Titre : Charbon bleu
Auteur: Anne Loyer
Illustrateur : Gérard DuBois
Éditions : Deux
Date de parution : novembre 2023
Genre du livre : romain
Récemment récompensé par le prix du vendredi des lecteurs du Pass Culture, le livre Charbon bleu d’Anne Loyer trouve, en cette circonstance, l’occasion d’être présenté à notre lectorat, afin de mettre à l’honneur cette belle œuvre de littérature jeunesse, capable de sensibiliser à des thématiques, certes difficiles, mais en parfaite adéquation avec l’ambition des Éditions D’ eux, qui compte lire « un élément de transformation pour l’enfant. »
Dans la fosse de Bonnemère, cœur battant de l’économie du village de Marlin dans le nord de la France, où l’entreprise Fourche asservit les corps des hommes, des femmes, des garçons et des filles, ainsi que leurs esprits, pour profiter de leur force de travail. , se précipite Ermine, elle qui, grâce au sésame du certificat de scolarité qu’elle s’apprêtait à obtenir, semblait pourtant promise à un autre avenir que celui réservé par la mine. C’est que la Faucheuse en a décidé autrement : elle a pris la relève du père d’Hermine, privant sa famille de son ferment d’unité et, en menaçant leur foyer déjà pauvre de sombrer dans la pauvreté, étouffant les rêves d’émancipation d’Hermine. Comme si, de par sa classe sociale et son prénom indissociable de son apparence, elle était prédestinée à la chute.
Une chute inexorable
Charbon bleu est un récit du XIXe siècle relatant cette chute inexorable, fruit vermifuge d’une hérédité socio-économique qui nous emprisonne et à laquelle on échappe rarement, presque miraculeusement. L’hermine est exilée loin du ciel, dans les entrailles de la terre. Au Shéol, où descendent chaque jour les corps des mineurs, la matière les submerge : des particules de charbon s’infiltrent dans leurs orifices faciaux, s’inoculent dans leur organisme où ils accomplissent leur désastreux travail et recouvrent leur peau pour ne plus en sortir. qu’avec l’eau du bain – seul plaisir que s’accorde le mineur à la fin de sa dure journée.
Le narrateur documente avec empathie le quotidien des mineurs : il décrit leur travail effréné et leurs relations conflictuelles, alimentées par l’exigence de productivité optimale de l’employeur. En se concentrant sur Ermine et ses proches, il devient aussi le spéléologue de leur vie intérieure. Le narrateur nous montre une Hermine écrasée par cette nouvelle condition, imposée depuis le sort tragique de son père, qui a propulsé son frère rancunier, Guy, au rang de chef de famille. Guy déplore avoir vécu dans l’ombre d’Hermine, dont les privilèges, qu’ils soient affectifs ou académiques, ne cessent de le révolter : même si elle ressemble désormais à un ange déchu, sa colère reste forte et éclate à la moindre occasion contre sa petite sœur, qui, de son côté, cherche à obtenir le pardon de son frère.
Bref, la chute s’insinue partout et pose le décor du récit. Ne concédant rien à la fiction méritocratique, le roman d’Anne Loyer adopte une vision pessimiste renforcée par la plupart des douze illustrations de Gérard DuBois. Mais ce serait une erreur de s’arrêter là : on manquerait alors de considération pour l’autre côté de ce livre, le côté poétique de l’ascension.
Une ascension fictive
Au fond du gouffre où elle s’épuise, Ermine rencontre Firmin, un jeune homme maigre dont les paroles sont autant de fenêtres ouvertes sur de vastes paysages. En Enfer, il ne reste aux damnés qu’à rêver au Ciel, à l’invoquer pour en vivre, au moins virtuellement. Firmin y parvient grâce à ses paroles, qui suscitent chez Ermine un faisceau de sensations, capables de rendre possible son excarnation : elles lui offrent la possibilité d’embarquer « comme dans un train vers une étoile » (Van Gogh).
Ce train par lequel elle s’aventure ne peut la sauver sur le plan matériel, mais, architecturé par le verbe de Firmin et les vers de Lamartine, il indique néanmoins la destination d’un plérôme imaginaire – cette étoile – qui constitue la promesse d’une vie. libre de laideur, étranger à la condition physique mais toujours accessible en esprit. Hermine vit alors tiraillée entre son corps, épuisé par la dureté de son travail quotidien, et son esprit vif, qui désamorce l’emprise qui la condamne à dépérir.
L’ascension a beau être fictive, elle n’en fait pas moins abstraction des personnages de la violence qui les écrase : Firmin est à lui, Hermine est à lui, et tous deux, quitte à apparaître comme de plats rêveurs, construisent ensemble ce monde imaginaire qui leur permet de mener une vie distraite, tissée de fils de poésie.
Si le livre d’Anne Loyer semble avoir une résonance gnostique, notamment à travers la tentation qui attend les personnages que la réalité emprisonne – celle de s’abstraire, par l’imaginaire, d’un monde corrompu – il ne lâche jamais un réalisme brut, qui ne transige pas sur la violence de l’exploitation de l’homme par l’homme. Blue Charcoal est un roman à la prose envoûtante et aux illustrations immersives, dont l’empathie évidente envers ses personnages en fait une création émouvante, dans laquelle on se plonge jusqu’aux larmes. « Heureux l’homme qui a travaillé, il a trouvé la vie » (Évangile de Thomas, logion 58) : heureux Ermine et Firmin qui, dans la douleur, ont trouvé la vie à travers la poésie.