Le Temps : Quelles ont été les principales contraintes ou exigences imposées par le canton et la ville dans le cadre du projet O’Belmont ?
Jean Nouvel: Nous avons répondu aux exigences habituelles en matière d’urbanisme, sans demander de dérogation particulière. Ce qui importe surtout, c’est d’inventer un bâtiment directement lié au site, une œuvre qui s’inscrit dans une réflexion esthétique approfondie et non dans une simple quête de « beauté » superficielle. Ce site offre des conditions exceptionnelles, tant par sa géographie que par son histoire. C’est un miracle que le parc voisin ait été préservé jusqu’à aujourd’hui. Nous utilisons ces atouts au maximum. Ce projet doit devenir un prolongement naturel du quartier, en harmonie avec les espaces publics, les rues avoisinantes et le parc attenant. Cela peut même, je l’espère, avoir un effet contagieux, en encourageant les autres bâtiments du quartier à évoluer et à mieux s’intégrer dans cet environnement unique. Nos appartements et terrasses-jardins ont été conçus pour s’intégrer naturellement dans le paysage. Je suis un architecte contextuel : je ne cherche pas à perturber un environnement, mais à intégrer des œuvres qui se démarquent par leur caractère.
Les appartements de grande qualité seront intégrés dans un écrin de verdure. Cet aspect s’inscrit-il dans une véritable démarche environnementale dans la ville ou dans une stratégie marketing ?
Je revendique une architecture contextuelle souvent mal comprise. Être contextuel ne signifie pas imiter ce qui existe à proximité, mais trouver les atouts d’un lieu pour concevoir une œuvre qui s’en inspire. Le cadre végétal est ici une réponse naturelle au parc qui jouxte le projet. Nous valorisons cet espace vert, et il nous valorise en retour. Cela devrait inciter les habitants et les promeneurs à s’approprier ce lieu, à prolonger leurs promenades dans le parc et autour du bâtiment. Ce projet exploite également les nouvelles possibilités offertes par les technologies lumineuses. Nous travaillerons avec des luminaires capables de révéler différentes ambiances selon les époques ou les saisons, créant de nouveaux jeux esthétiques. Ces innovations n’étaient pas possibles il y a 20 ans.
Travailler ici est une bénédiction pour un architecte
Quels matériaux avez-vous choisis pour O’Belmont ?
Nous avons opté pour des matériaux locaux, réutilisant notamment des pierres provenant de bâtiments précédemment présents sur le site. C’est une démarche à la fois respectueuse et innovante, car ces matériaux portent en eux l’histoire du lieu. Je suis opposé aux automatismes architecturaux. Ce projet est une aventure unique, conçue pour dialoguer avec son environnement immédiat. Par exemple, le cèdre qui se dresse entre le bâtiment et les bâtiments voisins devient un élément essentiel d’harmonie visuelle.
Lorsqu’un projet est réalisé en Suisse, l’abordez-vous de la même manière que dans des villes comme Paris, Abu Dhabi, Londres ou Barcelone ? Ou bien les spécificités administratives, voire politiques, suisses influencent-elles votre approche ?
La première chose qui nous intéresse, c’est d’être en Suisse parce qu’on construit bien. On construit même très bien, bien mieux que dans la plupart des pays voisins. Sur le plan technique et grâce à la qualité des ouvriers et des entreprises, travailler ici est une bénédiction pour un architecte.
Comment avez-vous pensé l’urbanisme de ce quartier de Genève ?
Mon objectif est de montrer à ceux qui vivent et aiment Genève les possibilités qu’offre ce quartier. Ce projet doit être généreux, attentif et ouvert à tous. Depuis O’Belmont, les habitants auront un nouveau regard sur leur ville, et ce bâtiment pourrait devenir un catalyseur de changement dans le quartier.
Idéalement, à quoi ressemblerait pour vous la réussite de ce projet ?
Une réussite, c’est lorsque le bâtiment correspond à ma vision tout en étant accepté et apprécié par les résidents. C’est aussi lorsqu’il s’inscrit durablement dans la ville, comme ce fut le cas du siège de Richemont à Genève, encore intact après vingt ans, ou du Palais de la culture et des congrès (KKL) à Lucerne. , qui fête ses 30 ans. Je souhaite que mon projet aux Eaux-Vives inspire de nouveaux usages. Avec ses espaces publics accessibles au rez-de-chaussée – aire de restauration ou restaurants – O’Belmont sera un véritable prolongement de la ville, vivant et accueillant, jusqu’à la voie verte voisine.