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à Molenbeek, Nadia vit l’enfer dans un logement social précaire

Egouts se déversant dans la cave ©DR

C’est ici que vivent deux grandes familles. Nadia (pseudonyme) nous accueille chez elle, fenêtres grandes ouvertes, « été comme hiver, moisissure oblige ». Elle est arrivée ici en 2019 après avoir signé une convention d’occupation précaire avec le CPAS de Molenbeek-Saint-Jean. Ce logement devait être un logement de transit. Nous sommes presque en 2025.

Très vite, l’état du bâtiment affecte ses quatre enfants. « Je souffre de semi-cécité et un de mes enfants est autiste. C’étaient nos seuls soucis à notre arrivée ici. Aujourd’hui, tous mes enfants souffrent d’asthme chronique qui s’aggrave. L’un d’eux, couvert de plaques, est en chimiothérapie et sous oxygène.

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Pour elle, cela ne fait aucun doute, c’est l’état du bâtiment qui est la cause de leur malheur. Sans parler de son caractère inadapté : deux chambres pour cinq personnes (dont quatre adolescents) et une douche minuscule alors qu’un des enfants souffre d’obésité : «L’été, je le lave au jet d’eau sur le petit balcon.

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Comment expliquer qu’un immeuble rénové il y a seulement 20 ans soit dans un état aussi pitoyable ? En fait, elle a changé de mains à plusieurs reprises. Le propriétaire actuel est l’association paracommunale à but non lucratif Move (dont le conseil d’administration est composé d’élus locaux). Cette dernière a conclu un bail emphytéotique (gratuit) avec la commune qui en a donc repris la gestion. La municipalité l’a transférée au CPAS. C’est ainsi que Nadia, résidente à la base du centre d’accueil Relais, lié au CPAS, a été transférée ici. Ce jeu de chaises musicales des gestionnaires publics expliquerait le désinvestissement dans les bâtiments. Ou une mauvaise rénovation réalisée il y a vingt ans.

Une garantie locative de… 5 500 euros !

« Ils ne font que de petites réparations sans résoudre les problèmes. Au total, je suis au moins un an et demi sans eau chaude, et donc sans chauffage.» Le tout pour un loyer de 673 euros dont 120 euros de garantie locative mensuelle.

Au CPAS, qui gère donc le dossier, une autre version est avancée : la dégradation des lieux serait due à l’usage que les locataires ont fait du bien. “On a dû faire beaucoup de réparations, on a trouvé des vêtements dans les égouts”, eexplique la présidente du CPAS Géraldine Bastin (MR).Par ailleurs, de nombreuses solutions de relogement ont été proposées comme un retour au Relais, une dérogation pour l’accès au logement social (deux logements “séparés mais proches” puisque Logement Molenbeekois compte peu d’appartements de 4 chambres dans son parc) ou encore un accompagnement pour un retour au marché locatif privé. Tout a été refusé par la famille, selon le président. Nous avons même proposé un logement étudiant à sa fille mais la mère ne veut pas que la famille soit séparée.

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«Ils m’ont proposé de retourner dans la petite salle du Relais, d’où je devais partir à la base, Nadia rétorque. Ils ont proposé des logements sociaux qui nous auraient séparés et, sur le marché privé, personne ne veut d’une seule femme handicapée avec quatre enfants qui ont de graves problèmes de santé.

Bail implicite, poursuites judiciaires et vente

L’accord précaire qui régissait l’occupation de Nadia et de ses enfants dans cet appartement a pris fin en décembre 2020. Il était conditionné à l’obligation pour Nadia de suivre « activement » accompagnement social du CPAS. Depuis, rien n’a été signé entre Nadia et le CPAS mais les loyers ont été payés et acceptés par le CPAS.

Récemment, l’organisation à but non lucratif Move a annoncé vouloir vendre le bâtiment pour générer un peu de liquidités. Le 24 août, le CPAS prévient donc et convoque Nadia pour lui dire qu’elle devra quitter les lieux en septembre. Problème, l’emphytéose entre Move et la commune qui confie la gestion de l’immeuble au CPAS a pris fin le 31 juillet. Le CPAS n’a donc plus son mot à dire. La gestion de l’immeuble incombe au propriétaire : Déménagement. Sur cette convocation douteuse, puisque le Centre public d’action sociale n’est plus censé en avoir le contrôle, peu de réponses du CPAS. Il en va de même pour la garantie de loyer, très problématique selon plusieurs avocats à qui nous avons présenté le dossier : “il doit y avoir un problème”on nous dit simplement au CPAS…

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L’asbl Move assure de son côté que l’occupation actuelle de Nadia est sans aucun droit puisque le contrat est expiré depuis 2020. Move lui propose désormais de signer un bail de 8 mois à 460 euros de loyer le temps qu’elle trouve autre chose. Et aussi pour «régulariser la situation. Sauf que. Le montant pose déjà la question du calcul du loyer initial : 200 euros de différence entre deux organismes publics ou parapublics pour une même famille et un même appartement.

