Ces dernières années, des parents d’origine maghrébine impliqués dans les conseils d’établissement de trois écoles du district de Côte-des-Neiges ont manœuvré pour bloquer certains contenus en éducation sexuelle, pourtant obligatoire dans le curriculum scolaire québécois, selon une enquête du La presse.
Ces parents siègent ou ont siégé aux conseils d’établissement des écoles primaires de Bedford et Saint-Pascal-Baylon, ainsi que de l’école secondaire La Voie. Le premier a déjà fait l’objet d’un rapport dévastateur du ministère de l’Éducation. Les deux autres sont dans la ligne de mire du ministère.
Selon trois sources proches du dossier mais non autorisées à s’exprimer publiquement, le cas de l’école La Voie a très peu à voir avec celui de l’école Bedford. Le climat y est bon, il n’y a pas de roulement de personnel. Les enseignants – dont bon nombre sont eux-mêmes d’origine maghrébine – ne sont pas en cause.
Le problème, c’est le conseil d’administration.
Le 4 juin 2024, les fonctions et pouvoirs de cette structure de gouvernance essentielle au bon fonctionnement de l’école ont été totalement suspendus, tant les tensions étaient vives entre les parents et les enseignants qui y siégeaient. En pleine séance, le président du conseil, Said Soali, ainsi que les trois autres parents membres se sont levés en bloc et ont quitté les lieux, furieux d’avoir été manqués de respect, selon eux, par les membres du personnel éducatif, après nos trois sources.
À la Source du conflit : l’invitation à l’école La Voie du Groupe de recherche en intervention sociale (GRIS-Montréal), un organisme qui œuvre à démystifier la diversité sexuelle et de genre. Ses intervenants bénévoles partagent leurs expériences en classe, puis répondent aux questions des élèves, telles que : Quand avez-vous su que vous étiez homosexuel ? Comment ont réagi tes parents ?
Depuis des mois, les quatre parents membres du conseil d’établissement de l’école La Voie s’étaient opposés à cette visite. En date du 7 novembre 2023, ils avaient refusé d’approuver la planification d’éducation sexuelle proposée par la directrice, en raison de la visite au GRIS-Montréal parmi les activités prévues, selon le procès-verbal de la séance.
Le directeur est revenu à la charge lors de la séance suivante, tenue le 6 février 2024, selon le procès-verbal. Les parents du conseil s’opposent encore une fois à la visite du GRIS-Montréal dans les classes de 4e annéee secondaire. Ils ont voté pour retirer l’organisation des activités prévues à l’horaire.
Malgré cette résolution, un intervenant du GRIS-Montréal s’est rendu à l’école La Voie quelques jours plus tard, puisque les enseignants, jouissant d’une autonomie professionnelle, n’ont pas à se laisser dicter les outils pédagogiques à utiliser. – ou à éviter – par les parents d’élèves, même s’ils sont membres de la commission scolaire.
Le GRIS-Montréal a même été invité une deuxième fois à l’école La Voie, fin mai, après une crise dans une classe de 2e secondaire. Un stagiaire homosexuel, Francis Richer, venait de recevoir un déluge d’insultes homophobes sur une plateforme de chat mise à disposition des étudiants. Parmi les commentaires anonymes : « Francis le gay va mourir » ; « Vive les génocides contre les personnes LGBTQ » ; “Francis n’est pas un bon professeur, il m’a attaqué au lit.”
Fortement secoué, Francis Richer a porté plainte auprès de la police et des autorités scolaires. En pleine tempête, la direction de l’école La Voie a invité un conférencier du GRIS-Montréal pour sensibiliser les élèves de cette classe de 2e année.e secondaire aux ravages de l’homophobie. Cette décision a profondément choqué les parents membres du conseil d’établissement.
Le 2 juin, le président Said Soali s’est plaint de la situation par écrit à la directrice générale du Centre des services scolaires de Montréal (CSSDM), Isabelle Gélinas.
