Ça y est, après une longue campagne avec des revers imprévisibles et des déclarations incendiaires, des millions de personnes seront aux aguets mardi soir en attendant de connaître le résultat de l’élection présidentielle. Que faut-il savoir avant de s’asseoir devant son écran ? Devoir a demandé à deux experts de la politique américaine d’esquisser comment se déroulerait la soirée du mardi 5 novembre 2024.
1- Peut-on avoir une idée des résultats avant même le début du dépouillement ?
Les sondages sont tellement serrés au moment où ces lignes sont écrites que, quant à l’issue du scrutin, «c’est vraiment pile ou face», annonce d’emblée Frédérick Gagnon, directeur de l’Observatoire sur les Etats-Unis de Raoul-Dandurand. Chaise.
Selon les données nationales, il y a moins d’un point de différence entre la candidate démocrate Kamala Harris et le républicain Donald Trump. La marge est parfois encore plus mince dans les États clés. La course s’est même resserrée ces dernières semaines, rappelle-t-il, alors que Mmoi Harris « a perdu un peu son élan ».
Sauf mouvements importants dans les sondages au cours du week-end, « nous commencerons la soirée sans savoir du tout où nous allons ».
Pour les férus de données, Frédérick Gagnon suggère de consulter des sites jouissant d’une solide réputation, comme celui du gourou des statistiques Nate Silver, ou RealClearPolitics, qui présentent les moyennes des sondages nationaux ainsi que celles des États pivots. Le site FiveThirtyEight dispose également d’un modèle de prévision final.
Le politologue Matthieu Lebo envisage de suivre les sondages qui seront réalisés à la sortie des urnes. « Si, par exemple, Harris obtient un meilleur résultat que [Joe] Biden parmi certaines catégories d’électeurs, comme les femmes blanches et les électeurs noirs ou latinos, cela pourrait être un bon signe pour les démocrates. »
Toutefois, ces sondages arrivent généralement assez tard dans la journée, constate ce professeur invité à l’Université McGill, normalement rattaché au Département de science politique de l’Université Western Ontario.
2- Que faut-il surveiller en priorité ?
Ne perdez pas trop de temps avec les 43 Etats dont nous connaissons déjà à peu près les résultats, estime M. Lebo. Nous devrions plutôt garder un œil sur les sept États clés aux résultats incertains : la Pennsylvanie, le Wisconsin, le Michigan, la Caroline du Nord, la Géorgie, l’Arizona et le Nevada.
Attention aux velléités précoces : « Les votes ne sont jamais comptés partout en même temps », souligne-t-il.
En Virginie, par exemple, les votes des comtés ruraux sont comptés en premier. Les Républicains pourraient ainsi se présenter en début de soirée. Ce sont alors les urnes des zones plus au nord de l’Etat qui sont dépouillées, puis le « vote bleu », dans la banlieue de la capitale Washington, pourrait se démarquer davantage.
C’est le même scénario pour la Pennsylvanie, sur laquelle tous les regards seront tournés, puisque l’État semble prêt à basculer d’un côté ou de l’autre.
Le point de comparaison de 2020 est également très important à garder à l’esprit (ou à l’écran) : « Si Kamala Harris a par exemple 2% d’avance en Caroline du Nord sur Joe Biden, cela pourrait aussi être un signal positif pour sa campagne, » » explique Matthieu Lebo.
Frédérick Gagnon a clairement établi son « plan de match » pour la soirée : à partir de 19 heures, les résultats de la Géorgie commenceront à tomber. À 19 h 30, les bureaux de vote de Caroline du Nord fermeront. A 20 heures, ce seront la Pennsylvanie et le Michigan. Puis, à 21 heures, le Wisconsin et l’Arizona, et enfin, à 22 heures, le Nevada.
«C’est vraiment ma période de surveillance», dit-il, en plus d’avoir une longue liste de comtés spécifiques à surveiller dans ces sept États clés.
3- Allons-nous passer la nuit debout ? Ou toute la semaine ?
“Je ne m’attends pas à vraiment dormir, mais c’est votre choix”, dit en riant Matthew Lebo lorsqu’on lui demande. Il reste possible que l’un ou l’autre des candidats obtienne un meilleur score que ce que suggèrent les sondages : chaque exercice comporte une marge d’erreur, rappelle-t-il. Le résultat serait alors rapidement connu.
