Deux visions du développement urbain vont bientôt s’affronter avec fracas au centre-ville de Montréal.
Publié à 1h23
Mis à jour à 5h00
La rue Sainte-Catherine Ouest sera en construction jusqu’en 2032 au moins. Rénovation des infrastructures souterraines, élargissement des trottoirs, verdissement : ces travaux changeront le visage de la mythique artère commerciale.
La première phase du projet, réalisée entre 2018 et 2022, a été couronnée de succès. Tout le monde semblait être sur la même longueur d’onde pour l’avenir.
Du moins : jusqu’à présent.
Un nouvel élément est maintenant étudié très sérieusement par l’administration Plante, ai-je appris. Elle souhaite piétonniser complètement et de façon permanente quatre secteurs importants de Sainte-Catherine Ouest.
Son objectif : créer de vastes « esplanades » sur la chaussée, aux allures de places publiques. Ces aménagements impliqueraient de rediriger toutes les livraisons et la collecte des déchets vers les rues secondaires.
Le projet permettrait en même temps de « supprimer le trafic de transit sur toute la longueur de la rue ».
J’ai obtenu un document confidentiel, préparé au printemps 2024 par le service de l’urbanisme et de la mobilité de la Ville, qui présente des images de synthèse de ces « esplanades ». On y voit des enfants souriants assis sur la voie publique, des clowns réalisant des sculptures avec des ballons, des personnes en fauteuil roulant au milieu de la rue, des fleurs, des papillons…
Bonheur et joie, sur papier.
Mais dans la réalité, le changement proposé suscite de sérieuses inquiétudes chez de nombreux hommes d’affaires et architectes.
Soyons clairs d’emblée : nous ne sommes pas ici dans le vieux débat « piétons contre automobilistes ». Tout le monde s’accorde sur la nécessité de rééquilibrer la place de chacun.
C’est plutôt dans l’exécution, et dans les enjeux de cohabitation à prévoir, qu’elle colle solidement.
Les critiques les plus virulentes proviennent d’une institution renommée : le centre-ville de Montréal. Cet organisme à but non lucratif, qui représente environ 5 000 entreprises, connaît intimement la réalité du quartier.
Glenn Castanheira, son directeur général, est précis : ce projet de piétonisation repose sur « des compréhensions théoriques du centre-ville ». Cela ne correspond pas du tout au résultat des consultations menées sur le terrain depuis des années.
«Il ne réunit aucune des conditions gagnantes nécessaires au succès d’un aménagement piétonnier», dit-il. Et on ne comprend toujours pas la valeur ajoutée qui est ici recherchée, alors que l’aménagement actuel de la rue Sainte-Catherine Ouest est une belle réussite, qui fait consensus. »
M. Castanheira fait référence au tronçon déjà rénové, entre les rues De Bleury et Mansfield.
La largeur des trottoirs a presque doublé, pour le plus grand plaisir des piétons. Des arbres et du mobilier urbain ont été ajoutés en abondance. Une seule voie de circulation a été conservée, avec suffisamment d’espace de chaque côté pour accueillir les livraisons et les virages aux intersections. La rue est parfois piétonne, mais elle conserve en même temps de la « flexibilité ».
« L’une des conditions gagnantes est la modularité de l’espace », estime Glenn Castanheira.
Une autre préoccupation de ce projet, et elle est majeure, concerne la sécurité et la propreté.
On craint que ces places ne deviennent des lieux de rassemblement pour les toxicomanes, les sans-abri et autres trafiquants de drogue. Ce ne serait pas inédit, si l’on s’appuie sur ce qui s’est passé avec plusieurs parcs et places créés ces dernières années en centre-ville.
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La place Cabot et la place Norman-Bethune, à l’ouest, ou encore la place du Village, plus à l’est, furent investies par des flâneurs et des petits criminels de tous bords, malgré les millions investis. embellir.
Glenn Castanheira décrit certains de ces espaces comme des « no man’s lands ».
« La place Cabot est une magnifique place publique qui a été créée dans l’un des coins les plus habités du centre-ville, soit le coin Atwater et Sainte-Catherine, et elle n’est utilisée par pratiquement aucun résident du secteur parce que la Ville n’a pas les ressources pour assurer son exploitation et maintenance», déplore-t-il.
