Face à la précarité de la recherche en France et à la domination des GAFAM, les brillants spécialistes français de l’IA sont de plus en plus tentés par une carrière aux Etats-Unis. Une « fuite des cerveaux » qui menace l’avenir de la recherche française en intelligence artificielle. Décrypter un phénomène inquiétant.
“C’est ici, aux États-Unis, que tout se passe.” C’est avec cette conviction que Julien, brillant 26 ans issu de l’Université Normale spécialisé en intelligence artificielle, a posé ses valises pour la côte Est américaine en septembre dernier. Comme lui, de plus en plus de jeunes chercheurs français en IA sont attirés par l’eldorado américain, au détriment de la France. Un phénomène inquiétant qui fragilise la recherche française dans un domaine hautement stratégique.
La tentation américaine pour les spécialistes français de l’IA
Pour de nombreux jeunes talents français de l’intelligence artificielle, les États-Unis représentent une opportunité unique d’évoluer au cœur de l’écosystème mondial de l’IA. Les incubateurs d’excellence comme le Courant Institute de l’Université de New York attirent les meilleurs grâce à des conditions particulièrement attractives : selon nos informations, les doctorats y sont entièrement financés pour 4 ans. De quoi faire rêver la crème des mathématiciens et informaticiens français.
Cette fuite des cerveaux s’explique aussi par un marché du travail beaucoup plus dynamique outre-Atlantique. Les géants américains de la technologie comme Google, Apple, Facebook et Amazon investissent massivement dans la recherche sur l’IA et offrent des salaires faramineux aux jeunes diplômés, avec la promesse de travailler sur des projets de pointe.
La France à la traîne en matière d’investissements
Face à cela, la France peine à retenir ses talents. Selon une étude confidentielle que nous avons pu consulter, la France investirait 3 à 4 fois moins que les États-Unis dans la recherche sur l’intelligence artificielle, à richesse comparable. Un retard qui se traduit par des ressources limitées et une précarité croissante des jeunes chercheurs français.
Si nous n’y sommes pas, nous sommes hors-jeu. En France, un post-doc coûte 2000 euros par mois pour un CDD de 12 à 18 mois. Aux Etats-Unis, c’est plus du triple, avec une visibilité sur plusieurs années.
-Un jeune médecin en IA qui préfère l’anonymat
Un enjeu de souveraineté pour la France
Au-delà de l’aspect financier, c’est un véritable enjeu de souveraineté qui se joue pour la France. Car laisser filer ses meilleurs éléments dans l’IA, c’est prendre le risque d’être distancé dans la course mondiale à l’innovation, mais aussi de voir les technologies développées par les esprits français profiter d’abord aux entreprises américaines.
Face à ce constat alarmant, le gouvernement tente de réagir. En 2024, un plan d’investissement de 2 milliards d’euros sur 5 ans a été annoncé pour soutenir la filière française de l’IA. Mais les comptes ne sont pas là selon la plupart des experts, qui réclament une politique beaucoup plus volontariste pour éviter une « fuite des cerveaux » dévastatrice.
Une prise de conscience urgente est nécessaire
Parce que le temps presse. Selon nos sources, plusieurs dizaines de jeunes chercheurs français de haut niveau en IA ont déjà choisi d’émigrer ces dernières années. Une tendance qui pourrait rapidement s’aggraver si rien n’est fait pour rendre plus attractives les carrières dans la recherche publique et dans les entreprises.
- Augmenter significativement les salaires et les moyens alloués aux jeunes chercheurs
- Développer des partenariats ambitieux entre la recherche publique et les entreprises
- Créer un écosystème stimulant pour les start-up spécialisées en IA
Telles sont quelques-unes des pistes avancées par les acteurs du secteur pour endiguer cette fuite des talents français. Car l’enjeu n’est autre que de préserver la place de la France dans la révolution de l’intelligence artificielle. La prise de conscience politique semble plus urgente que jamais. Sans réaction rapide, le risque est grand de voir l’écart se creuser irrémédiablement avec les États-Unis et la Chine sur ce qui apparaît comme la prochaine grande frontière technologique de notre siècle.