Frédérick Gagnon se souvient aussi de l’expérience de 2016, lorsqu’il était devenu évident, vers 22h30, que le vote allait dans le sens de Donald Trump. ” [Hillary] Clinton ne parvenait pas à obtenir suffisamment de voix là où il restait des votes à compter, c’était mathématique. »
Mais il anticipe aussi déjà que la nuit sera courte, voire inexistante pour sa part, et que le déficit de sommeil pourrait continuer à s’accumuler pendant plusieurs jours, voire toute la semaine. « Si l’on regarde les récentes élections de 2020, elles semblaient moins serrées que cette année, mais nous connaissions l’identité du vainqueur dès le samedi suivant », se souvient-il.
Cela s’explique en partie par la prudence des médias, note-t-il, mais aussi par le nombre sans précédent de votes par correspondance. Il existe 51 systèmes électoraux différents pour 50 États et le District de Columbia. Cependant, nombreux sont ceux qui ont depuis adopté des lois permettant que ces votes soient traités avant le soir des élections. Il ne s’agit pas de « dépouillements à proprement parler », mais d’une forme de « pré-filtrage », décrit cet expert, pour s’assurer que les bulletins sont en règle, en vérifiant par exemple qu’ils sont signés.
La Géorgie, Etat charnière, comptera notamment ce type de vote par correspondance avant la fermeture des bureaux de vote. C’est moins évident pour la Pennsylvanie, où l’on peut s’attendre à ce qu’un décompte prenne quelques jours, surtout si le résultat est serré.
4- Un candidat pourrait-il se déclarer vainqueur en début de soirée ?
«C’est sûr que, si l’un des deux a une chance d’y parvenir, c’est Trump», affirme d’emblée M. Gagnon. « Quelles que soient les tendances, vers 22 heures ou 23 heures, on peut prédire qu’il fera une sortie publique et qu’il tentera au moins d’entretenir une certaine ambiguïté, d’autant plus si les tendances ne sont pas claires. »
Le nombre de votes par correspondance sera moindre cette année qu’en 2020, et ils proviendront probablement davantage des deux camps. Il n’en demeure pas moins que les démocrates sont plus nombreux que les républicains à recourir à cette méthode. « Cela peut créer ce qu’on appelle le mirage de la victoire républicaine », explique cet expert.
Les résultats du vote dans les bureaux commencent à sortir plus vite, et c’est plus républicain, poursuit-il. Les votes qui n’ont pas encore été comptés, ceux qui attendront le lendemain ou même le surlendemain par exemple, seront plus démocratiques. «C’est ce qui s’est passé en 2020. Trump était en tête en Géorgie et en Pennsylvanie lorsque nous nous sommes couchés. Le lendemain, on a commencé à compter les votes par correspondance et c’est à ce moment-là que Trump a commencé à dire qu’ils avaient « trouvé » des boîtes de votes et qu’ils créaient de faux votes », relate M. Gagnon.
“Je m’attends à ce qu’il dise : ‘J’ai gagné, c’est fini’ ou : ‘Ils volent l’élection'”, a déclaré Matthieu Lebo. Lui aussi note que c’est ce changement de tendance dans les deux États clés qui a « alimenté ses histoires de fraude ». “Je ne l’imagine vraiment pas dire qu’il a perdu ou féliciter son adversaire”, conclut-il.
5- Les tribunaux seront-ils impliqués ?
Les deux hommes sont d’accord sur ce point : il est fort probable que des dizaines de poursuites soient déposées devant les tribunaux. « En 2020, il y a eu une soixantaine de recours en justice. Dès que Trump n’a pas apprécié les résultats quelque part, il a intenté une action en justice», explique Matthew Lebo.
Il est très possible que Kamala Harris intente également des poursuites là où le camp démocrate doute de l’objectivité des responsables qui organisent le vote.
L’une de ces actions pourrait aboutir jusqu’à la Cour suprême si les parties faisaient appel à plusieurs reprises, par exemple. La composition de la Cour suprême penche actuellement à droite, avec notamment les trois juges nommés par Donald Trump durant son mandat. “C’est ce qui fait un peu peur”, a déclaré M. Lebo.
Plus l’écart entre les deux parties sera mince, plus les recours en justice seront nombreux, indique également M. Gagnon. Les procédures électorales sont déjà contestées devant les tribunaux de plusieurs États, et M. Trump a demandé à ses troupes de rechercher « tous les moyens pour ne pas certifier les votes contre lui ». “La démocratie américaine reste fragile et il existe un scénario dans lequel Trump pourrait tenter de remporter les élections après coup, même s’il perdait”, dit-il.
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