Les esplanades prévues pour la rue Sainte-Catherine, qui ressemblent à des parcs urbains avec leurs meubles pour s’asseoir et se prélasser, pourraient subir un sort similaire, craint-il. D’autres partagent cette préoccupation.
Je le répète : il ne s’agit pas de faire un procès aux rues piétonnes. Il y a eu de grands succès en matière de piétonnisation estivale au cours des dernières années à Montréal. Par exemple : l’avenue du Mont-Royal, dans le Plateau, ou la rue De Castelnau, dans Villeray.
Certains souhaiteraient qu’ils soient fermés à la circulation toute l’année. Un débat sain a actuellement lieu à ce sujet.
Mais le centre-ville, aux prises avec une série de problèmes sociaux gigantesques, se situe dans une catégorie différente.
Au Village, par exemple, la différence dans le sentiment de sécurité est majeure, entre les moments où la rue Sainte-Catherine Est est piétonne et ceux où elle ne l’est pas, constate le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).
Le fait d’avoir un certain trafic, avec des voitures de livraison, des taxis, des véhicules de police, fait que « les gens ont moins tendance à vouloir s’installer, puis à rester coincés dans un lieu », me dit Guillaume. Théberge, commandant du poste de quartier 22.
Au printemps dernier, le SPVM a suggéré à la Ville de Montréal de rouvrir la rue à la circulation pendant les périodes plus calmes de l’été, par exemple de 23 h à 11 h. L’idée était d’éviter les attroupements et le flânage nocturne qui donnent un sentiment d’insécurité aux citoyens.
La demande a été rejetée.
Quels seraient les ingrédients pour que les esplanades prévues de la rue Sainte-Catherine Ouest ne se transforment pas en vastes zones de flânerie et d’insécurité ?
Une des clés du succès pourrait résider dans l’animation quasi permanente du lieu. Un tronçon de la rue Sainte-Catherine Ouest, situé dans le Quartier des spectacles et fermé à la circulation une bonne partie de l’année, en est un brillant exemple.
Tout d’abord, c’est la Mecque de tous les grands festivals d’été. Cela demande déjà plusieurs mois de travail à temps plein. Le reste de l’année, le Partenariat du Quartier des Spectacles investit une fortune pour animer et sécuriser les lieux, avec une série de petits et grands événements.
Les commerces voisins et la Ville de Montréal se partagent la facture. Toutefois, un financement municipal de plusieurs centaines de milliers de dollars n’est pas encore confirmé pour les prochaines années, m’a fait savoir le directeur général du Partenariat, Éric Lefebvre.
Autrement dit, même LE joyau des places publiques de Montréal peine à joindre les deux bouts.
Quel type de divertissement pourrait être proposé sur les futures esplanades prévues par la Ville ? Qui paierait la facture, alors que les finances de Montréal sont dans un état précaire ? Ces questions cruciales méritent d’être posées.
J’ai essayé de parler à un responsable du service de l’urbanisme et de la mobilité. J’aurais aimé savoir par exemple si la rue restera effectivement « accessible à toutes mobilités », comme l’indique le document que j’ai obtenu. Mes demandes furent vaines. C’est plutôt un attaché de presse du bureau du maire Plante qui m’a appelé.
Elle me dit que le scénario des esplanades est « réfléchi », mais que rien n’est encore « finalisé ». Le document indique toutefois que les plans et devis sont « en cours » pour une bonne partie de la rue.
Mystère. Attente.
Glenn Castanheira, du centre-ville de Montréal, a sa théorie sur la genèse de l’idée.
La proposition de la Ville semble relever d’un projet plus proche d’une idéologie que d’une volonté pragmatique de contribuer à la qualité collective et à la vitalité économique.
Glenn Castanheira, directeur général du centre-ville de Montréal
Il n’a jamais pu savoir d’où venait cet ajout de places piétonnes. « Chaque fois que je pose la question, la réponse est boiteuse. »
Les Montréalais ont le droit d’avoir sans délai des informations précises sur le réaménagement de Sainte-Catherine Ouest. Un projet, je le rappelle, qui a fait l’objet de plusieurs consultations publiques et pour lequel un règlement d’emprunt de 93,6 millions de dollars vient d’être adopté par le conseil municipal.
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