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La recherche suisse n’échappe pas au phénomène croissant des retraits d’articles scientifiques

L’explosion des rétractations, ou retraits, d’articles scientifiques est une réalité croissante dans la recherche suisse, avec 304 cas recensés depuis les années 1990, la majorité remontant à ces dernières années. Pour les experts, cette augmentation reflète davantage une rigueur accrue qu’un manque de fiabilité. Certains cas sont néanmoins préoccupants.

Le nombre de rétractations d’articles scientifiques dans le monde suit une courbe exponentielle depuis le début des années 2000, selon la base de données. Montre de rétractionqui répertorie ces articles. En 2023, près de 10 000 publications ont été retirées, corrigées ou ont fait l’objet d’inquiétudes quant à leur qualité scientifique. Un record absolu.

La rétractation d’un article scientifique n’est jamais anodine. Dans la démarche scientifique, la publication d’un article est considérée comme un aboutissement (voir encadré) et la recherche qui s’appuie sur celui-ci avant qu’il soit remis en question n’est pas forcément corrigée par la suite. Un article sur les cellules souches publié dans la prestigieuse revue Nature en 2002 et retiré cette année seulement a été cité près de 4 500 fois entre-temps.

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La recherche suisse n’est pas épargnée par ce phénomène, selon une analyse de la base de données Retraction Watch de la RTS. Le nombre de rétractations de recherches menées par des équipes suisses – y compris en collaboration internationale – suit une courbe similaire à la moyenne mondiale, pour un total de 304 rétractations depuis 1991. Plus des trois quarts des rétractations ont eu lieu au cours des dix dernières années. . L’année 2022 a été la plus importante, avec 32 recherches concernées.

Il existe plusieurs « types » de retrait. Premièrement, nous trouvons les articles simplement supprimés. Cela se produit dans près des trois quarts des cas suisses. Viennent ensuite les articles qui ont subi des corrections après publication. Certaines, quant à elles, font l’objet d’inquiétudes quant à leur qualité scientifique. Ces deux types de sevrage représentent chacun un peu plus de 10 % des cas. Enfin, trois journaux ont été « réintégrés », après avoir été temporairement retirés pour des questions comportant des avis.

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De nombreux articles sur la santé

Pas moins de 143 rétractations, soit près de la moitié du corpus, concernent des recherches liées à la santé ou à la médecine. Cela n’étonne pas Guillaume Levrier, chercheur en sciences politiques spécialisé dans les biotechnologies et membre du réseau NanoBubbles, qui traque les erreurs scientifiques et les fraudes.

“La recherche dans le domaine biomédical repose sur des méthodes d’administration de la preuve scientifique historiquement faciles à déformer et difficiles à invalider, à moins de falsifications grossières”, commence par rappeler le chercheur.

« Nous ne détectons que les falsifications de personnes qui falsifient mal. Modifier un graphique dans Photoshop se verra assez facilement. Modifier les algorithmes qui prennent les données d’un instrument de mesure pour les falsifier avant qu’elles ne soient capturées par un autre système pour générer le graphique est presque indétectable.

Guillaume Levrier estime que le domaine biomédical n’est en réalité pas forcément plus touché que les autres. « De nombreuses études dans d’autres types de sciences, par exemple en sciences sociales, posent probablement problème. Ce sont des domaines qui publient moins, ont des pratiques méthodologiques et épistémologiques différentes et trichent potentiellement moins mal.

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Plagiat de Jean-Paul II

La palme du nombre de rétractations suisses revient à un chercheur de l’Université de Lugano, avec six articles retirés, sept corrigés et un soulevant des inquiétudes. La plupart des cas relèvent de problèmes de plagiat. UN billet ils bloguent de Retraction Watch nous apprend que le chercheur en question a notamment plagié le pape Jean-Paul II dans un de ses articles.

L’Université de Lugano a sanctionné son auteur en le suspendant pour un semestre en 2017. Il a depuis retrouvé sa place. Entre-temps, d’autres articles ont été remis en question, mais l’Université de Lugano n’a pas jugé nécessaire de le sanctionner à nouveau. La dernière rétractation d’un de ses papiers remonte à 2019.

La pression de publier, omniprésente dans le monde scientifique, peut conduire à des fraudes. «Soit vous êtes un hyper-éditeur, vous avez absolument envie de publier, soit vous êtes incapable de vous hisser à la hauteur des connaissances requises», a expliqué Michelle Bergadaà, professeur de management à l’Université de Genève, dans l’émission RTS 36,9°. .

