ses statues, ses mystères, le Pacifique… et maintenant ses déchets

ses statues, ses mystères, le Pacifique… et maintenant ses déchets
ses statues, ses mystères, le Pacifique… et maintenant ses déchets

«Ce plastique voyage depuis tellement longtemps dans l’océan, avec le soleil, le sel, les chocs contre la roche, qu’il finit par se briser en tout petits morceaux », poursuit Kina. Elle retrouve également, bloqués entre les rochers, des pneus, des bouées, des cordages, des morceaux de seaux, des bouchons en plastique, des caisses en polystyrène… « À chaque sortie, nous ramassons environ 20 à 30 kilos de déchets », explique-t-elle. C’est lors d’un atelier sur la conservation marine, alors qu’elle était au collège, que Kina a commencé à s’intéresser à ce fléau du plastique. Désormais, elle se rend chaque week-end à la plage pour ramasser ces déchets qui arrivent sans cesse en bord de mer. Elle transforme ensuite ce plastique dans son atelier pour fabriquer de petits objets comme des porte-clés, des bougeoirs ou des dominos, qu’elle vend aux touristes. « J’ai encore le sentiment que ça ne sert à rien car il est impossible de récupérer tout le plastique. Après avoir passé trois ou quatre heures à nettoyer la plage, il en reste toujours un peu», déplore-t-elle.

A ses côtés, sa cousine Maria José Paoa déambule et revient les bras chargés de morceaux de plastique et de corde. «Je me sens plus calme après avoir nettoyé la plage», dit-elle. Mais il a ajouté : « C’est très marquant de voir la quantité de déchets que nous collectons. C’est parfois désespéré. Je passe des heures et des heures de ma vie à ramasser des résidus qui ne sont pas les miens ! En même temps, il existe d’autres endroits dans le monde où tout cela n’a pas d’importance et où l’on continue à générer de plus en plus de déchets… Parfois je commence à réfléchir et je me dis que mes efforts sont insignifiants. »

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Du plastique dans l’estomac

Dans les eaux entourant l’île, on trouve plus d’un million de microplastiques par kilomètre carré. Presque tous les poissons indigènes seraient également contaminés par des microplastiques, ou par des nanoparticules invisibles présentes dans leur organisme. Carlos l’atteste, il est pêcheur et vient d’amarrer son bateau à moteur dans le petit port de Hanga Roa. En vidant les dix thons qu’il vient de pêcher, il raconte : « Mes parents et mes grands-parents n’ont pas trouvé de plastique dans les poissons, contrairement à moi aujourd’hui. Parfois j’ouvre les poissons et il y en a dans leur estomac. Les tortues peuvent aussi être piégées, nous devons donc intervenir pour les libérer. Selon lui, une grande partie des déchets qui arrivent à Rapa Nui proviennent des bateaux de pêche industrielle, présents en grande quantité dans les eaux internationales autour de l’île.



« Mes parents et grands-parents n’ont pas trouvé de plastique dans le poisson, contrairement à moi aujourd’hui. Parfois j’ouvre les poissons et il y en a dans leur estomac», raconte Carlos, pêcheur. — © Bela Jude pour le magazine T

C’est aussi ce que pense Nancy Rivera, elle coordonne la cellule d’enquête maritime au sein de la mairie de Rapa Nui. Elle estime qu’au moins 50 à 60 % des objets qui finissent sur les plages correspondent à du matériel de pêche. Sa collègue, Emilia Palma Tuki, biologiste marine, confirme : « Nous avons trouvé une bouée avec des numéros écrits dessus, comme une sorte de plaque d’immatriculation. Après quelques recherches, il s’est avéré que ces chiffres correspondaient à un bateau chinois disposant de quotas de pêche.

