierry faisait-il partie d’un gang de rue ? «Souvent, au début, ce n’est pas un gang de rue», explique Burt Pierre, intervenant de proximité à l’Équipe RDP.
Cela commence avec des amis qui rencontrent certains problèmes. Et à partir de là, ils voudront se défendre. C’est après ça que ça devient un gang de rue.
Burt Pierre, intervenant de proximité chez Équipe RDP
Thierry connaît Burt Pierre depuis maintenant trois ans. « Il était toujours en retrait », résume-t-il. Tout ce qu’il m’a dit, à la fin, c’est arrivé. Si on continuait nos bêtises… ça allait finir comme ça. » Burt Pierre connaissait donc bien Thierry avant son arrivée à Cité-des-Prairies. Il ne disparaîtra pas pendant son séjour en rééducation : ses visites seront régulières. Et puis il le suivra à nouveau. Une fois sorti, au moment critique où il recommence sa vie.
C’est l’essence même du projet Pivot, lancé il y a un an par le gouvernement du Québec, et dont le criminologue René-André Brisebois est le chef d’orchestre. Le projet se déploie sur deux axes : la prévention et la mobilisation communautaire. L’idée est, avec l’aide des parents et de divers intervenants – directions d’école, organismes communautaires, policiers, DPJ – de créer un filet de sécurité autour des jeunes à risque.
«Nous souhaitons que tout le monde se mobilise pour offrir des opportunités à ces jeunes impliqués dans la violence armée ou à très haut risque de l’être», explique M. Brisebois.
« La rue » comme adversaire
L’objectif premier est de créer un lien de confiance avec le jeune, notamment par l’intermédiaire d’organismes communautaires qui le connaissent bien, souvent depuis plusieurs années. Deuxième étape : susciter chez lui la réflexion en essayant de l’amener à s’interroger sur le cheminement de la criminalité.
Et enfin, offrez-lui des opportunités qui répondront à ses besoins. Facilitez votre parcours scolaire. Trouvez-lui un travail. Répondez à un besoin d’appartenance en vous inscrivant à une équipe sportive. « Et nous devons le faire rapidement. Ces jeunes, ils n’attendent pas», dit M. Brisebois. Le message général : « Nous croyons en vous. »
Mais vingt jeunes, n’est-ce pas une goutte d’eau dans l’océan ? Le criminologue est convaincu que non.
Si nous ciblons les bonnes personnes, si nous sommes là pour elles, si nous sommes capables de changer de trajectoire, cela peut avoir un impact sur les statistiques de violence.
René-André Brisebois, criminologist
« Nous devons combler le vide. Si on l’occupe, le jeune n’entrera pas en contact avec la rue», affirme le directeur de l’école secondaire Henri-Bourassa, Younes El Rhafiki, l’un des partenaires du projet. « La rue » est en effet un adversaire de taille. «Ils sont disponibles 24 heures sur 24», précise Pierre Inodyl Fils, agent de mobilisation communautaire pour l’organisme Un route pour tous, également partenaire du projet Pivot. « Oui, c’est un combat David contre Goliath. Mais à la fin de l’histoire, David a gagné ! »
Éloignez-vous de la police
Et si la prévention ne fonctionne pas, le jeune finit par entrer en contact avec la police. «La police n’est pas la meilleure porte d’entrée pour nos jeunes», observe l’inspecteur Éric Soumpholphakdy, chef de la gendarmerie de l’est de l’île au Service de police de la ville de Montréal (SPVM). Mais c’est peut-être lors de son arrestation qu’ils ont réalisé certaines choses. »
La police suggère donc que les jeunes, après leur arrestation, soient orientés vers des intervenants des deux groupes communautaires participant à Pivot. Ils sont libres d’accepter ou non. L’important est de leur montrer qu’il existe des ressources dans la communauté qui peuvent les aider… en toute confidentialité.
Avant, on s’arrêtait, on accusait… et le jeune était juste plus en colère. Maintenant, on essaie d’intervenir auprès d’un jeune, pas d’un criminel.
Éric Soumpholphakdy, chef de la gendarmerie de l’est de l’île au SPVM
Et à la Cité-des-Prairies, le centre de réadaptation où se retrouvent ces jeunes mineurs reconnus coupables d’un crime, l’intervention Pivot se poursuit, souligne Mathieu Perrier, responsable de l’accompagnement transversal des problématiques liées aux réseaux délinquants.
« Nous avons désormais des cas atypiques ici. Des jeunes de 14 ans qui ont commis des délits graves contre la personne, alors qu’avant, il y avait une gradation dans les délits. » Le passage par le centre leur donne la possibilité de faire une halte. « Ils enlèvent leur masque », résume Burt Pierre… et deviennent donc plus réceptifs à l’intervention.
Parce qu’en fin de compte, ces jeunes vont sortir. Et ils devront faire des choix de vie, que nous espérons différents. « Nous avons des jeunes de 14-15 ans qui ont commis des délits et qui ont l’impression que leur vie est finie. C’est le désespoir. C’est là qu’il est important d’avoir des personnalités significatives dans le quartier, affirme René-André Brisebois. Cela peut avoir un effet de levier important. »
Le modèle de Glasgow
Le projet Pivot s’inspire de l’approche mise en œuvre à Glasgow, en Écosse, qui a permis de réduire de 50 % le nombre d’attaques au couteau grâce à un programme de dissuasion ciblé. De manière générale, dans la littérature scientifique, de telles approches ont conduit à des réductions variant entre 33 % et 50 % de la violence armée, souligne le criminologue René-André Brisebois. « C’est un modèle très reconnu. »
Lire l’article « La presse en Ecosse : comment Glasgow brise le cycle de la violence »
Related News :