>> Lire aussi : La fraude scientifique, un fléau grandissant qui menace l’intégrité de la recherche

Cependant, toutes les erreurs ne sont pas intentionnelles et la majorité des chercheurs suivent une approche honnête. Mais si les fraudeurs sont peu nombreux, ils sont généralement prolifiques, constate Solal Prielli, docteur en informatique, diplômé de l’EPFL, qui traque la fraude scientifique pendant son temps libre. La majorité des erreurs qu’il découvre sont l’œuvre de fraudeurs.

Combinaison de raisons

Il est donc intéressant de s’intéresser aux raisons des rétractations des productions suisses, données qui sont également compilées par Retraction Watch. De nombreux critères sont pris en compte, allant de la simple erreur au problème éthique. Il existe notamment 105 articles comportant des erreurs avérées (dans les données, dans les images, dans l’analyse) et 90 cas où le travail des scientifiques soulève des questions. Il y a eu également 28 cas de plagiat ainsi que 18 falsifications.

La plupart du temps, le retrait est motivé par une combinaison de raisons. A ce propos, on peut citer une étude sur la guérison des patients ayant reçu de la kétamine lors d’opérations cardiaques, publiée en 2019, et à laquelle a participé une équipe de l’hôpital de Langenthal (BE). Elle a été démis de ses fonctions la même année pour manquements à l’éthique, manque d’autorisation et conduite inappropriée de l’enquête.

Les conséquences pour un chercheur dont l’article a été rétracté peuvent être très diverses. Cela dépend de la place qu’elle occupe dans l’étude (de nombreuses recherches sont menées une multitude d’équipes), de l’intentionnalité ou non de l’erreur et de sa gravité. Il n’existe donc pas de sanction standard et les universités traitent ces situations au cas par cas.

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Revues prestigieuses

Parmi les revues qui ont le plus de rétractations figurent de grands noms, qui ont une influence notable dans leur domaine de recherche. La célèbre revue Science, avec 14 rétractations, est ainsi la deuxième revue à avoir publié le plus de recherches suisses ensuite rétractées.

Cela ne concerne pas particulièrement Solal Prielli. « Je serais inquiet si la Science ne se retirait pas d’articles. Il est normal que des erreurs se produisent. Lonni Besançon, chercheur en visualisation d’information à l’université de Linköping en Suède et également spécialiste des erreurs scientifiques, porte un regard plus critique. “Je suis évidemment déçu de voir le nombre d’articles problématiques dans des revues même prestigieuses.”

« Si les revues se targuent d’avoir un excellent processus de sélection et d’être prestigieuses, il est anormal que des études de mauvaise qualité ou complètement frauduleuses soient publiées », poursuit Lonni Besançon.

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Protocoles en question

La multiplication des rétractations de travaux suisses risque-t-elle de nuire à la crédibilité de la recherche suisse ? «Je veux dire non», ose Andreas Mortensen, vice-président associé à la recherche à l’EPFL. Selon lui, le nombre de rétractations n’atteint pas des valeurs inquiétantes compte tenu du nombre d’articles publiés. «Je crois que cette augmentation reflète avant tout une augmentation de la rigueur en matière de publication scientifique.»

On aurait tort de considérer la recherche suisse comme de moins en moins fiable, estime Katharina Froom, membre de la Chambre des universités de swissuniversities et rectrice de l’Université de Fribourg. Au contraire, la multiplication des rétractations peut, selon elle, être la preuve d’une certaine santé scientifique.

« Les rétractations peuvent être considérées comme un exemple de la façon dont fonctionne le système scientifique, tel que dicté par le principe « la science s’auto-corrige ». [la science s’auto-corrige, ndlr]. D’une certaine manière, les rétractations peuvent jouer un rôle dans la visibilité des résultats négatifs. » Katharina Froom constate que l’augmentation des publications observée ces dernières années entraîne aussi automatiquement une augmentation des rétractations.

On peut néanmoins se demander s’il ne faudrait pas renforcer les protocoles de vérification des résultats avant publication, afin d’éliminer un maximum d’erreurs. Pour Andreas Mortensen, cela serait contre-productif : « le coût en travail et en ralentissement serait bien supérieur au gain en rigueur ».

De son côté, Katharina Froom explique que le problème ne pourra être résolu que grâce à la coopération internationale. «Swissuniversities fait partie d’initiatives internationales, telles que DORA ou CoARA, qui visent à élargir les critères d’évaluation au-delà des indicateurs quantitatifs pour inclure, entre autres, la science ouverte et l’impact sociétal.»

Antoine Schaub

 
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