L’intelligence artificielle (IA) pourrait coûter un Oscar à Adrien Brody, salué ces derniers jours pour sa performance subtile et puissante dans Le brutalistepar Brady Corbet. L’acteur américain est connu pour son rôle de László Tóth, un architecte fictif du Bauhaus hongrois qui, comme sa femme, a survécu aux camps de la mort avant de s’exiler aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale.
Brody a remporté le Golden Globe du meilleur acteur dans un drame plus tôt ce mois-ci. Il est également dans tous les pronostics pour les Oscars, dont les finalistes seront dévoilés jeudi matin, dans la catégorie du meilleur acteur, aux côtés de Timothée Chalamet (dans le rôle de Bob Dylan dans Un inconnu complet), Ralph Fiennes (comme cardinal dans Conclave) et Colman Domingo (en tant que dramaturge prisonnier Chante Chante).
Ce qui pourrait nuire à ses chances de remporter un deuxième Oscar après son interprétation d’un autre survivant de l’Holocauste, Wladyslaw Szpilman, dans Le pianiste par Roman Polanski en 2003 ? Les quelques phrases qu’il prononce en hongrois Le brutalisteGolden Globe du meilleur film dramatique et l’un des favoris pour l’Oscar du meilleur film. Elles ont été retouchées par le logiciel ukrainien d’intelligence artificielle Respecer, afin d’être plus crédibles.
Il est l’éditeur hongrois de Le brutalisteDávid Jancsó, qui a dévoilé la vérité le week-end dernier, dans une interview avec le magazine technologique Actualités sur les requins rouges. Il doit se mordre les doigts. La question de l’intelligence artificielle est particulièrement sensible à Hollywood. Son encadrement a été au cœur du conflit des studios avec les acteurs et scénaristes, qui a duré 100 jours en 2023. Les acteurs, on le rappelle, représentent la majorité des votants aux Oscars…
Une campagne en prévision des Oscars s’apparente à une campagne électorale. Le moindre faux pas est souligné et tout est permis. Harvey Weinstein a longtemps été considéré comme le maître en la matière. À Los Angeles, nous ne donnons pas de quartiers, même en temps de crise climatique.
On se demandait déjà si les accusations discutables de transphobie contre Émilie Pérez nuirait à sa candidature à l’Académie. Voici ceux de Le brutaliste et Adrien Brody notamment sont entachés par cette nouvelle polémique, qui éclabousse aussi Émilie Pérez et l’actrice Karla Sofía Gascón.
Le film de Jacques Audiard a également utilisé le logiciel Respeecher pour que la voix de Karla Sofía Gascón, censée être la première transgenre finaliste à l’Oscar de la meilleure actrice, soit mariée à celle de la chanteuse Camille et soit plus précise lors des séquences. chanté.
Cette utilisation de logiciels d’intelligence artificielle est connue depuis la présentation deÉmilie Pérez au Festival de Cannes en mai dernier, mais on en parle surtout depuis deux jours. C’est comme être dans les coulisses des négociations et des jeux de Conclaveun film plus conventionnel et consensuel d’Edward Berger, qui risque de profiter de ces différentes polémiques pour remporter une course aux Oscars particulièrement serrée…
J’ai attendu sa projection en 70 mm pour voir Le brutaliste cette semaine. Le film m’a intrigué depuis sa présentation à la Mostra de Venise, où il a remporté le Lion d’argent du meilleur réalisateur. Brady Corbet, également lauréat du Golden Globe du meilleur réalisateur, ne manque ni d’ambition ni de savoir-faire. Sa fresque aux accents de Citoyen Kane fait de lui le favori pour l’Oscar du meilleur réalisateur, malgré la durée excessive (3 heures 20 minutes) de son film, entrecoupé d’un entracte de 20 minutes, et sa dernière partie superflue, digne d’une page Wikipédia.
-Ma principale réserve sur ce très beau film n’est pas liée à la crédibilité du hongrois parlé par Adrien Brody et Felicity Jones (qui joue la femme de László Tóth) – je ne comprends pas le hongrois – mais à la mise en scène de retrouvailles d’amoureux qui, après années de séparation, se parlent spontanément en anglais.
Ce qui m’énervait encore plus, c’était cet accent emprunté à l’Europe centrale qui se mélangeait à l’anglais trop maîtrisé de ces immigrants récents (même si le personnage de journaliste de Felicity Jones a étudié à Oxford, ceci essayant d’expliquer cela). Le cinéma américain a ces conventions absurdes qu’on accepte comme beaucoup d’autres arrangements avec le type aux vues, parce qu’il est hégémonique.
Il y a très peu de Hongrois en Le brutaliste. A peine quelques minutes, qu’on entend hors champ les voix des époux lisant leur correspondance d’après-guerre. Felicity Jones et Adrien Brody, dont la mère a immigré de Hongrie aux États-Unis pendant la révolution de 1956, ont eu recours à un professeur de langue hongroise.
“Mais nous voulions que ce soit parfait et que même les Hongrois n’entendent pas la différence”, a expliqué dans une interview Dávid Jancsó, dont la propre voix a été utilisée par le logiciel Respeecher pour rendre plus crédibles les accents des acteurs. Seules certaines syllabes ont été modifiées afin de rendre le dialogue plus authentiquement hongrois, a déclaré le cinéaste Brady Corbet en début de semaine. L’équipe de production, qui disposait d’un budget très modeste de 10 millions de dollars, affirme s’être tournée vers l’IA par manque de temps. “Sinon, nous serions toujours dans la salle de montage”, a déclaré Dávid Jancsó.
Pour un film qui se targue de faire les choses à l’ancienne – Le brutaliste a été tourné sur film 35 mm dans VistaVision – ces performances d’acteurs améliorées par l’intelligence artificielle posent des problèmes éthiques. Adrien Brody mérite-t-il de remporter un Oscar ? La question se pose. Même si on a accepté depuis le début du cinéma les effets spéciaux qui l’accompagnent.
On sait déjà que l’intelligence artificielle menace l’industrie du doublage, florissante au Québec. Rien, semble-t-il, ne pourra empêcher Tom Cruise d’être doublé par l’IA en français, hongrois ou tagalog. Le danger que cela met en évidence est l’effacement progressif des cultures nationales au profit d’un monopole culturel quasi américain, aujourd’hui aussi télévisuel que musical et cinématographique.
Nous sommes sans doute nombreux à souhaiter que des acteurs étrangers parlent avec un accent québécois crédible dans un film se déroulant au Québec. Mais saura-t-on empêcher Hollywood d’éventuellement envahir les marchés nationaux avec des scénarios écrits par l’intelligence artificielle, tournés sur fond vert avec des acteurs auxquels l’IA aura prêté des accents typiquement gaspésiens, marseillais ou brésiliens ?
Ce scénario catastrophique vous paraît invraisemblable ? Aux États-Unis, la politique est devenue une émission de téléréalité grotesque mettant en scène un président condamné par la justice. Tous les scénarios sont possibles.