C’est devenu indissociable du rugby. Lors de l’entraînement à la correction des positions, analysez les défauts de l’adversaire. Dans un match pour juger de la validité d’un test, de la pertinence d’une sanction : ce mardi en fin d’après-midi, la vidéo est apparue dans la chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Tarbes. Cette fois pour influencer le destin d’un jeune adulte de 20 ans.
Depuis 1h20, Philibert L, se tenait droit au bar, il devait répondre d’une accusation de « violences volontaires suivies de mutilation ou d’infirmité permanente. »
Cela s’est produit deux ans et trois jours plus tôt, le 14 septembre 2022 à Tarbes, lors d’un tournoi de rugby à sept UNSS opposant trois lycées d’Occitanie. Dans la dernière minute du dernier match dont l’issue ne faisait plus de doute entre Notre Dame de Garaison et St-Pierre de Tarbes, Philibert L, 18 ans au moment des faits, a infligé un terrible tacle à Mathias Dantin. , 16 ans.
Terrible pour les conséquences : deux cervicales luxées et fracturées, deux artères touchées, la moelle épinière aussi. Quand les blessures sont répertoriées, le papa de Mathias vacille. « Le sentiment d’avoir attrapé la foudre », dira Mathias.
Transféré par l’hélicoptère du Samu à Toulouse, il a dû subir deux opérations avant d’être placé en coma artificiel jusqu’au 20 décembre. Un tacle qui a bouleversé une vie. Un accident ? C’était tout l’intérêt du procès. La vidéo a donc été convoquée. Trois petits extraits, initialement enregistrés par un ami de Mathias Dantin dans le cadre d’une analyse du jeu. Les dernières images du joueur casqué debout. Cette fois, Philibert L n’a pas détourné le regard comme il le fait depuis l’accident. « C’est très compliqué de regarder un match, ne serait-ce que pour penser à ce sport. Je ne le regarde plus, je n’ai pas vraiment envie d’en entendre parler. C’est un sport qui a changé de nombreuses vies. »
A l’époque, celui qui jure n’avoir jamais été blessé au rugby voyait le tournoi UNSS comme « un moment de fraternité ». L’étudiant de BTS, qui n’a jamais eu de démêlés avec la justice, a joué encore deux matches après le drame avant de raccrocher. Licencié par la commission de discipline, celui qui évoluait à l’époque en parallèle avec les seniors du RC Quint Fonsegrives (Régional 2) n’en avait plus le cœur.
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«Grognant et dissipé»
Il avait séché ses larmes avant le début du procès après le passage de Mathias Dantin devant lui. A la barre, il a pris le dessus sur l’émotion, visiblement prêt. Mais avec une mémoire précaire. Il se souvient qu’il était capitaine ce jour-là, mais pas du comportement que lui prêtaient des témoins : « bourru et dissipé ». Aucun souvenir d’avoir taclé tardivement, ni d’avoir infligé un tacle cathédrale.
En UNSS, contrairement à ce qui est en vigueur au niveau fédéral, il est interdit de décoller les appuis de son adversaire lors d’un plaquage. Philibert, qui ne le savait pas, évoque un geste incontrôlé. Les images tournent en boucle au ralenti. Tacler sans ballon ? C’est probable. Mais combien de secondes de retard ? Plaquage cathédrale ou maladresse ? La scène est malheureusement en partie occultée par un professeur. « Il y a eu des conséquences tragiques que je regrette chaque jour. Si j’avais pu y retourner, je ne serais pas retourné sur le terrain. Je ne peux pas imaginer que quiconque pense que c’était intentionnel.
Mathias Dantin n’a aucun doute. Il se souvient qu’un mois avant ce tacle désastreux, il avait assisté à un tournoi où il avait remarqué Philibert L. « Il était là pour montrer son niveau, dans ces cas-là, on est plus agressif. » Il n’a rien oublié du tournoi. De cette dernière action non plus : il n’a jamais perdu connaissance.