Ce n’est pas le seul problème. Selon Thierry Balsat, de l’Observatoire national de l’habitat et de l’urbanisme (Onhu), qui accompagne Nadia dans ces démarches, cette proposition de bail est impensable. Il considère que, depuis la fin du contrat précaire en 2020, le paiement des loyers et le maintien de Nadia dans le logement constituent sans contestation une relation propriétaire/locataire et créent donc de fait l’existence d’un bail verbal. Un argument qui, selon plusieurs juristes interrogés, pourrait tout à fait être validé par un juge. Par ailleurs, selon Thierry Balsat, rien dans l’accord précaire ne justifie le caractère transitoire du contrat.

« Des métiers précaires ? Cela permet de bafouer les règles du Code du logement »

Avec ce bail verbal, Nadia bénéficierait de toutes les protections du locataire (pause expulsion hivernale, délai de préavis, etc.) Et surtout, ce bail s’étendrait sur une durée bien plus longue que 8 mois (jusqu’en 2027 voire 2029 selon les possibilités). interprétations) proposées par l’asbl Move. “Le but n’est évidemment pas que Nadia reste aussi longtemps dans ces conditions de vie. Mais il est surtout important qu’elle ait une solution viable et digne lorsqu’elle quittera le pays.»commente Thierry Balsat.

Move, de son côté, estime ne pas vouloir mettre des familles à la rue – «sinon nous n’aurions pas proposé de bail” – et laissez-leur le temps de se retourner. Or, le mandat de vente a bien été donné par le conseil d’administration à la direction.

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Nadia et Thierry Balsat rédigent actuellement des documents en vue de se constituer partie civile pour mise à disposition de biens insalubres. Ils réclameront le remboursement du loyer payé (24 500 euros). “Il faut arrêter de faire croire qu’un locataire a, à lui seul, endommagé un immeuble entier de 4 étages.» Une procédure pénale avec constitution de partie civile sera également déposée pour défaut d’assistance à personnes en danger compte tenu de l’état de santé de la famille. « Nous sommes dans un cas réel de commerce du sommeil par les pouvoirs publics » tempête Thierry Balsat. Une lettre a également été envoyée aux membres du conseil d’administration de Move.

Une réunion s’est tenue ce mercredi entre la maire Catherine Moureaux, le CAPS et Move : il a alors été décidé de lancer une « clinique de consultation » géré par le service de médiation de la commune pour regrouper tous les acteurs, publics et privés, susceptibles de pouvoir aider Nadia. « Une solution aurait dû être trouvée depuis longtemps, concède le réalisateur de Move Docteur Denoël. Il faut maintenant aller de l’avant et trouver une issue à cette situation dramatique.»

La famille qui vit de pensions d’invalidité et ne bénéficie pas du revenu d’intégration sociale, a arrêté les versements bancaires libellés “louer” mi-2023 assurant que le CPAS pourrait faire appel à la garantie locative excédentaire et invoquant l’état de l’immeuble. Elle a versé à ce jour 5 500 euros de garantie.

« Le mot transit ne veut rien dire »

Plus largement, cette affaire pose la question du recours par les pouvoirs publics à des contrats d’occupation précaires très mal encadrés (en termes de durée, de loyer, de clause spécifique, etc.). Ces accords ne peuvent être justifiés que par des circonstances exceptionnelles et temporaires (ici le transit pour trouver un logement). Des notions assez vagues, estiment les spécialistes de ces questions.

Le Syndicat des Locataires, qui relève d’autres cas similaires dans d’autres communes, dénonce cette pratique comme une précarité d’un public déjà précaire car ne bénéficiant pas de la protection due aux locataires « normaux ». « Cela peut être une bonne idée lorsque la justification est une attente de travaux de quelques mois. Cela permet d’occuper des espaces pour des personnes dans le besoin. Mais, lorsque les durées d’occupation dépassent celles des baux traditionnels, ce n’est pas le cas. Rien ne justifie que les pouvoirs publics continuent de ne pas signer de bail. Ils exposent les occupants à davantage de risques. explique le président du Syndicat des Locataires José Garcia. « Le mot « transit » ne veut rien dire. C’est comme un malade qui doit être hospitalisé et au bout de trois jours on lui dit qu’il doit trouver un autre hôpital même s’il n’est pas guéri.

Interrogé, un juge de paix a confirmé que ces cas d’occupations précaires sont toujours complexes. « Cela permet de bafouer les règles du Code du logement. Et l’argument d’un motif social utilisé par les pouvoirs publics pour justifier des accords précaires est très dangereux. Si on l’accepte, qu’est-ce qui empêche un propriétaire privé de le faire aussi et de conclure à tout moment des accords précaires – ce qui offre beaucoup de flexibilité – plutôt que de véritables baux. Pour ma part, ce type d’occupation précaire relève presque systématiquement de la réglementation ? baux. C’est mon interprétation. D’autres juges pourraient avoir une autre interprétation et les politiques se gardent bien de réglementer ce point pour se donner les moyens d’utiliser ces conventions.

Mais elle nuance quand même : «Ce n’est pas parce que je considère que cela entre dans le cadre d’un bail classique que je donne tous les droits aux locataires. J’ai eu des cas, dans ma carrière, de personnes qui ont profité des aides et n’ont rien fait pour se sortir de leur situation au point de s’infantiliser. Le juge doit également en tenir compte. Une approche pragmatique est nécessaire. Il y a peu de logements de transit et une forte demande de la part de personnes qui en ont vraiment besoin.

 
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