« Lors de la séance du 6 février 2024, le conseil d’établissement a adopté une résolution selon laquelle l’organisme GRIS-Montréal [n’était] non autorisé à intervenir auprès de nos étudiants. Cette résolution a été adoptée dans le meilleur intérêt de nos étudiants conformément à l’article 64 de la loi sur l’éducation publique », a écrit M. Soali.
Mais cette résolution a été ignorée, a-t-il regretté. « Les parents estiment que l’intervention de l’organisation en question a porté atteinte au bien-être de leurs jeunes et violé leurs droits, notamment le droit à l’information et la liberté de religion ou de conviction. »
Les parents « se sentent en colère et trahis », a poursuivi M. Soali, exigeant d’Isabelle Gélinas « une action rapide et efficace » pour régler ce problème qui risquait de « compromettre notre démocratie scolaire ».
Deux jours plus tard, lors de la séance du 4 juin, Saïd Soali a tenté de modifier l’ordre du jour pour revenir en classe à la visite du GRIS-Montréal, sans succès. Les choses sont devenues incontrôlables. La séance s’est terminée brusquement, lorsque les quatre parents membres, tous d’origine maghrébine, se sont levés pour claquer la porte.
Le 10 juin, le CSSDM répondait à M. Soali que le conseil d’établissement n’avait pas à s’impliquer dans les contenus enseignés aux étudiants. « Les moyens choisis pour favoriser l’apprentissage des contenus s’inscrivent dans l’autonomie professionnelle de l’équipe-école », écrit Stéphane Chaput, directeur général adjoint et directeur des écoles secondaires au CSSDM. Le conseil d’établissement n’avait pas le pouvoir, par sa résolution du 6 février, de décider comment et par qui les contenus seraient offerts aux étudiants.
Saïd Soali a démissionné. Il n’a pas répondu à notre demande d’entretien.
Une influence communautaire
Selon le registre des entreprises, Said Soali est président du conseil d’administration du Centre communautaire Darlington, un organisme religieux qui enseigne notamment les principes du Coran aux enfants musulmans du quartier Côte-des-Neiges.
Le centre communautaire de Darlington est situé à deux pas de l’école primaire de Bedford. Le rapport du ministère de l’Éducation a révélé que des membres du Centre avaient créé une page Facebook pour dénigrer l’enseignement à Bedford. L’un d’eux a même fait irruption dans l’école en criant après un professeur. La direction a dû appeler le 911.
Selon le rapport du ministère, le conseil d’administration de l’école de Bedford – dont Saïd Soali était également membre parent, en 2023-2024 – a cherché à plusieurs reprises à bloquer des contenus en matière d’éducation sexuelle, comme l’école La Voie. Dans le cas de Bedford, ces manœuvres furent souvent couronnées de succès.
« Des témoignages ont révélé que le contenu de l’éducation sexuelle n’est plus enseigné à l’école de Bedford depuis plusieurs années », indique le rapport. Il semble y avoir des problèmes concernant l’adoption de la planification par le conseil d’administration. »
Après un passage caviardé, les enquêteurs écrivent : « Plusieurs intervenants ont indiqué que cette implication était motivée par une volonté d’assurer la conformité du modèle académique de ces écoles avec un modèle culturel défendu dans ces organismes communautaires. Cependant, ces affirmations n’ont pas pu être étayées en raison des limites du mandat. Toutefois, cela aurait eu pour impact de retarder ou d’empêcher l’adoption de certaines politiques obligatoires, relatives entre autres à l’enseignement des cours d’éducation sexuelle.
École Saint-Pascal-Baylon
La première réunion du conseil d’administration de l’école La Voie depuis la crise de juin s’est tenue le 24 octobre. Ce soir-là, un autre parent membre, Abdel Hakim Touhmou, a été nommé président. Toutefois, selon nos trois sources, cette nomination n’est pas de nature à apaiser le climat puisque M. Touhmou serait largement à l’origine des tensions de l’année dernière au sein du conseil – bien plus, en fait, que Saïd Soali.