Très rapide mais voix claire, Mathias Dantin a raconté cette action et surtout sa vie dans le « corps d’une personne de 18 ans mais avec les capacités d’un enfant de 3 ou 4 ans. Sans cette chaise à 35 000 euros, sans mes compagnons, je ne suis personne. Cette situation m’a été imposée. J’ai besoin d’aide 24 heures sur 24. J’ai beaucoup de problèmes médicaux, une quinzaine de comprimés par jour, je suis incontinent.» Il a également raconté tout ce qu’il avait perdu : sa petite amie, son rêve de rejoindre l’armée. « Ce n’est pas ainsi que nous imaginions notre vie, en essayant de survivre chaque jour. Mais la dignité ne me sera pas enlevée. »
“Je vois la scène tous les jours, toutes les nuits”
Pour se reconstruire, il a trouvé une cause à défendre : « la prévention : montrer que le manque de respect et certains gestes n’ont pas leur place sur le terrain. Ce n’est pas un accident. Tout ce que je veux, c’est que les gens reconnaissent leurs actes répréhensibles. » Et par définition son statut de victime. Celui de ses parents aussi. Présent le jour du drame, Jérôme Dantin a raconté un tournoi sans organisation – étrangement caché – et a dressé le portrait de Philibert L comme « un électron libre que personne n’arrivait à contrôler (…). Je vois la scène tous les jours, toutes les nuits. Je n’ai pas besoin de vidéo. »
Il a raconté leurs vies bouleversées et surtout la culpabilité qui le ronge. « Il y a 17 ans, nous voulions donner une chance à notre fils en l’adoptant. Pendant 13 ans, nous n’avons pas pu avoir d’enfants. Puis nous avons vécu quinze ans de bonheur. Quand ce jour est arrivé : nous avons dit que nous étions les pires parents. » La mère de Mathias, après avoir beaucoup pleuré, se lève elle aussi. « Nous n’avons pas pu prendre soin de lui comme nous le souhaitions. Je ne voulais pas qu’il joue au rugby, j’avais un pressentiment. Mais j’ai cédé. Je n’ai pas dormi depuis deux ans. »
Et leur relation vacille. «On s’aime mais on n’a plus de vie de couple», raconte Jérôme. « Ma femme s’appelle Mathias, je suis Mathias, je suis ses bras, ses jambes, son énergie. Je vis pour lui. Je veux que mon fils soit quelqu’un. Cette vie nous a été infligée. Je veux montrer qu’il est possible de continuer à vivre. »
L’enjeu du procès est aussi d’établir l’indemnisation afin que celle-ci se fasse au mieux. La qualification de violences volontaires est la seule issue pour leur avocate, Hélène Simon-Grassa. « Cette situation n’a rien à voir avec le hasard ou la maladresse, c’est un acte commis en toute conscience. Tout a changé parce que quelqu’un n’a pas respecté les règles du jeu. Il existe des interdictions pour préserver l’intégrité physique des joueurs. » Au tribunal : « Votre rôle est de rappeler ces interdictions. Faire un travail pédagogique pour que ce que Mathias a vécu ne se reproduise plus. »
Les réquisitions du représentant du procureur de la République, Jean-Luc Puyo, premier à entrer dans le domaine des valeurs du rugby, vont dans ce sens : 18 mois d’emprisonnement assortis de sursis sans inscription au casier judiciaire. « Il a fait un geste interdit, extrêmement grave, volontaire, délibéré. » Pascal Nakache, avocat de Philibert, devient alors également avocat du rugby. « Nous tuons ce sport. Soit on continue tous les tacles de la cathédrale et vous pouvez créer une salle spéciale, soit vous en laissez une partie à la raison. La souffrance et la compassion l’ont emporté. C’est la justice que je demande. » Et une requalification en « violences involontaires ». » Il regarda le clan Dantin : « vous êtes des victimes. Je ne suis pas sûr que vous le seriez moins si nous commettions une injustice envers Monsieur L. »
Puis, deux ans, trois jours et près de cinq heures d’audience plus tard, Philibert L. a finalement présenté ses excuses.
Décision le 18 février.