Des bateaux japonais, australiens et même européens se trouvent également dans la zone. Pamela Averill, ingénieur océanographe, se souvient avoir identifié l’origine des caisses de poisson grâce aux inscriptions sur leur emballage : « Beaucoup indiquaient l’Espagne ». Elle précise également qu’une partie du plastique déposé par les vagues sur les côtes de l’île provient du continent sud-américain, du Pérou et du Chili notamment, situés à plus de 3.500 kilomètres. Même s’il est difficile d’établir l’origine de tous ces plastiques en raison de leur dégradation en mer, une chose reste sûre, « depuis une quinzaine d’années, il y a eu une augmentation exponentielle des déchets à Rapa Nui », affirme Pedro Lazo Hucke, garde-parc sur l’île. Il pointe du doigt la responsabilité des pays producteurs de ces déchets et considère qu’il leur appartient de mettre en place des systèmes de recyclage, voire d’arrêter purement et simplement la production de plastique.

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Séances de nettoyage

Régulièrement, la mairie de Rapa Nui, aidée par les habitants, organise des nettoyages côtiers afin de récupérer les déchets qui s’accumulent sur les plages. Ils sont ensuite acheminés vers la déchetterie Orito où ils sont entassés dans de grands sacs. « Nous n’avons pas d’autre endroit où les mettre », regrette Alexandra Tuki, qui dirige le centre depuis plus de vingt ans. Ils restent ici jusqu’à ce que nous trouvions du personnel pour les trier. C’est déjà mieux qu’ils soient là plutôt qu’au bord de la mer. » A l’entrée d’Orito, des chiens errants, couchés au sol, évitent les allées et venues des camions qui déchargent des kilos de bouteilles en plastique, canettes en aluminium et autres cartons à proximité du hangar sous lequel se trouve une grosse machine à compresseur… La déchetterie s’occupe principalement avec les déchets ménagers produits sur l’île par les quelque 8 000 habitants mais aussi par les très nombreux touristes.

La trentaine de salariés parviennent à recycler un peu plus de 5 % des déchets de l’île. «Ça me fait mal et ça m’énerve de voir autant de gaspillage, confie Alexandra. Quand je suis né, il n’y en avait pas beaucoup. Malheureusement, nous avons aujourd’hui une mentalité très consumériste. Et aussi une économie entièrement tournée vers le tourisme. L’île reçoit plus de 70 000 visiteurs chaque année, c’est moins qu’avant la pandémie mais c’est deux fois plus qu’il y a 10 ans. Dans le même temps, la production de déchets à Rapa Nui a connu une tendance à la hausse. Chaque semaine, le centre d’Orito parvient encore à renvoyer dix tonnes de déchets triés vers le continent grâce à un accord avec la seule compagnie aérienne opérant sur l’île.



L’île reçoit plus de 70 000 visiteurs chaque année, c’est moins qu’avant la pandémie mais c’est deux fois plus qu’il y a 10 ans. Dans le même temps, la production de déchets a connu une tendance croissante. — © Bela Jude pour le magazine T

Alexandra aimerait pouvoir faire plus mais elle manque de ressources financières, matérielles et humaines. Les 95 % des déchets non recyclables finissent dans la décharge municipale, qui sera bientôt saturée, et au-dessus de laquelle planent des oiseaux de proie à la recherche de nourriture. Des tonnes de déchets s’accumulent à l’air libre avec le bleu intense de l’océan Pacifique en fond. Alexandra montre une caisse en polystyrène abandonnée parmi les poubelles : « Ces caisses arrivent par avion et contiennent des fruits, des légumes et de la viande congelée », explique-t-elle. Il est moins cher pour les établissements touristiques d’acheter leurs produits sur le continent plutôt que chez les producteurs locaux.»

L’Île de Pâques a pourtant l’ambition de devenir un territoire « zéro déchet » d’ici 2030. La mairie met en place des mesures pour aider notamment le secteur touristique à réduire ses déchets. Une partie de la population Rapa Nui a également pris l’habitude de recycler ses déchets. Mais face à l’afflux continu de plastique par la mer et à la production continue de déchets domestiques, cet objectif semble pour l’instant difficile à atteindre.

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