Par ailleurs, Abdel Hakim Touhmou, qui a décliné notre demande d’entretien, n’aurait pas seulement contribué à empoisonner l’ambiance au lycée La Voie.
Jusqu’au mois dernier, ce père de cinq enfants était président du conseil d’établissement de l’école primaire Saint-Pascal-Baylon, située à deux pas, sur le chemin Côte-des-Neiges.
Dans une enquête menée par Devoir, Publié aujourd’hui, le CSSDM déplore que le conseil d’établissement de cette école ait instauré depuis des années un « climat hostile » en « remettant systématiquement en question les décisions et les orientations de la direction ».
Le 13 mai 2019, Abdel Hakim Touhmou et d’autres parents membres se sont opposés à la planification des cours d’éducation sexuelle à l’école. Trois ans plus tard, lors de la séance du 21 mars 2022, le même scénario s’est reproduit. Selon le procès-verbal, M. Touhmou a ensuite souligné « que l’éducation sexuelle [devait] prendre en considération les réalités des élèves et de leurs parents, notamment sur les plans socioculturel et religieux.
M. Touhmou a estimé que le calendrier proposé par la direction ne laissait pas “le temps aux parents de se renseigner sur le contenu ou de demander une dérogation pour des motifs graves (atteinte psychique ou atteinte aux droits et libertés)”.
Il s’est interrogé sur « la pertinence d’enseigner des contenus d’éducation sexuelle aux élèves du préscolaire ». Face aux nombreuses objections de M. Touhmou, le planning des cours n’a pas été adopté lors de cette séance.
Le CSSDM a confirmé à Devoir que, depuis des années, l’éducation à la sexualité est mise de côté à l’école Saint-Pascal-Baylon, à l’exception de « certains contenus » présentés aux élèves par les CLSC du secteur.
Le quotidien cite une lettre signée par l’équipe de l’école en mai 2021, faisant état d’un « climat acrimonieux et querelleur » au sein du conseil d’établissement. Les membres enseignants ont été traités « avec un manque de respect et de reconnaissance de leur compétence ». Le droit de parole a été « fréquemment interrompu » par le président, M. Touhmou.
Selon nos trois sources, le même climat acrimonieux s’est installé au sein du conseil d’administration du lycée La Voie depuis l’implication d’Abdel Hakim Touhmou – qui était maître de conférences à la Faculté des sciences de l’éducation. de l’Université du Québec à Montréal.
Le ministre Drainville promet d’agir
Le 22 octobre, le cabinet du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, indiquait par communiqué qu’un mandat avait été donné aux équipes du ministère pour réaliser rapidement des « audits » aux écoles La Voie et Saint. -Pascal-Baylon, ainsi qu’à l’école primaire de Bienville, dans le quartier Saint-Michel. « Ces audits ciblent principalement le climat au sein de ces écoles ainsi que d’éventuelles interférences dans les instances de gouvernance. »
Au micro de Patrick Lagacé, sur les ondes du 98,5 FM, Bernard Drainville a précisé « qu’il y a, dans les conseils d’établissement, des gens qui ne sont pas là pour l’intérêt des enfants comme le prévoit la loi ». Le ministre a demandé au CSSDM de « prendre tous les moyens, y compris les moyens légaux, pour s’assurer que les conseils d’administration font leur travail ».
« Le CSSDM est pleinement engagé à collaborer avec le ministère dans toutes ces initiatives », assure son porte-parole, Alain Perron. Les élèves et le personnel des écoles concernés par ces mandats de vérification auront droit à un soutien soutenu et bienveillant. Il convient également de noter que la majorité des membres du personnel qui y travaillent ont à cœur de répondre aux besoins des étudiants et d’offrir un environnement harmonieux. »
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