« Plaie infectée », « bras douloureux », « blessure horrible »… Sur une feuille A4, le docteur Martine Eutrope a noté tous les motifs de consultation du jour. En début d’après-midi, vendredi 20 décembre, une quinzaine d’habitants de Mayotte étaient déjà passés la voir dans son camion médical garé le long de la route nationale, à une dizaine de kilomètres de Mamoudzou. Près d’une semaine après le passage du cyclone Chido, les blessures des Mahorais sont encore loin d’être cicatrisées.
Dans les bidonvilles de l’autre côté de la route, de nombreux habitants ont été blessés par les tôles des cases qui se sont envolées et jonchent désormais les routes. Selon le dernier bilan officiel samedi, les autorités ont recensé près de 2.500 blessés. “Mais toute une partie de la population est laissée pour compte, notamment celle qui n’a pas les moyens d’aller à l’hôpital”assure le médecin. Alors, pour répondre à cette urgence, la septuagénaire a mis son stéthoscope jaune autour du cou et est allée directement à la rencontre de ces résidents isolés.
Après le passage du cyclone dévastateur, l’idée de ce cabinet médical itinérant a germé dans les têtes des membres de l’association Nariké M’sada qui réalise normalement des dépistages et des activités de sensibilisation sur les maladies sexuellement transmissibles. « Notre camion n’a pas été endommagé, alors au lieu de nous tourner les pouces, on s’est dit qu’on allait l’utiliser pour permettre aux gens d’avoir le plus de soins possible au même endroit »explains the director, Moncef Mouhoudhoire.
Ni une ni deux, l’association part à la recherche d’une équipe médicale pour prodiguer des soins. Martine Eutrope n’a pas hésité longtemps. D’autant que le portail métallique qui protège son cabinet en ville a été endommagé par le cyclone, ce qui l’empêche de recevoir ses patients. La voici désormais assise à l’avant du camion, avec un lit médicalisé pour examiner et un petit bureau pour rédiger ses ordonnances. A l’arrière, une infirmière est également installée pour réaliser une partie des soins.
Devant le camion, un banc a été ajouté pour faire face à l’afflux de visiteurs. Ce jour-là, une vingtaine de personnes de tous âges attendaient tranquillement, à l’ombre du véhicule. “Je suis ici depuis ce matin.”assure Nadia, 36 ans. “Je me suis tordu la cheville. Un gros morceau de bois m’est tombé dessus samedi. Je l’ai massé un peu, mais ce n’est pas mieux”, explique-t-elle en désignant son pied douloureux. Alors qu’elle allait chercher de l’eau à la fontaine voisine, elle aperçut par hasard ce camion avec le slogan : “Ici, je prends soin de moi.”
A côté d’elle, un homme est également venu montrer son pied à un médecin. Elle a doublé de volume et une plaie semble s’infecter, alors que la température avoisine les 32°C et que les conditions d’hygiène sont très précaires en raison du manque d’eau. Une jeune fille est également venue accompagner sa mère, blessée par un morceau de tôle lors du cyclone.
Les besoins semblent immenses. La veille, en une après-midi, les deux professionnels de santé avaient reçu une cinquantaine d’habitants du quartier Kaweni, qui abritait le plus grand bidonville de France. “On a vu des blessures horribles, parfois surinfectées”, says Martine Eutrope. « D’habitude, à mon bureau, je demande la carte de sécurité sociale. Mais aujourd’hui, c’est impossible de faire le tri.»explique-t-elle. La majorité des blessés qu’elle reçoit sont sans papiers.
“Je trouve inacceptable de ne pas soigner tout le monde.”
Martine Eutrope, doctor in Mayottesur franceinfo
Après la consultation, un autre défi attend les patients : récupérer les médicaments, alors que beaucoup ont tout perdu et n’ont pas d’argent pour se soigner correctement. Pour que les traitements puissent être bien suivis, le médecin peut compter sur une autre association, la Primary Care Team. C’est à elle que seront directement facturés les médicaments collectés par les patients les plus vulnérables.
Malgré ses innombrables missions, une menace sérieuse plane sur le camion. Ou plus précisément, sur son réservoir. Le carburant vient déjà à manquer. “On a dû éteindre la clim, c’est un four à l’intérieur”murmure le docteur. Le pire pourrait arriver dans les jours à venir. Alors que les files de véhicules s’étendent sur des centaines de mètres à proximité des stations-service, une panne d’essence freinerait préjudiciablement les missions vitales de ce camion médical.