Carte blanche to Rosalie Bonenfant

Carte blanche to Rosalie Bonenfant
Carte blanche to Rosalie Bonenfant

Cette semaine, on donne carte blanche à Rosalie Bonenfant, qui raconte comment un coup de frein dans notre emploi du - peut nous apprendre à ralentir… pour le mieux.

ROSALIE BONENFANT

Collaboration spéciale

Cet automne, j’ai perdu mon emploi. Rien d’alarmant ou qui puisse me faire dire que je connais bien le danger de me retrouver sans le sou, mais pour la première fois de ma vie, je me suis retrouvé avec un horizon de pages blanches dans le journal. C’est un travail précaire, m’a-t-on prévenu.

Dire que l’herbe nous a été coupée serait un euphémisme. Il m’a plutôt semblé qu’un magicien amateur avait tenté en vain de réaliser le tour de la nappe retirée sans casser aucun verre. Tout est allé en enfer.

Comme tant d’autres participants au projet, j’ai été projeté en l’air avec les couverts et brisé en mille morceaux. J’ai pris la responsabilité de reconstituer le puzzle que m’avait créé l’instabilité de mon emploi. Tout un privilège d’avoir le - de façonner une nouvelle réalité, j’en suis conscient.

N’ayant personne à ma charge, j’ai pu profiter des circonstances malheureuses pour m’installer doucement dans mon mal-être et observer ce qui se déroulait en moi alors que je me retrouvais soudain dépourvue d’alarmes et de rendez-vous.

D’abord, à nouveau disponible pour être consterné par l’état du monde entier, j’ai passé beaucoup de journées lentes, où plus rien ne semblait avoir de sens. L’air semblait plus dense. J’avais le vertige à l’idée de ne pas contribuer concrètement au collectif. Sans doute ressentais-je les premiers symptômes du sevrage.

Je n’avais donc pas d’autre choix que d’apprendre humblement à me définir en dehors de ce que je pouvais faire. J’ai dû accepter que les journées dites improductives n’étaient pas nécessairement des journées perdues. J’ai donc converti mon liste de choses à faire dans une liste très douce avec la ferme intention de me convaincre que ce que je suis suffit. Laissez-moi vous dire que si j’avais su que cet exercice s’avérerait aussi périlleux, je me serais plutôt mis au bolo !

« Et sur quoi travailles-tu ces jours-ci ? »

C’est la question qu’on me pose systématiquement lorsqu’on me rencontre.

” Rien. Je vis. » Aucune promesse de rencontre ou de gros projet secret en préparation. Juste une existence, bien sûr. Je mange, je dors, je fais l’amour, je ris, je pleure. Dans l’ordre et dans le désordre. D’ailleurs, parfois, je commence même à croire que c’est suffisant.

D’où vient cette idée que ma réponse n’est acceptable que si je l’accompagne du sentiment de honte que la bienséance impose à la passivité ?

Après tout, l’expérience humaine est tellement absurde que savons-nous de la véritable direction qu’elle devrait prendre ? Peut-être que la vie ne va pas dans un sens ou dans l’autre. Qui a décrété qu’il fallait avancer vers le progrès, ne sommes-nous pas libres d’avancer dans tous les sens ? Surtout, après combien de - de stagnation perdons-nous notre statut de membre actif de la société ?

Combien d’entre nous se convainquent que le rythme nous convient, alors que nous sommes essoufflés ? Quand on marche au pas, au rythme imposé, on remarque à peine que l’on court vers une ligne d’arrivée qui ne cesse d’être repoussée. Le métronome quotidien est à la vie adulte ce que le test du « bip-bip » est aux adolescents ; UN esti cauchemar!

Je n’ai jamais eu de rythme. Et si je comprends de moins en moins ce qu’on appelle un « life beat », c’est sans doute parce qu’il ne correspond pas aux mesures d’un quotidien que je souhaite être décidément plus jazzy. Instinctivement, je préfère me déplacer au hasard. À sentiment. Ou au rythme enivrant de mon cœur, pour les fans de Céline.

D’un peu plus loin, j’entends plus clairement que le cliquetis du métronome que nous suivons est celui d’un capitalisme qui ne se soucie pas de notre nature limitante en tant qu’êtres humains. Celui-là même qui nous souhaite aliéné, trop occupé pour s’arrêter et réaliser que la vie existe aussi en dehors des limites d’un 9h à 17h trépidant.

En bon élève, je suis le premier animé par le souci du travail bien fait. J’aime livrer la marchandise, comme on dit. Mais dès que je me retrouve en dehors du milieu de travail, le désir de productivité m’apparaît à nouveau comme quelque chose de tiré par les cheveux. Le même constat est décuplé si mes pieds nus se posent sur la mousse des bois ou si j’ai sous les yeux un panorama qui rappelle un peu ceux de Bob Ross.

Il y a de plus en plus de jours où j’échoue en tant que prolétaire, trop distrait par l’expérience humaine pour essayer de monétiser, maximiser et capitaliser ce que je suis.

Je me rappelle que là où j’échoue en tant que carriériste ou en tant que personnalité publique omniprésente, je suis toujours parfaitement adéquat en tant qu’humain.

Je n’ai peut-être pas imaginé un nouveau concept télé ni écrit le film qui me révélera en tant qu’actrice, mais en cherchant quelque chose à quoi m’accrocher quand tout m’épuisait, j’ai pu m’improviser collectionneuse de beauté.

Vecteur de transmission d’émotions, j’ai continué à me laisser émouvoir. En tant que véhicule d’empathie, j’ai cherché à aider. Réceptacle de curiosité, je me suis nourri de nouvelles rencontres. Alors que tout s’écroulait dehors, je me suis fait le cadeau de continuer à aménager l’intérieur.

Ce recul, comme l’élan, me réconcilie tranquillement avec l’idée que la lenteur n’est pas anodine. Cela nous permet d’observer tout ce qui autrement passe sous notre nez.

Mon congé forcé ne m’a pas permis de résoudre ma lourde quête de sens. Il me faudra probablement bien plus que la suspension de la production pour m’en sortir. Tout ce - passé à me bercer m’aura au moins permis de constater que même si je m’arrête pour reprendre mon souffle, plus aucun professeur d’éducation ne sortira son sifflet et son cahier pour me dire que j’ai raté l’examen.

(Cela dit, si jamais vous croisez la personne qui tient les ficelles, ne lui dites pas tout ce que j’ai écrit… J’en ai assez de la vie et je suis prête à retourner travailler !)

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Qui est Rosalie Bonenfant?

Actrice, animatrice et auteure, Rosalie Bonenfant a fait ses premières apparitions sur le petit écran dans la série Les Parents en 2013. Depuis, elle anime également le magazine Quel est le voyage ? sur TOU.tv, co-animé Deux hommes en or et Rosalieavec Patrick Lagacé et Pierre-Yves Lord, ainsi que Tout le monde s’habille à Télé-Québec. Au cinéma, on l’a vue dans Inèsde Renée Beaulieu. Elle a également publié le recueil La fois où j’ai écrit un livreen 2018.

 
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