“On s’achemine davantage vers un divorce à l’amiable” avec la CEDEAO

“On s’achemine davantage vers un divorce à l’amiable” avec la CEDEAO
“On s’achemine davantage vers un divorce à l’amiable” avec la CEDEAO

En Afrique de l’Ouest, va-t-on vers un « divorce à l’amiable » entre une CEDEAO de douze pays et une Alliance des États du Sahel, qui regroupera les trois autres ? Dimanche dernier à Abuja, les douze pays qui restent rattachés à la Cedeao ont offert six mois supplémentaires de réflexion aux trois pays, Mali, Niger et Burkina Faso, qui souhaitent quitter l’organisation sous-régionale. Ces trois pays pourraient-ils revenir dans la maison Cédéao d’ici le 29 juillet ? Gilles Yabi est le fondateur de Wathi, le groupe de réflexion citoyen ouest-africain. En ligne depuis Dakar, il répond à Christophe Boisbouvier.

RFI : Les chefs d’Etat de la CEDEAO espèrent toujours réintégrer les trois Etats de l’AES dans leur organisation d’ici le 29 juillet. Ont-ils une chance d’y parvenir ?

Gilles Yabi : Je pense que les chances restent limitées. L’intérêt politique des trois dirigeants des pays du Sahel est de rester cohérents depuis qu’ils ont pris cette décision. Et donc, on voit mal un changement de position, au moins pour ces trois pays, Mali, Niger, Burkina Faso. Je vous rappelle que cette décision a été prise sans consulter les populations. Elle a été prise par les dirigeants de ces trois pays arrivés par coup d’État. Ainsi, en cas de séparation, ce qui reste l’hypothèse la plus probable est que l’on s’oriente vers un « divorce à l’amiable ». Maintenant, nous ne pouvons rien exclure. Evidemment, les efforts diplomatiques du président sénégalais et du président togolais pourraient toujours finir par les faire changer d’avis, mais je n’y crois pas beaucoup.

Vendredi dernier, les trois pays de l’AES ont déclaré que leur sortie de la CEDEAO était irréversible. Quel est l’avantage pour eux de quitter la CEDEAO ?

C’est l’acte de se soustraire aux obligations liées au protocole additionnel de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance. Donc, ne pas être lié, par exemple, à l’obligation d’organiser des élections à un moment donné. Peut-être même [de ne pas être lié] au principe qui avait été posé par l’Union africaine, à savoir que les chefs d’Etat arrivés par coup d’État militaire, même s’ils restent pendant la transition, ne sont pas autorisés à se présenter à la fin de ces transitions. Ainsi, en quittant la CEDEAO, ils se libèrent de toutes les obligations, de tous les principes qui sont censés régir l’espace de la région.

Les trois pays de l’AES quittent la CEDEAO. Mais, dans le même -, ils se disent prêts à maintenir les exemptions de visa pour les ressortissants de la CEDEAO sur leur territoire. Pourquoi ce geste ?

Je crois qu’il s’agit de montrer d’une certaine manière qu’ils ne sont pas dans une démarche de rupture brutale avec les autres pays de la communauté. Et peut-être aussi de manière très pragmatique, je pense que les dirigeants de ces trois Etats sont très conscients de l’importance des relations économiques avec les pays côtiers voisins. Ils connaissent les chiffres des flux migratoires entre leur pays et les pays voisins. Quand on regarde les corridors les plus importants, on verra par exemple les corridors Burkina Faso – Côte d’Ivoire ou Mali – Côte d’Ivoire qui sont très importants. Cela veut donc dire qu’il y a un très grand nombre de populations sahéliennes qui vivent dans ces pays, notamment en Côte d’Ivoire, mais aussi au Sénégal. Et donc, décider qu’il y aura une exemption de visa pour les ressortissants des pays membres de la CEDEAO est une manière d’amener la CEDEAO à décider de maintenir une exemption de visa pour les populations sahéliennes.

Par exemple, les autorités ivoiriennes seront-elles prêtes à accorder cette réciprocité, cette exemption de visa, aux quelque six millions de Maliens et de Burkinabè qui vivent sur le territoire ivoirien ?

Nous ne devons pas perdre de vue les questions les plus importantes qui concernent les populations. De mon point de vue, je pense que la Côte d’Ivoire et d’autres pays de la CEDEAO ne décideront pas d’appliquer des visas simplement parce que les relations sont à nouveau difficiles et parce que les États du Sahel se seraient retirés de la CEDEAO.

Ce que demandent les trois pays de l’AES, n’est-ce pas une CEDEAO à la carte ? Une CEDEAO dans laquelle ils conserveraient les avantages économiques tout en se débarrassant des désavantages politiques ?

Il est donc vrai que, derrière la question de la sortie des pays de l’AES, se pose aussi la question du choix de continuer à croire en un idéal d’intégration politique avec des valeurs, avec des principes de convergence constitutionnelle. C’est vraiment tout ce qui a été consigné dans le protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance de 2001. Et, aujourd’hui, très clairement, nous avons une partie des dirigeants de la région qui ne croient pas vraiment à la mission d’intégration politique. Le risque est de dire que, pour faire revenir ces États ou pour faire en sorte que d’autres ne partent pas, nous renoncerons aux dispositions du protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance. Et, de mon point de vue, cela serait évidemment extrêmement dangereux car, à terme, on risque d’avoir un retour à des régimes autoritaires où chaque dirigeant fera ce qu’il veut dans son pays. Et nous l’avons déjà vécu par le passé.

 
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