« Une personne fume du crack devant l’entrée de la garderie. » « Un canif a été retrouvé dans la cour d’école à proximité des ballons poires. » « Un sac rempli de seringues a été retrouvé dans le parc de l’école. »
Ce que vous devez savoir
- La Maison Benoit Labre, qui accueille des personnes en situation d’itinérance et qui permet également une consommation encadrée de drogues, a ouvert ses portes au printemps 2024 à Saint-Henri, à Montréal.
- Les habitants du quartier se plaignent d’une cohabitation difficile ; les autorités sont d’accord, mais rien ne change.
- Depuis juin, le personnel de l’école primaire voisine du centre a constaté une cinquantaine de comportements inappropriés, ou ramassé des excréments, un canif ou des seringues.
Tout cela, rien qu’au mois de novembre, à l’école primaire Victor-Rousselot, voisine de la Maison Benoit Labre, un centre du quartier Saint-Henri ouvert jour et nuit qui accueille des personnes en situation d’itinérance et qui offre également un service de consommation encadrée de drogues. .
C’est à la suite d’une demande d’accès à l’information du Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) que La presse a pu consulter le registre des événements rapportés par le personnel de l’école Victor-Rousselot du 7 juin au 20 novembre. Durant cette période, le registre a enregistré 54 événements distincts.
Cette information, également transmise au Service de police de la ville de Montréal (SPVM) et à la Santé publique, démontre que la cohabitation demeure difficile.
« Un éducateur voit une personne qui a le pantalon jusqu’aux genoux et a peur qu’il baisse aussi son sous-vêtement », indique le reportage du 24 octobre.
Le 7 juin, « un homme a uriné dans les buissons surplombant l’enceinte de l’école avant l’arrivée des élèves ».
Le 10 juin, des excréments humains ont été retrouvés à l’entrée des étudiants. Le concierge est venu les chercher avant l’arrivée des petits.
Le 11 juin, « trois étudiants et le brigadier scolaire nous signalent qu’un sans-abri a épaulé un élève de 6 ans ».e année et il les a ensuite suivis à l’école.
Le 16 septembre à 12h15, « un homme en crise veut franchir la clôture pour entrer dans le parc » [école] ».
La direction de la Maison Benoit Labre ne nous a pas rappelé.
Marie-Eve Bourrelle s’inquiète du fait que son fils, sur le chemin de l’école, “voit des choses qu’il ne devrait pas voir, à son âge”.
Un centre comme la Maison Benoit Labre n’a pas sa place, selon lui, « à côté d’une école ».
Étienne Morneau, dont les enfants fréquentent également l’école Victor-Rousselot et qui habite à deux pâtés de maisons, ne croit pas qu’il y ait de problèmes de cohabitation.
“Il y a toujours des travailleurs de rue, le matin et le soir, après les cours” et aux alentours, “ça n’a jamais été aussi propre”. La Maison Benoit Labre gère bien les lieux, selon Étienne Morneau.
« Nous devons aider ces gens [les personnes en situation d’itinérance]. »
Jean-Pierre Houle estime également que les personnes accueillies par la Maison Benoit Labre ont clairement besoin d’aide, « mais le centre n’est tout simplement pas au bon endroit ».
Il raconte que cet été, un SDF a voulu poignarder son ami. « Nous avons porté plainte à la police. »
Une mère mise en demeure
Chantale Gagnon, dont les enfants fréquentent l’école Victor-Rousselot et qui est membre de la Coalition Victor-Rousselot, n’est pas mécontente.
Elle indique que l’école, qui écrit aux parents à la moindre alarme incendie déclenchée, garde pour elle les enjeux de sécurité posés par la proximité de la Maison Benoit Labre.
Par ailleurs, dit-elle, le CSSDM « a voulu me faire taire en m’envoyant une mise en demeure » d’un cabinet d’avocats.
« À plus d’une occasion, peut-on lire dans le document, le CSSDM vous a clairement demandé de cesser de faire des représentations ou de poser des actions en opposition au projet de la Maison Benoit Labre en vous identifiant comme « membres de l’OPP ». [organisme de participation des parents en place dans toutes les écoles] ou des membres du conseil d’établissement de l’école Victor-Rousselot.
