Sentant l’incroyable potentiel biotechnologique des diatomées, un groupe de recherche a relevé le défi de les transformer en biousines pour produire diverses molécules d’intérêt pharmaceutique. Un défi tout juste relevé qui ouvre la voie à un monde de possibilités.
Elles sont peut-être minuscules, mais les diatomées assurent au moins 20 % de la fixation du dioxyde de carbone par la photosynthèse sur notre planète, autant que les forêts tropicales. Ces algues unicellulaires, dotées d’une coquille de silice, pourraient très bien avoir d’autres talents… dont celui de produire des médicaments.
Ce potentiel inexploité intéresse Isabel Desgagné-Penix, professeure de biochimie à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Son objectif : transformer les diatomées en mini-usines biologiques – une manière durable et économique de produire des molécules d’intérêt. L’idée est prometteuse. Pour preuve, son équipe est parvenue à faire produire à ces microalgues des cannabinoïdes, plus précisément de l’acide cannabigérolique. Une première mondiale !
Biousines
Utilisés depuis des millénaires dans les médecines traditionnelles, les cannabinoïdes suscitent un intérêt croissant dans la médecine occidentale, notamment comme traitements potentiels contre la douleur chronique et certaines maladies neurodégénératives, comme la maladie de Parkinson.
Ils sont généralement obtenus en les extrayant de plantes de cannabis cultivées en serre. Cependant, cette méthode donne des rendements très faibles. Autre option : utiliser des micro-organismes, généralement des bactéries ou des levures, pour synthétiser ces composés. Cela consiste à insérer dans ces micro-organismes les gènes correspondant aux protéines que l’on souhaite obtenir – et ils se chargent de la production. C’est ce qu’on appelle la « bio-ingénierie ».
Or, le métabolisme de ces bactéries et levures est complètement différent de celui des plantes. À tel point que, pour qu’ils produisent des cannabinoïdes, il est nécessaire de leur fournir non seulement les différents gènes impliqués dans le processus de fabrication de ces molécules, mais également des précurseurs, c’est-à-dire les ingrédients de base. C’est comme si nous embauchions un chef pour créer une recette, mais qu’il nous demandait de lui fournir tous les outils de cuisine (génies) et ingrédients nécessaires à cette recette. Ah ! Et il demande aussi à avoir quelques collations (sucres), pour avoir l’énergie de cuisiner. Ça commence à aller loin !
C’est là que le potentiel des diatomées devient intéressant. Ces microalgues ont un métabolisme qui ressemble davantage à celui des plantes dites supérieures, comme le cannabis, ce qui simplifie grandement les travaux de bio-ingénierie.
Les diatomées possèdent donc immédiatement dans leur génome plusieurs gènes impliqués dans la production de cannabinoïdes. On y trouve également les précurseurs nécessaires (comme l’acétyl-CoA). Pour reprendre l’analogie de la cuisine, les diatomées ont déjà tous les ingrédients sous la main et n’ont besoin que de quelques outils de précision pour finaliser la recette.
Un premier succès
Malgré cela, personne n’avait encore réussi à produire des cannabinoïdes à partir de diatomées. Mais l’équipe de recherche dirigée par Isabel Desgagné-Penix vient de démontrer que c’est possible ! Dans un article publié dans le magazine Recherche sur les alguesl’équipe présente deux méthodes pour atteindre cet objectif : l’une dans laquelle les gènes sont introduits directement dans l’ADN des diatomées, l’autre qui consiste à amener les gènes dans un « épisome », c’est-à-dire un fragment d’ADN restant à l’extérieur du chromosome. Ces deux méthodes ont donné des rendements similaires, comparables à ceux obtenus avec la levure.
La production de cannabinoïdes n’est que l’un des nombreux objectifs du laboratoire, notamment l’utilisation réussie de diatomées pour produire des alcaloïdes de la famille des plantes Amaryllidaceae, un groupe de molécules thérapeutiques qui comprend la galantamine, utilisée dans le traitement de la maladie d’Alzheimer. Et leurs récentes prouesses les encouragent à continuer d’explorer le potentiel pharmaceutique des diatomées.
Le professeur Desgagné-Penix se réjouit de ces avancées, mais reste pragmatique : il y a un long chemin à parcourir entre leur découverte et l’industrialisation du procédé. « Nous voulions faire une preuve de concept, maintenant c’est fait. Mais il reste encore beaucoup de travail à faire ! » conclut-il.
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