La mise en demeure oblige Chantale Gagnon à cesser immédiatement d’utiliser l’adresse courriel de l’OPP « à des fins partisanes en lien avec le projet de la Maison Benoit Labre ».
Chantale Gagnon se dit très consciente « qu’il y a un besoin d’hébergement » pour les personnes itinérantes. Selon elle, c’est la mission « centre de jour », juste à côté d’une école primaire, qui pose problème.
Les données du Service de police de la Ville de Montréal rapportées en octobre démontraient une augmentation de 800 % des méfaits près de la Maison Benoit Labre entre la période précédant son ouverture (janvier à avril) et après (avril à juillet).
La mairesse Valérie Plante a ensuite indiqué que la Ville de Montréal travaillait avec le gouvernement du Québec pour trouver un autre emplacement pour la Maison Benoit Labre.
Le 20 août dernier, Lionel Carmant, ministre responsable des Services sociaux, affirmait déjà qu’il travaillait à relocaliser les services de jour offerts par l’organisme.
Les services sont toujours offerts, dénonce Chantale Gagnon, qui estime que tout cela n’était qu’une réponse politique pour calmer le jeu.
Et tout continue comme d’habitude « et des petits signalements sont faits » et envoyés en haut lieu, et pour être informé, « il faut faire des demandes d’accès à l’information ».
Des centres précieux mais compliqués pour un quartier
Le Dr François Noël, psychiatre spécialisé en addictions, note que signaler des méfaits ou des menaces à la police est la bonne chose à faire.
« Souvent, les gens n’osent pas les dénoncer, ils ont pitié. Mais en réalité, le jour [les personnes qui ont un problème de toxicomanie] risquent d’être inculpés, lorsqu’ils ont le choix entre aller en prison ou agir sur leur consommation, cela peut devenir quelque chose qui les motive. »
Le Dr Noël ajoute qu’« on ne peut nier qu’il y a des méfaits associés à la consommation », notamment en ce qui concerne les stimulants (crack ou cocaïne, par exemple).
« Elles peuvent conduire à des violences, des psychoses, des comportements très désorganisés qui peuvent être très effrayants, voire dangereux. »
Cela dit, le Dr Noel note que d’un point de vue clinique, les lieux proposant une consommation supervisée sont très précieux.
Ces centres ne distribuent pas de médicaments, précise-t-il, mais souvent, sur place, ils peuvent les tester et s’assurer qu’ils ne contiennent pas de fentanyl par exemple.
De plus, ce type de centre est très utile pour rejoindre les personnes aux prises avec des addictions et peut représenter pour elles une porte d’entrée vers des soins de santé.
Mais pour cela, il faut beaucoup de personnel pour assurer, entre autres, le maintien de l’ordre autour de ces centres.
Ils ont dit
Notre objectif premier demeure de collaborer avec tous les partenaires pour réduire la fréquentation de la Maison Benoit Labre. À cet égard, nous attendons une proposition d’emplacement de la Ville pour le développement d’une nouvelle ressource. […] Veuillez noter que l’organisme Benoit Labre est propriétaire de son immeuble et fonctionne comme un organisme communautaire indépendant : son déménagement ne relève donc pas de notre responsabilité.
Le cabinet de Lionel Carmant, ministre responsable des Services sociaux
Nous poursuivons les suivis auprès de l’organisme et de la Santé publique suite à notre demande de déplacer les services du centre de jour de la Maison Benoit Labre au Ministre Carmant. […] Le Québec, la Ville de Montréal et tous les intervenants travaillent fort pour mettre en place des solutions.
Simon Charron, attaché de presse au cabinet de la mairesse Valérie Plante
La sécurité publique et la gestion de la Maison Benoit Labre ne relèvent pas du centre de services de Montréal, dont le mandat est d’assurer l’éducation des étudiants montréalais. […] La sécurité de la communauté scolaire demeure néanmoins une préoccupation pour le CSSDM [qui est] en contact permanent avec les autorités et la Maison Benoit Labre, pour s’assurer que tout est mis en place pour maintenir la sécurité de tous autour de l’école.
Alain Perron, responsable des relations médias du CSSDM
Avec la collaboration de William Leclerc et Isabelle Ducas, La presse